Huawei plus fort que Washington
Et aussi: Six géants tech visés par le DMA - Margrethe Vestager prend du recul
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Avec son dernier smartphone, Huawei déjoue les sanctions américaines
Face aux restrictions d’exportation mises en place par Washington, le dernier smartphone haut de gamme de Huawei n’est pas seulement une avancée technologique majeure pour la Chine. C’est aussi une victoire symbolique pour le pays, engagé dans une coûteuse course-poursuite pour sortir de sa dépendance aux puces étrangères les plus avancées. Lancé en toute discrétion fin août, sans communiqué de presse ni fiche technique, le Mate 60 Pro semble être le premier smartphone 5G développé par la marque depuis l’entrée en vigueur de lourdes sanctions américaines il y a trois ans. Selon les premières conclusions du cabinet TechInsights, qui fait référence dans le secteur, le terminal est aussi équipé d’un système sur puce (SoC) gravé en 7 nm par le groupe chinois SMIC – une première.
Liste noire – Accusé d’espionnage au profit de Pékin, Huawei a été placé en septembre 2020 sur une liste noire par les États-Unis, lui interdisant, sauf dérogation, toute relation commerciale avec les fournisseurs américains. Mais aussi avec les groupes étrangers qui utilisent des technologies américaines. Huawei ne peut ainsi plus équiper ses smartphones du système Android, acheter des puces 5G à Qualcomm ou commander certains composants chez le taïwanais TSMC et même chez SMIC. Alors qu’elle venait de ravir la première place du marché à Samsung, la marque a vu ses ventes s’effondrer – tombant quasiment à zéro hors de Chine. Depuis, le groupe de Shenzhen s’est lancé dans une diversification de son activité, tout en cherchant des alternatives aux puces étrangères.
Spéculations – Sur le papier, cette mission semblait impossible, tant les spécialistes chinois des semi-conducteurs comptent des années de retard. Et encore plus depuis l’élargissement des sanctions américaines l’an passé, limitant l’exportation de certains équipements permettant de fabriquer des puces avancées. Beaucoup de spéculations entourent donc “l’exploit” réalisé par SMIC, en collaboration avec HiSilicon, la branche de Huawei spécialisée dans le design des puces. Certains observateurs se demandent si le fabricant a réussi à mettre la main sur un système de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV) du néerlandais ASML, avec lequel sont généralement réalisées les gravures sous les 7 nm. Mais dont l’exportation vers la Chine est interdite depuis des années.
Failles dans les sanctions – Plus probablement, SMIC a utilisé une machine moins sophistiquée, couplée aux dernières avancées de HiSilicon dans le domaine des outils logiciels nécessaires à la conception. Dans tous les cas de figure, ce SoC 5G “made in China” démontre les failles des sanctions américaines. Et peut permettre à Pékin d’espérer que ses efforts portent leurs fruits plus rapidement que prévu. Dans les faits cependant, le trou à combler reste important. Les puces gravées en 7 nm affichent en effet plusieurs générations de retard sur les derniers modèles – le SoC des prochains iPhone devrait être gravé en 3 nm par TSMC. Par ailleurs, les capacités de production semblent encore limitées: le Mate 60 Pro s’est rapidement retrouvé en rupture de stock. Et les coûts de production pourraient être bien plus élevés.
Pour aller plus loin:
– Meng Wanzhou prend la tête d’un Huawei redevenu ambitieux, mais toujours menacé
– En sanctionnant Micron, la Chine riposte aux mesures américaines
Six géants technologiques ciblés par le Digital Markets Act européen
La liste a fait l’objet de tractations à Bruxelles tout au long de l’été. Mercredi, la Commission européenne a dévoilé l’identité des 22 services qui seront ciblés dès le 6 mars 2024 par le Digital Markets Act (DMA), qui vise à favoriser la concurrence dans le numérique. Six sociétés, considérées comme gatekeepers, sont concernées. Google y apparaît huit fois avec notamment son moteur de recherche, sa boutique d’applications Play Store, son navigateur Chrome et YouTube. Meta est touché à six reprises, avec notamment Facebook, Instagram et WhatsApp. Et Apple à trois reprises avec son système iOS, sa boutique AppStore et son navigateur Safari. S’y ajoutent Microsoft (Windows et Linkedin), Amazon (sa place de marché et sa régie publicitaire) et ByteDance, la maison mère de TikTok.
Recours en justice – Le DMA, qui modernise un cadre réglementaire datant de 2000, souhaite attaquer de front les gatekeepers, ces puissants “portiers” capitalisés à plus de 75 milliards d’euros en Bourse ou qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 7,5 milliards d’euros en Europe. Sont concernés leurs services qui comptent au moins 45 millions d’utilisateurs mensuels sur le continent ou 10.000 clients professionnels. Et qui détiennent une“position solidement ancrée et durable” et jouent un rôle de “passerelle” entre des entreprises et leurs clients. Ces deux critères laissent la place à des interprétations. Et donc à de probables recours en justice. Les services d’e-mails Gmail et Outlook ne sont pas concernés. PL’application iMessage d’Apple et le moteur de recherche Bing de Microsoft pourraient aussi être épargnés.
Nouvelles règles – Ces gatekeepers seront soumis à de nouvelles règles. Le DMA va imposer l’interopérabilité des messageries, avec l’espoir de casser les effets de réseau qui figent les positions dominantes. Il va permettre aux possesseurs de smartphones d’utiliser d’autres boutiques d’applications que celles d’Apple et Google. Et aussi d’effacer les applications pré-installées et de choisir les applications par défaut. Le texte prévoit également que ces entreprises ne pourront plus collecter des données sans le consentement de leurs utilisateurs. Elles ne devront plus accorder une place préférentielle à leurs services. Elles devront aussi être plus transparentes avec les annonceurs. Et elles auront l’obligation de prévenir les autorités dès qu’elles rachèteront une société, quelle que soit sa taille.
Changement de philosophie – En cas d’infraction, le texte prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial (et même 20% en cas de récidive), un démantèlement ou encore l’exclusion du marché unique. Contrairement au RGPD, qui s’appuie sur les autorités nationales, c’est la Commission européenne qui se chargera de faire appliquer ces nouvelles obligations. Le Digital Markets Act représente un changement majeur de philosophie. Au lieu de réagir a posteriori aux entraves à la concurrence par l’intermédiaire d’enquêtes antitrust aussi longues que complexes – et qui débouchent sur des sanctions financières jugées peu efficaces –, l’Europe va désormais imposer des règles claires dès le départ pour empêcher ces pratiques.
Pour aller plus loin:
– Dix-neuf “très grandes plateformes” désormais soumises au DSA européen
– Facebook veut concurrencer les boutiques d’applications d’Apple et Google
La redoutée Margrethe Vestager quitte temporairement la Commission européenne
Une page commence peut-être à se tourner à la Commission européenne. En lice pour la présidence de la Banque européenne d’investissement, Margrethe Vestager a annoncé mardi sa mise en retrait temporaire de son poste de commissaire à la concurrence. À Bruxelles, l’ancienne vice-première ministre danoise a bâti sa réputation en infligeant de lourdes amendes aux géants américains, en particulier Google, condamné à trois reprises entre 2017 et 2019 pour un montant proche des 9 milliards d’euros. En attendant le résultat du scrutin, qui aura lieu mi-septembre, ses fonctions vont être partagées. Didier Reynders, le commissaire belge à la justice, récupère les dossiers liés à la concurrence. Vera Jourová, la commissaire tchèque chargée de la transparence et des valeurs, hérite du numérique. Et notamment du Digital Services Act qui s’applique depuis le 25 août aux “très grandes plateformes”, et du Digital Markets Act, qui entrera en vigueur en mars 2024.
Pour aller plus loin:
– Comment la CMA est devenue la nouvelle bête noire des géants de la tech
– Bruxelles ne désarme pas devant les avantages fiscaux des géants technologiques
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Crédit photos: Commission européenne - Huawei