La "trahison" de Spotify
Et aussi: Honor veut poursuivre sa percée - Facebook fait marche arrière
Pourquoi l'industrie du disque accuse Spotify de "trahison"
Une “trahison”. L’Association américaine des éditeurs de musique (NMPA) ne décolère pas contre Spotify. Et pour cause: la plateforme de streaming suédoise a procédé en mars à un ajustement de ses offres qui va lui permettre de réduire la somme qu’elle reverse aux artistes, compositeurs et maisons de disques. Une véritable déclaration de guerre, estime la NMPA, après deux années de relations plutôt apaisées entre les deux camps. L’organisation chiffre ce manque à gagner à 150 millions de dollars sur les douze premiers mois. La semaine dernière, elle a donc décidé de porter l’affaire devant la Federal Trade Commission, le gendarme américain de la concurrence, aussi chargé de la protection des consommateurs. Elle a également saisi les procureurs généraux de dix États, espérant qu’ils lancent des actions judiciaires contre Spotify.
Offre groupée – Le conflit porte sur la rémunération des ayants droit par l’intermédiaire d’un mécanisme prévu par la législation américaine. Celui-ci prévoit qu’un pourcentage des revenus générés par les plateformes de streaming leur soit automatiquement redistribué. Mais Spotify essaie de contourner ces règles après avoir modifié ses abonnements aux États-Unis, qui incluent depuis novembre 15 heures d’écoute de livres audio. En mars, la plateforme a obtenu le statut de “bundle”: ses offres sont désormais considérées comme groupées, incluant à la fois un catalogue de chansons et des livres audio. Or, les commissions ne s’appliquent que sur la partie musicale. Autrement dit, plus sur l’intégralité du prix des abonnements, mais seulement sur un peu plus de la moitié. Ce qui permet à Spotify d’abaisser d’autant sa facture.
“Stratagème trompeur” – Problème pour la NMPA: Spotify n’a rien fait d’illégal. L’association a donc dû trouver un autre angle d’attaque. Sa procédure devant la FTC est ainsi centrée autour de l’impact négatif sur les consommateurs. Elle estime que la plateforme n’a pas respecté la loi en forçant ses utilisateurs à basculer vers l’offre incluant les livres audio, commercialisée un dollar plus cher que la précédente. Un “stratagème trompeur” qui force les abonnés à payer davantage, même s’ils ne souhaitent pas écouter de livres. De son côté, Spotify dénonce des accusations “sans fondement”, rappelant que ses clients avaient été prévenus un mois en avance et qu’ils pouvaient annuler facilement leur abonnement. En outre, l’entreprise s’apprête à lancer une offre moins chère n’offrant que de la musique.
Économies – Cette bataille met un terme à deux années de trêve, déclenchée par un accord pour augmenter les commissions payées par les plateformes de streaming. Mais celui-ci a aussi introduit la notion de “bundle”, désormais exploitée par Spotify. Sur le fond du dossier, le leader du marché souligne qu’il n’a jamais versé autant d’argent à l’industrie du disque. Il a cependant perdu un argument de taille: ses pertes récurrentes qui se sont transformées ces derniers mois en profits records. Son tour de passe-passe donne, en tout cas, plus de consistance à son offensive dans les livres audio, qui ressemblait jusqu’ici davantage à une source de coûts additionnels qu’à un véritable relais de croissance. Elle doit en fait aussi être vue comme une source d’économies, probablement supérieures aux dépenses qu’elle engendre.
Pour aller plus loin:
– Dans le streaming musical, la hausse des prix ne fait que commencer
– Spotify modifie son modèle de rémunération des artistes
Honor mise sur la photo pour poursuivre sa percée en Europe
Plus de 800 invités et une vue sur la tour Eiffel. Symbole de son nouveau statut, trois ans et demi après sa vente forcée, Honor a vu les choses en grand. La semaine dernière, à l’hippodrome de Longchamps, à Paris, la marque chinoise a officiellement lancé la commercialisation en Europe de sa dernière gamme de smartphones haut de gamme, baptisée Honor 200. Contrairement aux prochains iPhone d’Apple ou aux derniers Galaxy S de Samsung, celle-ci ne met pas l’accent sur l’intégration de l’intelligence artificielle générative. Mais sur la photo, avec un partenariat avec le studio Harcourt, réputé pour ses portraits en noir et blanc de vedettes du cinéma. “Un studio professionnel dans votre poche”, assure Tony Ran, le patron en Europe de l’ancienne filiale de Huawei, mettant en avant un algorithme capable de créer le cliché parfait.
Sacrifiée par Huawei – Lancée en 2011, Honor réalise un improbable come-back sur les marchés chinois et européens. La marque est presque revenue au niveau de vente de 2020, date à laquelle elle a été sacrifiée par Huawei. Visé par de sévères sanctions imposées par les États-Unis, le groupe de Shenzhen préfère alors réserver ses stocks limités de composants pour ses propres smartphones. Et choisit de revendre Honor à un consortium de plus de 30 entreprises privées et publiques chinoises, pour un prix estimé à 100 milliards de yuans (12,8 milliards d’euros). Cette opération lui permet, certes, d’échapper aux restrictions américaines. Mais les analystes doutent alors de sa capacité à être véritablement compétitive sans le soutien financier, la chaîne logistique et l’accès à la recherche et développement de Huawei.
Premiumisation – Pour relever la tête, la société a massivement embauché, ouvrant notamment quatre centres de R&D. Elle a modifié son modèle de distribution, principalement en ligne jusqu’en 2020, pour étendre sa présence en magasins, chez les opérateurs et les grandes enseignes. Elle a aussi élargi sa cible, ne s’adressant plus seulement aux adolescents et jeunes adultes. Et elle a lancé une “premiumisation” de son offre, précédemment centrée sur le milieu de gamme. Cette stratégie est symbolisée par la commercialisation de smartphones pliables. Des appareils qui se vendent peu, même si Honor revendique le modèle le plus vendu sur ce segment en Europe, mais qui doivent contribuer à enraciner une image de marque premium auprès des consommateurs. La nouvelle gamme, vendue jusqu’à 800 euros, s’inscrit dans sa lignée.
“Deuxième maison” – Pour le moment, l’essentiel des ventes en Europe est concentré sur des appareils autour des 400 euros. Mais Honor estime bénéficier d’un “vrai potentiel sur le haut de gamme”, expliquait l’an passé Frédéric Gulesserian, son directeur commercial français. La marque est déjà celle qui affiche la plus forte croissance, gagnant du terrain sur les autres fabricants chinois et aussi sur Samsung. Si sa position est encore modeste – 4% des ventes au premier trimestre en Europe, 8% en France –, ses dirigeants ambitionnent de transformer le continent en “deuxième maison”, à côté de la Chine. À domicile, Honor a multiplié ses parts de marché par cinq en trois ans. Mais ces derniers mois sont un peu plus difficiles: comme les autres marques, elle est pénalisée par le retour au premier plan de… Huawei.
Pour aller plus loin:
– Transsion, nouveau géant (inconnu) des smartphones
– Après deux ans de baisse, les ventes de smartphones vont rebondir
En Europe, Meta renonce à entraîner son IA avec les données personnelles
Meta fait marche arrière. Vendredi, la maison mère de Facebook et Instagram a annoncé qu’elle renonçait à utiliser les messages et les photos de ses membres pour entraîner ses prochains modèles d’intelligence artificielle générative. Conséquence: le lancement de son assistant personnel Meta AI est repoussé sur le continent. Sans “informations locales”, celui-ci aurait offert une “expérience de deuxième classe”, justifie la société américaine. Cette décision a été précipitée par les demandes de la DPC, la Cnil irlandaise, son autorité de référence sur le continent. Elle intervient moins de dix jours après les plaintes déposées par l’association Noyb, qui dénonçait une violation du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Meta ne prévoyait en effet pas de demander le consentement de ses utilisateurs, leur laissant simplement la possibilité de refuser. Le groupe invoquait le principe “d’intérêt légitime”, prévu dans la réglementation – une stratégie retoquée par la justice européenne dans un autre dossier. Il risquait donc une forte amende.
Pour aller plus loin:
– Pour entraîner son IA, Meta défie à nouveau le RGPD
– Les Cnils européennes s’opposent à l’abonnement payant de Meta
Crédit photos: Spotify - Honor