La très mauvaise semaine d'Apple
DOJ, DMA, Epic, Chine, Wall Street... Les déboires s'accumulent pour le groupe à la pomme
Les États-Unis s'attaquent au "pouvoir monopolistique" d'Apple
Il aura fallu cinq ans, et deux présidents, au département américain de la Justice (DOJ) pour concrétiser son enquête antitrust sur Apple. Jeudi, il a déposé plainte contre le concepteur de l’iPhone, l’accusant d’avoir mis en place des pratiques anticoncurrentielles sur le marché des smartphones. “Pendant des années, Apple a répondu aux menaces en imposant des règles contractuelles et restrictions”, assure ainsi Jonathan Kanter, responsable de la division antitrust du DOJ, déjà à la baguette de la procédure lancée l’an passé contre Google. Le groupe devra, très probablement, affronter un procès à haut risque. Au-delà d’une sanction financière, il pourrait se voir imposer d’importants changements pouvant se répercuter sur ses profits. Et aussi un démantèlement, même si les experts judiciaires estiment ce scénario hautement improbable.
L’App Store absent – Dans sa plainte, le gouvernement américain met en avant cinq comportements qu’il juge anticoncurrentiels. D’abord, Apple a entravé le développement de “super apps”, sur le modèle de WeChat. Il a également sévèrement limité les plateformes de cloud gaming (jeu vidéo sans installation). Ensuite, il ne permet pas l’envoi de SMS par des applications tierces, au profit de sa plateforme iMessage. Et il restreint volontairement la compatibilité entre son iPhone et les montres connectées des autres marques, donnant un avantage à la sienne, tout en empêchant les possesseurs d’une Apple Watch de l’utiliser avec un smartphone Android. Enfin, Apple n’ouvre pas l’accès à la puce NFC, accordant ainsi un monopole à sa solution de paiement mobile. À noter, que le DOJ ne se concentre pas sur l’App Store, au cœur du procès perdu par Epic Games.
“Pouvoir monopolistique” – La plainte du département de la Justice se distingue également de celle déposée par l’éditeur du jeu vidéo Fortnite sur la définition du marché, un élément capital dans les dossiers antitrust. Epic l’avait en effet limité aux iPhone, un argument rejeté par la juge chargée du dossier. Le DOJ considère bien l’ensemble du marché des smartphones, mais préfère parler en termes de recettes plutôt que d’unités vendues, ce qui lui permet d’attribuer une part de marché plus importante à Apple – 65% pour l’ensemble des smartphones, 70% pour les smartphones “performants”. C’est bien moins, par exemple, que les 97% que contrôlait Windows lors du procès antitrust contre Microsoft en 2001. Le gouvernement américain estime cependant qu’Apple dispose bien d’un “pouvoir monopolistique”.
Longue procédure – Pour le démontrer, le DOJ évoque les obstacles financiers et technologiques pour un possesseur d’iPhone basculant vers un appareil Android. Des obstacles qu’Apple a toujours cherché à renforcer. La tâche s’annonce cependant difficile. Les lois antitrust américaines sont en effet relativement favorables aux entreprises, car elles imposent de démontrer un préjudice pour les consommateurs. Dans sa réponse, Apple met ainsi en avant ses “technologies que les gens aiment”. La procédure devrait prendre des années: le procès de la plainte déposée en 2020 contre Google n’a eu lieu qu’à l’automne. Et le verdict n’est pas encore connu… avant un probable appel. En attendant, les murs de l’écosystème fermé d’Apple devraient continuer à se fissurer de plus en plus, sous la pression de ses opposants ou la contrainte des régulateurs.
Pour aller plus loin:
– Bruxelles inflige une lourde amende à Apple
– Aux États-Unis, Google affronte un procès historique
Bruxelles va ouvrir une procédure contre Apple dans le cadre du DMA
Les multiples concessions annoncées ces dernières semaines par Apple n’auront pas suffi. Selon l’agence Bloomberg, la Commission européenne va officiellement lancer, cette semaine, une procédure contre la société américaine – et aussi contre Google – dans le cadre du Digital Markets Act. Entré en vigueur début mars, ce texte cherche à renforcer la concurrence dans le numérique. Mais il laisse les géants du secteur, baptisés “contrôleurs d’accès”, décider eux-mêmes des modifications à adopter pour se mettre en conformité. Apple a tenté de profiter de cette marge de manœuvre pour imposer des règles visant à bloquer l’émergence de nouvelles boutiques d’applications sur son système iOS, capable de rivaliser avec son App Store. Et ainsi de préserver au maximum un statu quo qui lui permet d’engranger des milliards d’euros de profits chaque année.
Nouvelles commissions – Depuis le début, la stratégie d’Apple est simple: tester la Commission européenne et les limites du DMA, puis céder sur quelques points mineurs. Le groupe a ainsi maintenu la mesure la plus critiquée par ses opposants: une nouvelle commission de 50 centimes pour chaque “premier téléchargement annuel”, au-delà de la barre du million, imposée aux développeurs qui souhaitent passer par un autre magasin ou utiliser une autre plateforme de paiement. Conséquence: de nombreuses applications devront, en réalité, verser davantage qu’aujourd’hui. Cette mesure doit les inciter à conserver le système actuel. La procédure lancée par Bruxelles n’est donc pas une surprise. C’est en effet la crédibilité de la réglementation qui est déjà en jeu si Apple peut si facilement en déjouer les objectifs.
Pour aller plus loin:
– Commissions et restrictions: comment Apple veut contrecarrer le DMA
– Bruxelles inflige une lourde amende à Apple
Face à Apple, Meta, Microsoft et Spotify s'allient à Epic Games
Du soutien pour Epic Games dans son interminable conflit judiciaire contre Apple. La semaine dernière, Microsoft, Meta, Spotify, Match et X (l’ex Twitter) ont accusé le groupe à la pomme de ne respecter “ni la lettre ni l’esprit” d’un jugement l’obligeant à ouvrir, un peu, son système iOS. Rendu en 2021, après une plainte déposée un an plus tôt par le développeur du populaire jeu vidéo Fortnite, puis confirmé l’an passé en appel, celui-ci remet en cause la très contestée pratique d’anti-steering, qui interdit aux applications de rediriger leurs utilisateurs vers un site Internet pour réaliser un achat ou souscrire à un abonnement. Il ordonne ainsi à Apple d’autoriser les développeurs à ajouter des “liens externes” et des “boutons” pour réaliser ces transactions sans passer par le système de paiement du concepteur de l’iPhone.
Rabais limité – Mais Apple a choisi d’imposer des conditions très restrictives, limitant drastiquement les possibilités d’insérer des liens pour réaliser un achat externe. Surtout, la société prévoit de contraindre les développeurs à lui verser une commission de 12% ou 27% sur chaque achat – contre 15% et 30% actuellement. Un rabais très limité, qui compense tout juste les frais de paiement des systèmes alternatifs. Et qui vise donc à empêcher les applications d’offrir des prix plus bas ailleurs. Ces règles sont “clairement conçues pour rendre les alternatives peu pratiques pour les développeurs, et inaccessibles et peu attrayantes pour les consommateurs”, dénoncent Microsoft, Meta, X et Match dans un document commun transmis à la juge en charge du dossier, déjà saisie par Epic. Une première audience est prévue le 30 avril.
Pour aller plus loin:
– Apple restaure le compte développeur d’Epic
– Face à Epic, Google concède une défaite judiciaire retentissante
En Chine, les ventes d'Apple continuent de chuter
Une deuxième visite en cinq mois. La semaine dernière, Tim Cook a effectué un voyage en Chine, inaugurant un magasin à Shanghai puis participant à un forum économique à Pékin, au cours duquel il devait rencontrer, selon le Wall Street Journal, le président Xi Jinping. L’occasion aussi de rappeler le rôle “crucial” de l’industrie chinoise dans le succès d’Apple. Cette opération de relations publiques intervient au moment où la marque à la pomme rencontre une série de problèmes sur le premier marché mondial des smartphones. Très loin de la “relation symbiotique” que vantait son patron il y a tout juste un an. Depuis, le régime chinois a changé d’attitude, notamment parce que le groupe relocalise une part croissante de sa production en Inde. À l’automne, plusieurs administrations et entreprises publiques ont, par exemple, banni l’iPhone.
Chute des ventes – Surtout, Apple affiche une chute continue des ventes d’iPhone dans le pays, malgré une multiplication des promotions. Selon les estimations du cabinet Counterpoint, celles-ci ont plongé de 24% au cours des six premières semaines de l’année, sur un marché qui affiche une baisse limitée à 7%. Au quatrième trimestre 2023, son chiffre d’affaires avait déjà reculé de 13% en Chine. Le groupe fait notamment face au retour au premier plan de Huawei, qui a enfin réussi à contourner les sanctions américaines pour lancer, fin août, un nouveau smartphone 5G. Une prouesse technologique qui a suscité un élan de patriotisme dans un contexte de tensions géopolitiques avec les États-Unis. Depuis, l’ancien numéro un mondial du secteur enregistre une spectaculaire croissance de ses ventes, retrouvant même provisoirement sa place de leader.
Pour aller plus loin:
– En Chine, Apple n’est plus épargné par les autorités
– Pourquoi Apple accélère l’assemblage de l’iPhone en Inde
En Bourse, Apple ne convainc plus les investisseurs
Tout un symbole. Jeudi, l’action de Microsoft a touché son plus haut niveau historique, alors que celle d’Apple accusait sa plus forte baisse depuis sept mois, portant son repli à 11% depuis le début de l’année. Si le géant de Redmond profite toujours des attentes autour de l’intelligence artificielle générative, son rival de Cupertino paie l’absence, perçue ou réelle, de véritables relais de croissance, capables de reléguer au second plan ses difficultés actuelles. Les investisseurs se focalisent ainsi sur l’évolution négative de son chiffre d’affaires, que les analystes attendent en baisse de 7% cette année, après un repli de 3% l’an passé. Et sur l’offensive des régulateurs en Europe et aux États-Unis, qui menace d’amputer les profits de sa division services, la seule à afficher des recettes en hausse.
En retard sur l’IA – En février, pourtant, Apple a lancé son casque de réalité augmentée, le Vision Pro, qui doit lui permettre de faire émerger une nouvelle plateforme, “l’informatique spatiale”, pouvant remplacer un jour les smartphones ou les ordinateurs. Mais cela prendra, au mieux, des années pour porter ses fruits. Surtout, les marchés ne semblent plus s’intéresser qu’à l’IA générative, dont le spectaculaire essor n’a pas été anticipé par la société dirigée par Tim Cook. Depuis, elle peine à rattraper son retard à l’allumage. Selon l’agence Bloomberg, elle négocie donc avec plusieurs sociétés, notamment Google, pour proposer des fonctionnalités d’IA dans ses prochains smartphones. Pour ne rien arranger: Apple vient aussi d’abandonner son projet de voiture électrique autonome, sur lequel elle travaillait depuis dix ans.
Pour aller plus loin:
– En retard sur l’IA générative, Apple négocie avec… Google
– Apple abandonne son projet de voiture électrique autonome
Crédit photos: Unsplash / James Yarema – Flickr / steamXO