Et revoilà la taxe Gafa
Et aussi: L'Europe dit non à l'abonnement payant de Facebook – OpenAI et Microsoft pas inquiétés par Bruxelles
Faute d’accord international, le Canada instaure une taxe Gafa
Ottawa n’a pas cédé aux pressions de Washington. Mardi, le gouvernement canadien a confirmé la mise en place d’une taxe sur les services numériques, faute d’avancée dans les négociations sur la mise en place d’un nouveau régime international d’imposition. Cette taxe Gafa est similaire à celles imposées par plusieurs pays européens, dont la France. Objectif: lutter contre les pratiques fiscales des grandes sociétés technologiques, qui transfèrent leurs profits vers des pays à faible imposition. Sur le papier, le bilan est positif: environ 700 millions d’euros de recettes l’an passé en France et 5,9 milliards de dollars canadiens (4 milliards d’euros) anticipés en cinq ans au Canada. Ces sommes cachent cependant une réalité. Ces taxes n’impactent pas directement les géants numériques qu’elle vise… mais leurs clients.
Accord international – La volonté d’instaurer un tel impôt au Canada n’est pas nouvelle. Les discussions ont commencé en 2020, avant d’être interrompues par un moratoire décidé l’année suivante par l’Organisation de coopération et de développement économiques. D’une durée de deux ans, celui-ci devait permettre aux pays membres de trouver un accord définitif sur de nouvelles règles. Un consensus semblait avoir émergé, prévoyant notamment de taxer les multinationales là où elles réalisent leurs ventes – et non plus là où elles rapatrient leurs bénéfices. Un système qui permettrait de générer entre 17 et 32 milliards de recettes fiscales supplémentaires par an. Depuis pourtant, les négociations patinent. L’an passé, l’OCDE a donc proposé de prolonger le moratoire d’un an. Une option rejetée par le gouvernement canadien.
3% du chiffre d’affaires – Pour Ottawa, plus question d’attendre, alors qu’une demi-douzaine de pays collectent déjà cette taxe. D’autant plus que l’entrée en vigueur d’un potentiel accord sera dépendante de son adoption, encore incertaine, par le Congrès américain. Comme en France, le Canada prévoit de prélever 3% du chiffre d’affaires réalisé par les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les marketplaces et les boutiques d’applications. Seules les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 20 millions de dollars canadiens au Canada, sont concernées. S’ils ne sont pas directement visés, les grands groupes américains seront les plus gros payeurs. Au Royaume-Uni, 90% des recettes proviennent ainsi de cinq entreprises, dont font probablement partie Apple, Google, Amazon et Facebook.
Coût répercuté – Les taxes Gafa présentent deux limites majeures. D’abord, une double imposition des sociétés locales, qui paient déjà des impôts sur les bénéfices dans leur pays. Ensuite, certains groupes les ont répercutées sur leur prix. Apple a augmenté les commissions de son App Store. Google a revu à la hausse ses tarifs publicitaires. Et Amazon a relevé les frais facturés aux vendeurs tiers. Autrement dit, la taxe Gafa n’a pas réduit leurs profits. En revanche, elle a abaissé les marges de leurs clients ou augmenté le prix payé par les consommateurs. En cas d’accord au sein de l’OCDE, les pays ayant instauré une taxe se sont engagés à la supprimer. Et à accorder un crédit d’impôt pour rembourser d’éventuels trop-perçus. Mais rien n’obligera les entreprises à ramener leurs prix et commissions au niveau antérieur.
Pour aller plus loin:
– En Europe, la taxe Gafa rapporte gros mais n’impacte pas… les Gafa
– Bruxelles enterre son projet de la taxe sur les géants d’Internet
Les Cnils européennes s'opposent à l'abonnement payant de Meta
Cela ressemble à un revers pour Meta, un de plus. Mercredi, le Comité européen de la protection des données (CEPD) a émis un avis défavorable sur le principe de “pay or consent”, consistant à proposer un abonnement payant comme seule alternative pour les internautes qui ne souhaitent pas que leurs données personnelles soient utilisées à des fins publicitaires. Ces dernières “ne peuvent pas être considérées comme une marchandise”, souligne l’organisme, qui regroupe les Cnil européennes. Et d’ajouter que “le droit fondamental à la protection des données” ne peut être transformé en option payante. Cette décision ne cite pas directement la maison mère de Facebook et d’Instagram. Mais elle pourrait signifier que l’offre payante qu’elle a lancée l’an passé ne lui permet pas de respecter, enfin, le Règlement général sur la protection des données.
Consentement – Cet abonnement, disponible seulement en Europe à partir de dix euros par mois, permet de surfer sur Facebook et Instagram sans aucune publicité. La société américaine estime que cela lui permet de se mettre en conformité avec le RGPD, qui impose de recueillir le consentement pour le ciblage publicitaire. Depuis des années, Meta cherche en effet une parade pour éviter de mettre en place un consentement classique que de nombreux internautes auraient refusé, handicapant sa capacité de monétisation. À la place, elle a d’abord ajouté cette disposition dans ses conditions d’utilisation, forçant ses membres à donner leur autorisation, généralement sans le savoir. Mais cette pratique a été retoquée par les Cnil. Elle a ensuite tenté d’invoquer le principe “d’intérêt légitime”, prévu dans le RGPD. Sans succès.
“Tarif raisonnable” – Pour justifier son abonnement, Meta s’appuie sur un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne, qui ouvrait la voie à une option payante comme forme de consentement, à condition cependant que celle-ci soit proposée à un “tarif raisonnable”. Dans un dossier similaire – les “cookies wall” –, la Cnil française avait émis un jugement similaire. Questionné le mois dernier par Bruxelles, le réseau social s’est dit prêt à ramener son offre à six euros par mois. Le prix le plus bas qu’il peut proposer, assure-t-il, car représentant l’équivalent du revenu publicitaire moyen par mois et par utilisateur sur Facebook. Un argumentaire rejeté par l’association Noyb, menée par l’activiste autrichien Max Schrems, à l’origine de l’invalidation du Privacy Shield, qui a donc saisi fin 2023 la Cnil autrichienne.
Vers une amende ? – Pour Noyb, le principe de “pay or consent” n’est pas compatible avec la notion de “choix libre” prévue dans le RGPD. La preuve, avance-t-elle, seulement 3% à 10% des internautes souhaitent des publicités ciblées, mais 99,9% d’entre eux les acceptent plutôt que de payer. “La plupart des utilisateurs consentent, sans comprendre pleinement les implications de leurs choix”, abonde Anu Talus, la présidente du CEPD. Ainsi, les “grandes plateformes” ne peuvent pas remplacer le consentement par un abonnement “dans la plupart des cas”. Le CEPD promet de publier des lignes directrices ces prochains mois. “Meta n’a plus d’autre choix que d’offrir aux utilisateurs une véritable option oui/non pour la publicité personnalisée”, veut d’ores et déjà croire Max Schrems. Déjà condamnée, la société risque une nouvelle amende.
Pour aller plus loin:
– Facebook condamné à une amende record de 1,2 milliard d’euros
– L’Europe remet en cause les pratiques publicitaires de Facebook
Microsoft et OpenAI échappent à une procédure antitrust en Europe
Les relations très étroites entre OpenAI et Microsoft ne seront pas remises en cause en Europe. Après avoir ouvert une enquête en janvier, la Commission européenne a en effet décidé de ne pas lancer de procédure formelle, rapporte l’agence Bloomberg. Ses services ont estimé que le groupe de Redmond n’exerce pas un contrôle sur le concepteur de ChatGPT, dont il possède la majorité du capital. Ainsi, cette association n’entre pas dans le champ d’application des règles sur les acquisitions. Bruxelles étudie toujours le rapprochement entre Microsoft et la start-up française Mistral AI. Cette décision intervient quelques jours après la publication d’un rapport par la Competition and Markets Authority britannique, qui soulignait que les partenariats entre les start-up du secteur et les géants du numérique représentaient un risque concurrentiel à ne pas négliger. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission se penche aussi sur le sujet. Mais les autorités de la concurrence ne semblent pas bénéficier des outils juridiques nécessaires pour limiter ce phénomène.
Pour aller plus loin:
– Concurrence dans l’IA: “il est important d’agir dès maintenant”
– Avec l’aide de Microsoft, OpenAI veut concurrencer Google
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