La guerre est déclarée entre Apple et Bruxelles
Le DMA au coeur d’une bataille entre la Commission européenne et le groupe à la pomme
L’Europe ouvre une procédure contre Apple dans le cadre du DMA
Ce n’est probablement que le début d’une longue confrontation. D’un côté, la Commission européenne, déterminée à faire appliquer le Digital Markets Act, qui vise à renforcer la concurrence dans le numérique. De l’autre, Apple tout aussi déterminé à combattre un texte qu’il dénonce de toutes ses forces. Lundi, Bruxelles a officiellement ouvert une procédure contre le groupe à la pomme. Ses griefs portent sur les mesures mises en place pour mettre fin à la pratique d’anti-steering, qui interdit aux développeurs d’application mobiles de rediriger leurs utilisateurs vers un site Internet afin de réaliser un achat ou souscrire à un abonnement. Une pratique désormais illégale sur le continent. La Commission se prononcera au plus tard dans neuf mois. Apple risque une amende pouvant atteindre 10% de son chiffre d’affaires mondial.
Tester les limites – En vigueur depuis début mars, le DMA marque une rupture historique pour les autorités antitrust, essayant d’agir a priori plutôt qu’a posteriori pour lutter contre des pratiques anticoncurrentielles. Le texte ne fixe cependant que de grands principes, sans mentionner de règles précises à suivre. Il laisse ainsi une marge de manœuvre aux entreprises – elles sont sept concernées – pour décider des mesures suffisantes afin de le respecter. Logiquement, celles-ci ont cherché à ne modifier que le strict nécessaire, pour tenter d’atténuer l’impact sur leurs activités. Elles testent ainsi les limites de la réglementation, mais aussi la détermination de Bruxelles. À ce petit jeu, la palme revient à Apple, qui a annoncé des changements punitifs pour les développeurs, avant de multiplier les concessions.
Toujours des commissions – Sur le papier, le groupe de Cupertino a bien renoncé à l’anti-steering. Les applications ont désormais le droit d’intégrer des liens pour rediriger leurs utilisateurs. Et ainsi ne plus passer par le système de paiement d’Apple. Mais la Commission estime que il impose des restrictions trop importantes, par exemple en n’autorisant pas les développeurs à indiquer les prix pratiqués sur leur site, pour mettre en avant de potentielles économies. Il leur interdit aussi de faire librement la promotion de leurs offres externes. Bruxelles lui reproche par ailleurs de continuer à prélever des commissions (avec un taux abaissé de 3 points, couvrant à peine les frais bancaires additionnels) sur les achats réalisés hors des applications. Un prélèvement qui va “au-delà de ce qui est strictement nécessaire”.
Failles du DMA – Pour éviter une sanction, le concepteur de l’iPhone pourrait soumettre des mesures correctives à Bruxelles. Mais ses dirigeants ne semblent pas disposés à le faire. Par principe, peut-être. Mais surtout par volonté de préserver les gigantesques commissions prélevées sur les achats et les abonnements, qui affichent des marges proches de 100%. Il est donc probable qu’Apple décide de contester un potentiel verdict défavorable devant la justice européenne, s’engouffrant dans les failles du DMA pour arguer qu’il respecte le texte à la lettre. Il vient d’ailleurs de faire appel, dans un dossier similaire, limité au streaming musical, d’une amende de 1,8 milliard d’euros. Autant de procédures qui repousseront de plusieurs années l’éventuelle mise en place des changements souhaités par la Commission européenne.
Bruxelles lance une autre enquête sur Apple
Nouvelles commissions – Les ennuis pourraient rapidement s’intensifier pour Apple. Car Bruxelles a aussi annoncé lundi l’ouverture d’une autre enquête, portant sur un dossier encore plus explosif: les boutiques tierces d’applications sur le système iOS. Pour se mettre en conformité avec le DMA, le groupe à la pomme n’a pas eu d’autre choix que de les autoriser. Mais il a également mis en place une nouvelle structure de commissions pour les développeurs qui souhaitent se défaire de l’exclusivité de l’App Store. Il prévoit notamment de facturer 50 centimes par téléchargement annuel, au-delà de la barre du million. Ce système a été pensé pour dissuader les développeurs de rejoindre d’autres boutiques. Et ainsi éviter l’émergence d’un véritable concurrent, qui représenterait un important manque à gagner.
Pour aller plus loin:
– Face aux géants du numérique, le DMA inspire de nombreux pays
– Comment Apple veut contrecarrer le DMA européen
Apple repousse le lancement de ses fonctionnalités d’IA en Europe
Faut-il y voir une revanche d’Apple face à la Commission européenne ? Et une volonté de prendre à partie l’opinion publique pour protester contre le Digital Markets Act ? Vendredi dernier, le géant de Cupertino a annoncé que ses nouvelles fonctionnalités d’intelligence artificielle générative, présentées début juin et lancées à partir de septembre aux États-Unis, ne seront pas disponibles en Europe. Deux autres options sont aussi concernées: la “recopie” d’écran et le partage d’écran entre plusieurs appareils à la pomme. Apple se justifie par des incertitudes liées à la nouvelle réglementation européenne, notamment sur les obligations d’interopérabilité qui pourraient “compromettre l’intégrité de (ses) produits” et faire peser “des risques sur la sécurité des données et la vie privée des utilisateurs”.
Google et Meta aussi – Dans le sillage de ses rivaux, Apple va intégrer une couche d’IA à la prochaine version d’iOS, dopant notamment les performances de son assistant vocal Siri. La marque espère stimuler les ventes d’iPhone, en manque cruel d’innovations majeures depuis des années. Elle n’est pas la première à repousser le lancement de ses fonctionnalités d’IA en Europe. Mais les autres délais s’expliquent par le Règlement général sur la protection des données. Google l’a déjà fait avec son robot conversationnel Bard, depuis rebaptisé Gemini, le temps de réaliser des études d’impact désormais obligatoires sur le continent. Meta vient de faire pareil avec son assistant Meta AI, faute de vouloir demander le consentement de ses utilisateurs pour utiliser leurs messages afin d’entraîner ses grands modèles de langage.
Contraires au DMA ? – L’argument du DMA est plus difficile à comprendre. Apple fait bien partie des sept “contrôleurs d’accès” définis par Bruxelles, qui doivent respecter de nouvelles obligations. Mais aucune des fonctionnalités d’IA dévoilées en juin ne semble être contraire à la législation européenne. Hormis, peut-être, une auto-préférence pour les services maison, pratique désormais interdite, dans les réponses de Siri. Un problème qui pourrait cependant facilement être résolu. La question de l’interopérabilité pourrait se poser pour l’outil de “recopie” de l’écran, qui permet de contrôler un iPhone avec un Mac, et pour celui de partage de l’écran, car ils ne sont pas compatibles avec des ordinateurs sous Windows et des smartphones sous Android. Mais il n’est pas certain que le DMA allait s’appliquer à ces services.
Stratégie risquée – Apple s’est d’ailleurs déjà montré bien plus procédurier face à Bruxelles. Au printemps, le groupe s’est battu pour que sa messagerie iMessage ne soit pas concernée par le DMA. Et ainsi éviter de la rendre compatible avec d’autres services, comme c’est le cas de WhatsApp et Facebook Messenger. Pour obtenir gain de cause, il s’est même converti au protocole RCS (messagerie enrichie), soutenu par Google mais qu’il rejetait depuis des années. Son renoncement rapide à déployer son IA en Europe est donc surprenant. Celui-ci pourrait s’inscrire dans une bataille à distance avec la Commission, comme un message envoyé à l’opinion publique pour mettre en lumière des législations qu’il considère comme nocives pour l’innovation. Cette stratégie pourrait cependant être risquée, laissant le marketing autour de l’IA à ses rivaux.
Pour aller plus loin:
– Les fabricants de smartphones misent sur l’IA générative
– Le rebond du marché des smartphones se confirme… sauf pour Apple
Crédit photos: Commission européenne - Apple