Procès historique contre Google
Et aussi: Apple, Samsung et Mozilla peuvent aussi perdre gros - Instacart lance son introduction en Bourse
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Aux États-Unis, Google affronte un procès historique
Vingt-cinq ans après Microsoft, c’est au tour de Google de retrouver le gouvernement américain devant la justice. À partir de mardi, un tribunal fédéral va examiner pendant les dix prochaines semaines les poursuites antitrust visant le groupe de Mountain View, accusé d’utiliser des méthodes illégales pour maintenir sa position dominante dans la recherche en ligne. Un procès à gros enjeu pour Google, qui risque de se voir imposer d’importants changements pouvant se répercuter sur son chiffre d’affaires. Et aussi un démantèlement, même si les experts judiciaires estiment ce scénario hautement improbable. Mais l’affaire est aussi cruciale pour le Département de la justice (DOJ), dans sa volonté de hausser le ton face à la domination des géants technologiques américains.
Accord avec Apple – Ce procès, déjà qualifié d’historique, est l’aboutissement d’une longue procédure, lancée il y a trois ans sous la présidence Trump. Puis, poursuivie par l’administration Biden. Les autorités reprochent à Google d’obliger les fabricants de smartphones Android à pré-installer son moteur, sous peine de ne plus avoir accès à l’indispensable boutique d’applications Play Store. Et également d’avoir signé des accords commerciaux, notamment avec Apple, Samsung et Mozilla, le concepteur de Firefox, pour s’assurer d’être le moteur par défaut de leur navigateur. La société profiterait ainsi de la position dominante d’Android et de sa puissance financière pour empêcher l’émergence de véritables rivaux. Aux États-Unis, Google s’accapare 89% des recherches, selon les estimations du cabinet Statcounter.
“Les gens veulent utiliser Google” – Le partenariat avec Apple devrait être au centre du procès. Non seulement parce que Google aurait versé 18 milliards de dollars l’an passé au groupe à la pomme, selon les analystes de Sanford Bernstein. Mais aussi parce que le DOJ dispose d’un e-mail dans lequel des responsables des deux sociétés s’engagent à “travailler comme si nous n’étions qu’une seule entreprise”. Pour défendre ses pratiques, Google assure qu’il est facile de changer le moteur par défaut. “Les gens n’utilisent pas Google parce qu’ils n’ont pas le choix, ils l’utilisent parce qu’ils le veulent”, souligne Kent Walker, son directeur juridique. Pour preuve, ajoute-t-il, le terme “Google” est le plus recherché par les internautes sur Bing, le moteur par défaut sur Windows et sur le navigateur Edge de Microsoft.
Interprétation – Mais alors pourquoi dépenser autant d’argent ? La société assure qu’il s’agit simplement de mieux mettre en avant son moteur, comme le ferait une marque de céréales pour placer ses produits en tête de gondole dans un supermarché. Le DOJ estime, de son côté, que Google perdrait des milliards de dollars au profit de ses rivaux s’il n’était plus le moteur par défaut. L’issue du procès pourrait reposer sur une interprétation des lois antitrust américaines, qui datent de 1890. Celles-ci ne se basent pas sur les dommages subis par les rivaux d’une entreprise, mais par les consommateurs, notamment par l’intermédiaire d’une hausse de prix. Or, Google est accessible gratuitement. Mais le DOJ va essayer de prouver que sa position dominante a privé les consommateurs d’innovations dans le secteur.
Pour aller plus loin:
- Les États-Unis veulent démanteler la machine publicitaire de Google
- Six géants technologiques ciblés par le Digital Markets Act européen
Apple, Samsung et Mozilla ont aussi beaucoup à perdre
Le procès antitrust visant Google ne menace pas seulement le moteur de recherche. Il pourrait également faire de nombreuses victimes collatérales, en cas de jugement ou d’accord à l’amiable mettant fin aux pactes commerciaux conclus par la société de Mountain View – qui pourraient être remplacés par un système d’enchères, beaucoup moins lucratif, similaire à ce qu’il se fait en Europe. Apple pourrait ainsi perdre beaucoup d’argent: l’an passé, le groupe à la pomme aurait reçu 18 milliards de dollars pour que Google soit le moteur par défaut de son navigateur Safari, selon les estimations des analystes de Sanford Bernstein. Cela représente près de 20% de ses profits annuels. Samsung pourrait, lui, perdre jusqu’à 3 milliards de dollars par an. Et la fondation Mozilla, qui conçoit le navigateur Firefox, risque encore plus gros: les fonds versés par Google représentent plus de 80% de ses recettes. Les trois grands opérateurs mobiles américains sont également concernés.
Avec Instacart, les introductions en Bourse technologiques sont de retour
En mars 2021, en pleine crise sanitaire, la valorisation d’Instacart s’était envolée à 39 milliards de dollars (36,5 milliards d’euros). Pour sa prochaine introduction en Bourse, normalement la semaine prochaine, la plateforme américaine de livraison de courses ne vise plus, au mieux, qu’une valorisation de 9,3 milliards. Entre ces deux dates, le contexte a bien changé. L’euphorie autour des valeurs technologiques a pris fin brutalement. Et peu de start-up s’aventurent à entrer à Wall Street. Les performances de la société basée à San Francisco, et dirigée par la française Fidji Simo, ancienne responsable de Meta, seront donc scrutées de près par les nombreuses start-up qui espèrent toujours franchir le pas. À condition certainement d’accepter de revoir leurs prétentions à la baisse.
Publicité – Lancé en 2012, Instacart a été l’un des pionniers de la livraison de courses du quotidien aux États-Unis, instaurant un nouveau modèle sans entrepôts – ses shoppers récupèrent les produits dans les rayons des supermarchés du quartier. Son activité a connu un bond pendant la pandémie. Depuis deux ans cependant, la société accuse un net ralentissement de sa croissance. Sur les six premiers mois de l’année, le nombre de commandes réalisées sur son site est resté stable. Pour séduire Wall Street, Instacart possède cependant deux arguments. D’abord, la start-up est devenue rentable, avec un bénéfice net de 242 millions de dollars au premier semestre. Ensuite, son activité publicitaire, qui génère des marges élevées, continue de progresser, représentant près de 30% de son chiffre d’affaires.
Baisse de la valorisation – Si Instacart a pu s’ouvrir les portes du Nasdaq, c’est aussi parce que ses dirigeants ont adopté une stratégie inhabituelle. Par deux fois, ils ont abaissé volontairement la valorisation de la société, ramenée d’abord à 24 milliards début 2022, puis à 12 milliards début 2023. Une telle initiative est particulièrement rare dans le monde des start-up, qui acceptent généralement de baisser leur valeur uniquement pour pouvoir attirer des investisseurs dans des moments difficiles, afin de mener un nouveau tour de table. Cette décision s’expliquait aussi par des objectifs de recrutement et de rétention des salariés. La société offre en effet une partie de sa rémunération en actions: plus la valeur de chaque titre est élevée, voire survalorisée, et moins le potentiel de gain est important pour les employés.
Retour des IPO ? – Dans la Silicon Valley, beaucoup espèrent que les premiers pas boursiers d’Instacart – plus que ceux à venir d’Arm – enclenchent une nouvelle dynamique capable de relancer les IPO technologiques. Depuis le début de l’année, aucune opération d’envergure n’a en effet eu lieu aux États-Unis. Pourtant, ces derniers mois, les marchés boursiers sont repartis de l’avant. Et certaines valeurs technologiques ont enregistré des gains significatifs. Le problème n’est plus le contexte boursier ou les inquiétudes macroéconomiques, ce sont les valorisations des start-up encore non cotées. Des valorisations démesurées qui ne se justifient pas aux yeux des investisseurs de Wall Street. Pour aller en Bourse, l’immense majorité de ces entreprises devront donc accepter, comme Instacart, une forte décote.
Pour aller plus loin:
- Les introductions en Bourse des sociétés technologiques au ralenti
- Clap de fin pour la livraison ultrarapide de courses en France
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Crédit photos: Unsplash / Nathana Rebouças - Instacart