Le mauvais calcul politique des géants de la tech
Et aussi: Chrome et Safari menacés au Royaume-Uni
Face aux Gafa, l'administration Trump montre les muscles
En prêtant allégeance de manière aussi éhontée à Donald Trump, les géants technologiques américains espéraient de la nouvelle administration un traitement plus favorable que celui réservé par la précédente. Mais leur calcul politique n’a pas porté ses fruits. Deux mois après la passation de pouvoir, tous les signes pointent en effet vers un climat au moins aussi difficile. Non seulement les procédures contre Google, Apple ou Meta pour des pratiques jugées anticoncurrentielles, principalement lancées pendant le premier mandat du président américain, se poursuivent sans réelle perspective d’assouplissement. Mais un nouveau front pourrait aussi s’ouvrir: celui d’une prétendue censure des discours conservateurs. Un rappel que les groupes tech restent, malgré leurs efforts parfois grossiers, une cible de choix dans le camp trumpiste.
“L’une de nos priorités” – Cette approche est illustrée par les responsables choisis par Donald Trump, peut-être sous l’influence de son vice-président JD Vance. Aux États-Unis, la politique de la concurrence est menée par la Federal Trade Commission et par la division antitrust du département de la Justice. Le locataire de la Maison Blanche a choisi de placer à leur tête deux responsables connus pour leurs critiques contre la position dominante des grandes sociétés tech. “Elles restent l’une de nos priorités”, assure ainsi Andrew Ferguson, le nouveau patron de la FTC, qui promet de mobiliser “toutes les ressources nécessaires” pour les plaintes déposées contre Meta et Amazon. Lors de son audition de confirmation au Sénat, Gail Slater, nommée au DOJ, a tenu un discours similaire. Elle supervisera notamment les procédures contre Google et Apple.
Vente de Chrome – Les premières décisions de la nouvelle administration confirment une certaine continuité. Selon l’agence Bloomberg, la FTC a décidé de poursuivre l’enquête antitrust contre Microsoft déclenchée sous l’administration Biden. Celle-ci porte notamment sur le marché du cloud. Le groupe de Redmond est accusé, en particulier par Google, de se livrer à une vente liée au profit de sa plateforme Azure. Dans un autre dossier, le régulateur se penche sur l’étrange accord conclu l’an passé avec la start-up Inflection AI, qui pourrait être considéré comme une acquisition déguisée. De son côté, le DOJ a maintenu l’essentiel des demandes formulées en novembre dernier dans le cadre d’un procès contre Google. Il réclame toujours la vente du navigateur Internet Chrome afin de relancer la concurrence dans le domaine de la recherche en ligne.
Multiples dossiers – D’autres échéances approchent. Mi-avril, un procès doit s’ouvrir contre Meta. La FTC devrait alors demander à la justice américaine de contraindre le réseau social à revendre Instagram et WhatsApp. En septembre, le gendarme de la concurrence retrouvera aussi Amazon devant un tribunal. Le géant du commerce en ligne est accusé d’avoir trompé ses clients pour les pousser à s’abonner à son offre Prime. L’an prochain, il sera au cœur d’un procès pour abus de position dominante. Le DOJ sera, lui aussi, bien occupé. Au cours des prochains mois, il devra proposer des mesures correctives en cas de nouvelle condamnation de Google, cette fois-ci sur le marché des technologies publicitaires – le procès s’est tenu l’an passé. Il devra aussi poursuivre les poursuites antitrust lancées contre Apple. Et ses investigations sur Nvidia.
Pour aller plus loin:
– Mark Zuckerberg demande l’aide de Donald Trump contre l’Europe
– L’administration Trump menace le cadre européen sur le transfert de données
L'invraisemblable volte-face de la FTC avant son procès contre Amazon
Le gouvernement américain a-t-il encore les moyens financiers d’affronter Amazon devant la justice ? La semaine dernière, la Federal Trade Commission a demandé le report du procès prévu en septembre… avant de faire volte-face quelques heures plus tard. Lors d’une audience, un avocat du gendarme de la concurrence invoquait initialement “un manque de ressources extrêmement grave en termes d’argent et de personnel”, faisant référence aux mesures prises depuis janvier, sous l’impulsion d’Elon Musk, pour réduire les dépenses de l’État. La FTC évoque désormais une erreur de communication. Et assure pouvoir respecter le calendrier fixé l’an passé par le juge. Amazon est accusé d’avoir mis en place des interfaces trompeuses (dark patterns) pour pousser ses clients à s’abonner à l’offre Prime. Et de rendre le désabonnement particulièrement difficile. Le géant du commerce en ligne risque une sanction financière d’un milliard de dollars. Il est aussi poursuivi par la FTC dans le cadre d’une autre affaire, potentiellement beaucoup plus dangereuse, pour abus de position dominante. Le procès doit avoir lieu en octobre 2026.
Pour aller plus loin:
– Accusé de monopole “illégal”, Amazon n’échappera pas à un procès aux États-Unis
– Comment un algorithme secret a rapporté un milliard de dollars à Amazon
Le Royaume-Uni veut s'attaquer à la position dominante de Chrome et Safari
La menace se précise pour Google et Apple au Royaume-Uni. La semaine dernière, deux ans et demi après avoir ouvert une enquête, la Competition & Markets Authority a en effet publié ses conclusions sur le marché des navigateurs Internet. Dans un rapport de 611 pages – sans compter les cinq annexes –, le gendarme antitrust britannique détaille les pratiques mises en place par les deux géants américains afin de limiter la compétition sur ce marché. “La concurrence ne fonctionne pas, ce qui freine l’innovation”, assure Margot Daly, qui a dirigé le groupe d’enquête. La CMA propose ainsi une série de mesures correctives, visant principalement Apple, coupable des restrictions les plus graves. Celles-ci pourraient être appliquées dans le cadre d’un nouvel arsenal réglementaire, le DMCC, qui s’inspire du Digital Market Act européen.
Moteurs pré-installés – Dans son rapport, l’autorité souligne la position oligopolistique de Chrome et de Safari, qui captent 46% et 44% du marché au Royaume-Uni. Les navigateurs de Google et d’Apple profitent grandement de la position préférentielle qu’ils occupent respectivement sur les systèmes mobiles Android et iOS. Le second est en effet pré-installé et défini comme le navigateur par défaut sur chaque iPhone et iPad. Le premier l’est aussi sur quasiment tous les appareils Android, grâce à des accords commerciaux signés avec les principaux fabricants de smartphones et tablettes. Or, la CMA note que 84% des utilisateurs n’ont jamais téléchargé un autre navigateur depuis une boutique d’applications, notamment parce qu’ils “ne comprennent pas facilement ce qu’est un navigateur”. Cela explique pourquoi aucun concurrent n’a réussi à émerger.
Webkit obligatoire – Sur iOS, la CMA note par ailleurs qu’Apple contraint ses rivaux à utiliser la même technologie que Safari, appelée WebKit, sans pour autant leur donner accès à toutes les fonctionnalités. Cette obligation signifie que ces navigateurs “ne peuvent pas rivaliser en proposant des améliorations”. Autrement dit: l’incitation à utiliser un concurrent est limitée. Cette situation permet aussi au groupe à la pomme de contrôler le rythme d’innovation. Et ainsi, selon la CMA, de limiter les fonctionnalités des applications Web, qui peuvent être installées sans passer par une boutique, permettant d’échapper aux commissions d’Apple sur les achats et abonnements. Enfin, le gendarme antitrust estime que Google a peu d’intérêt à investir massivement pour détrôner son rival sur iOS, car un accord lui assure d’être le moteur de recherche par défaut de Safari.
Écran de sélection – Pour relancer la concurrence, la CMA propose la mise en place d’un écran de sélection du navigateur lors de la première utilisation d’un smartphone ou d’une tablette. Une pratique déjà imposée par le DMA européen, qui a permis aux navigateurs alternatifs de gagner du terrain – sans toutefois remettre en cause l’archi domination des deux géants. Le régulateur préconise également de mettre fin, comme en Europe, à l’exclusivité de WebKit sur iOS. Il demande enfin l’interdiction des accords commerciaux entre Google et les fabricants. Ces propositions pourraient se concrétiser dans le cadre du DMCC, adopté fin janvier. Ce texte donne en effet à la CMA le pouvoir d’imposer des mesures correctives aux entreprises ayant un “pouvoir de marché substantiel”. Une désignation qui sera très probablement attribuée à Google et Apple.
Pour aller plus loin:
– Comment la CMA est devenue la nouvelle bête noire des géants de la tech
– Au Royaume-Uni, Apple affronte une première class action à haut risque
Crédit photos: Unsplash / Solen Feyissa
Les US ont toujours lutté contre les monopoles et essayé de démanteler les grands groupes rien de nouveau mais tu as raison de noter que l’allégeance à Trump visait à en diminuer les effets. Raté ! Maintenant cela montre clairement que le pouvoir reste à Washington et pas dans la Silicon Valley comme certains semblaient le prétendre…