La nouvelle shérif de la tech
Et aussi: Apple rappelé à l'ordre par Bruxelles – Clara Chappaz au gouvernement
À Bruxelles, Henna Virkkunen reprend les rênes du DMA et du DSA
Ce n’est pas un, mais deux costumes que va reprendre Henna Virkkunen. Au petit jeu des intitulés de poste et des ordres de mission, la nouvelle commissaire européenne à la souveraineté technologique, la sécurité et la démocratie va récupérer une grande partie des prérogatives de Margrethe Vestager et de Thierry Breton, respectivement responsables de la concurrence et du marché intérieur au sein du précédent exécutif bruxellois. Elle sera notamment chargée des initiatives autour de l’intelligence artificielle, comme les “usines d’IA” que Bruxelles souhaite créer. Elle suivra aussi l’avancée du Chips Act, qui vise à quadrupler la production de puces en Europe. Et elle aura enfin la lourde tâche de faire appliquer le Digital Services Act et le Digital Markets Act, les deux nouvelles réglementations européennes du numérique.
Enquête sur X – Eurodéputée depuis 2014, Henna Virkkunen devrait ainsi se retrouver rapidement en première ligne. Car les dossiers chauds ne manquent pas. Dans le cas du DSA, les services européens ont lancé plusieurs enquêtes sur les mesures mises en place par les réseaux sociaux pour lutter contre la désinformation, notamment lors du conflit israélo-palestinien et des élections européennes. La procédure la plus explosive concerne probablement X, l’ancien Twitter, qui ne manquera pas de crier à la censure en cas de sanctions. Si Elon Musk, son propriétaire, a certainement célébré le départ de Thierry Breton, l’arrivée de la responsable finlandaise n’est pas forcément le signe d’une application moins sévère du DSA pour les géants américains. Henna Virkkunen a en effet participé à l’élaboration du texte au Parlement.
Discuter avec Apple – La nouvelle commissaire devra aussi gérer les relations avec Apple, rappelé à l’ordre dans le cadre du DMA, qui vise, lui, à renforcer la concurrence dans le numérique. Elle aura pour mission de mener une phase de discussions imposée la semaine dernière au groupe à la pomme, vent debout contre cette législation, sur l’interopérabilité de ses systèmes d’exploitation. Surtout, elle devra se pencher sur le dossier des boutiques tierces d’application, alors qu’Apple a imposé une nouvelle structure de commissions visant à empêcher l’émergence de véritables rivaux à son App Store. D’autres procédures sont en cours contre Google et Meta, la maison mère de Facebook et d’Instagram. Là aussi, sa volonté de faire appliquer la réglementation ne devrait pas être bien différente de celle de Margrethe Vestager.
L’antitrust en retrait ? – Contrairement à l’ancienne commissaire danoise, Henna Virkkunen ne sera en revanche pas responsable de la concurrence. Les services antitrust seront en effet placés sous la tutelle de l’espagnole Teresa Ribera au sein d’un portefeuille très élargi, principalement centré autour de la transition écologique. Ce changement pourrait signifier une stratégie moins agressive contre les géants du numérique. Par exemple, sur les avantages fiscaux accordés à Apple ou à Amazon. Ou encore sur de potentiels abus de position dominante, comme pour la machine publicitaire de Google, que Margrethe Vestager envisageait, elle, de démanteler. Sur ce point, Bruxelles estime peut-être disposer, avec le DMA, d’un cadre réglementaire suffisant pour s’attaquer aux pratiques anticoncurrentielles et pour empêcher les prochaines.
Pour aller plus loin:
– Comment la CMA est devenue la nouvelle terreur des géants de la tech
– Lina Khan, 32 ans et nouvelle bête noire des géants de la tech ?
Bruxelles accentue la pression sur Apple
C’est une première depuis l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA). Et un nouvel épisode de la grande bataille qui oppose Apple à Bruxelles. La semaine dernière, la Commission européenne a annoncé l’ouverture de deux “procédures de spécification” à l’encontre du groupe à la pomme, portant sur l’interopérabilité de ses systèmes d’exploitation iOS et iPadOS. Celles-ci visent à le “guider vers une conformité à ses obligations d’interopérabilité grâce à un dialogue constructif”, explique Margrethe Vestager, qui est encore pour quelques semaines la commissaire à la concurrence. Ces discussions pourront durer jusqu’à six mois. Pour mettre la pression, l’exécutif européen rappelle qu’il peut infliger des amendes. Et qu’il peut “de sa propre initiative” imposer des mesures aux “gatekeepers”, dont fait partie la société américaine.
Risque de sécurité ? – Pour renforcer la concurrence dans le numérique, le DMA établit de grands principes que doivent respecter les géants du secteur. L’un d’entre eux porte sur l’interopérabilité entre les différents terminaux et logiciels. Jusqu’à présent, l’attention s’est beaucoup concentrée sur les messageries, en particulier WhatsApp et iMessage, qu’Apple a réussi à faire exclure du champ d’application de cette mesure, notamment en adoptant le protocole RCS. Les obligations sont cependant beaucoup plus larges. Le groupe de Cupertino tente de limiter l’interopérabilité de ses terminaux et services, mettant en avant les risques pour la sécurité des utilisateurs et de leurs données. Il essaie ainsi de s’engouffrer dans une faille du DMA, qui prévoit des exemptions pour protéger “l’intégrité du hardware et du système d’exploitation”.
Montres connectées – La première “procédure de spécification” porte sur l’interopérabilité d’iOS et d’iPadOS avec les montres connectées, les écouteurs et les casques de réalité virtuelle. Celle-ci va notamment se concentrer sur les notifications, l’appairage et la connectivité. Sans le dire clairement, l’Europe reproche à Apple de restreindre volontairement la compatibilité entre l’iPhone et les montres des autres marques, donnant un avantage à la sienne. La deuxième procédure cible les demandes d’interopérabilité émises par les développeurs. Si Bruxelles ne le précise pas, cela pourrait concerner l’accès à l’assistant vocal Siri. Ou encore à la puce NFC pour les paiements mobiles, que la société s’est engagée à ouvrir aux banques. “Il est essentiel que la procédure de demande soit transparente, rapide et équitable”, explique la Commission.
Deux autres enquêtes – La période de discussions entre Bruxelles et Apple pourrait être tendue, tant les relations entre les deux camps sont très compliquées depuis plusieurs mois. Vent debout contre le DMA, qui a pour ambition d’affaiblir ses positions, le concepteur de l’iPhone a multiplié les déclarations incendiaires contre la nouvelle réglementation. Et il a décidé de reporter le lancement de ses fonctionnalités d’intelligence artificielle générative sur le continent. De son côté, Bruxelles a déjà ouvert une procédure formelle contre Apple, portant sur la pratique d’anti-steering, qui interdit aux développeurs d’application mobiles de rediriger leurs utilisateurs vers un site Internet afin de réaliser un achat ou souscrire à un abonnement. Une deuxième enquête est en cours sur les boutiques tierces d’applications.
Pour aller plus loin:
– L’Europe condamne Apple à rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux
– Apple repousse le lancement de ses fonctionnalités d’IA en Europe
Clara Chappaz nommée secrétaire d’État à l’IA et au numérique
Elle n’a pas encore officiellement quitté la direction de la Mission French Tech qu’elle a déjà un nouveau poste. Samedi, Clara Chappaz a été nommée secrétaire d’État à l’Intelligence artificielle et au numérique. Des fonctions qu’elle ne prendra cependant qu’après son congé maternité qui commence début octobre. Cette annonce surprise a été très bien accueillie par la French Tech. “Elle connaît bien les start-up. C’est un atout d’avoir une ministre qui connaît bien la ‘vraie vie’ d’une scale-up”, souligne un professionnel du secteur, faisant référence au passage de Clara Chappaz chez Vestiaire Collective, où elle a été directrice du développement commercial. Sa nomination s’accompagne de deux nouveautés. D’abord, la mention de l’IA dans l'intitulé du portefeuille, signe de l’importance prise par le secteur depuis deux ans. Ensuite, son rattachement au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Et non plus au ministère de l’Économie et des finances – auquel est rattachée la Mission French Tech. De quoi laisser planer le doute sur les relations et la répartition des tâches entre les deux.
Pour aller plus loin:
– La Mission French Tech cherche sa nouvelle tête
– Les incertitudes politiques fragilisent encore un peu plus la French Tech
Crédit photos: Mikko Mäntyniemi - Apple