Le spectaculaire tour de passe-passe de Microsoft
Et aussi: ASML bientôt en France ? - Facebook va baisser le prix de son abonnement
Microsoft avale la start-up Inflection AI... sans la racheter
C’est une opération, une de plus, qui va faire parler. Mardi, Microsoft a annoncé avoir débauché Mustafa Suleyman, l’un des fondateurs de DeepMind, le laboratoire d’intelligence artificielle racheté en 2014 par Google. Et surtout, le patron depuis 2022 de la start-up américaine Inflection AI, connue pour avoir lancé un rival de ChatGPT. Le chercheur britannique prend la tête d’une nouvelle division, regroupant tous les produits d’IA générative du groupe de Redmond. Il n’arrivera pas seul: l’essentiel des salariés d’Inflection vont le suivre, dont Karén Simonyan, son responsable scientifique. Autrement dit, Microsoft met la main sur une équipe d’ingénieurs réputés, laissant exsangue leur ancien employeur, sans dépenser, officiellement, le moindre centime. De quoi susciter, très probablement, la curiosité des autorités de la concurrence.
Volte-face – Surfant sur l’euphorie autour de l’IA, Inflection avait levé 1,3 milliard de dollars en juin, sur la base d’une valorisation de 4 milliards. Cette somme devait lui permettre d’imposer son robot conversationnel Pi. Face aux autres services, celui-ci promettait une expérience plus personnalisée, assurant notamment être capable de détecter les émotions de l’utilisateur pour adapter ses réponses. Début mars, l’entreprise se félicitait d’attirer un million d’utilisateurs par jour. Et d’avoir développé un grand modèle de langage affichant des performances proches de GPT-4, la référence du secteur, conçue par OpenAI et alimentant ChatGPT. Inflection va désormais abandonner Pi pour se focaliser uniquement sur des solutions destinées aux entreprises. Une volte-face soudaine et brutale, qui interroge.
Liens avec Microsoft – Certes, il est possible que ses dirigeants et investisseurs ont réalisé qu’il allait être difficile de rivaliser avec ChatGPT, Gemini de Google ou Claude de la start-up Anthropic, soutenue financièrement par Amazon et Google. Mais pourquoi ne pas avoir pivoté en profitant d’une trésorerie encore élevée ? Ou alors avoir cherché un acheteur souhaitant réaliser un “aqui-hire” (une acquisition visant seulement à recruter des équipes) ? Sur le papier, cette opération ne semble avoir rien rapporté à la start-up et à ses investisseurs – si ce n’est, peut-être, des crédits cloud pour entraîner ses modèles sur Azure. Les liens entre Microsoft et Inflection renforcent ces questions. Non seulement le concepteur de Windows a investi dans la start-up. Mais Reid Hoffman, le créateur de LinkedIn et cofondateur d’Inflection, fait aussi partie de son conseil d'administration.
Acquisition déguisée ? – Ce qui est certain en revanche, c’est que Microsoft, déjà dans le viseur des autorités pour ses liens avec OpenAI, ne pouvait pas racheter Inflection. Le géant américain est le premier actionnaire du concepteur de ChatGPT, dans lequel il a investi environ 13 milliards de dollars. À Bruxelles et à Londres, les gendarmes antitrust se demandent si cet investissement ne serait pas en réalité une acquisition déguisée, alors que Microsoft a joué un rôle majeur pour résoudre la crise de gouvernance qui a éclaté en novembre chez OpenAI. Et qui a finalement débouché sur une reprise de contrôle de son fondateur Sam Altman. Le groupe a aussi récemment investi 15 millions d’euros dans la start-up française Mistral AI, dans le cadre d’un accord de distribution, lui aussi examiné par la Commission européenne.
Pour aller plus loin:
– En s’associant à Mistral AI, Microsoft renforce sa position de force
– Après l’euphorie, les craintes d’une bulle autour de l’IA
Mécontente aux Pays-Bas, ASML menace d’ouvrir ses prochaines usines en France
La menace est suffisamment sérieuse pour déclencher un code rouge à La Haye. Face aux inquiétudes exprimées par ASML, le gouvernement néerlandais a déclenché ces dernières semaines l’opération Beethoven. Objectif: rassurer le premier fabricant mondial de machines de lithographie, qui assure ne pas écarter une installation dans d’autres pays européens, potentiellement en France. “Si nous ne pouvons pas grandir aux Pays-Bas, nous grandirons ailleurs”, a une nouvelle fois prévenu, début mars, Peter Wennink, son directeur général, après une rencontre avec Mark Rutte, le premier ministre sur le départ. Dans son viseur: le durcissement de la politique migratoire du pays, qui pourrait empêcher ASML de recruter suffisamment de travailleurs très qualifiés pour mener à bien ses projets d’expansion.
Ultraviolet extrême – Fondée en 1984 à Veldhoven, dans la banlieue d’Eindhoven, la société néerlandaise est devenue un chaînon indispensable sur le secteur des semi-conducteurs. Non seulement elle contrôle plus de 60% du marché, devançant très nettement ses rivales japonaises Nikon et Canon. Mais elle possède aussi une position de monopole pour les composants avancés, grâce à la lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV en anglais), une technique qu’elle est encore la seule à maîtriser. Les puces les plus sophistiquées, des processeurs d’iPhone aux GPU utilisés dans l’entraînement des modèles d’IA, sont ainsi gravées par ses machines-outils. En cinq ans, son chiffre d’affaires a plus que doublé, atteignant 27,6 milliards d’euros en 2023. En Bourse, ASML est désormais la troisième capitalisation européenne.
Doubler la production – Face à la forte demande, le groupe prévoit d’augmenter considérablement ses capacités de production au cours des prochaines années. Il souhaite notamment livrer 90 machines UEV par an d’ici à 2026, deux fois plus que l’an passé. Et également 20 exemplaires de sa machine de nouvelle génération, un mastodonte de 150 tonnes commercialisé à 350 millions d’euros. Ses ambitions pourraient cependant se heurter aux réalités politiques du pays. Fin novembre, l’extrême droite néerlandaise est arrivée en tête des élections législatives. Si son chef de file, Geert Wilders, ne deviendra pas premier ministre, faute d’avoir réussi à réunir derrière lui une coalition gouvernementale, le prochain gouvernement devrait adopter une ligne dure en matière d’immigration, même qualifiée, et d’accueil d’étudiants étrangers.
Usine en France ? – ASML dénonce déjà une mesure entrée en vigueur en janvier: la réduction des avantages fiscaux pour les travailleurs étrangers qualifiés. Le groupe, qui assure que la main d’œuvre locale n’est pas suffisante, redoute d’avoir plus de difficultés pour attirer les talents dont il a besoin. Environ 40% de ses 23.000 employés aux Pays-Bas ne sont pas néerlandais. Selon le quotidien De Telegraaf, ses dirigeants étudient donc la possibilité d’installer de nouvelles usines en France. Difficile cependant de savoir s’il s’agit d’une simple menace ou d’une véritable alternative. Car un tel changement impliquerait de repenser une chaîne logistique très complexe, impliquant environ 5.000 sous-traitants. Ironie de l’histoire, la décision pourrait être prise par le français Christophe Fouquet, qui prendra la tête d’ASML en avril.
Pour aller plus loin:
– L’Europe va investir 43 milliards d’euros dans les puces
– Pourquoi Samsung ne parvient toujours pas à rivaliser avec TSMC
Face aux critiques, Facebook propose de baisser le prix de son abonnement payant
Quatre mois seulement après son lancement, l’abonnement payant de Meta pourrait déjà baisser de prix. Pas pour stimuler le nombre de clients mais uniquement pour répondre aux critiques qui le jugent trop élevé pour respecter le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Interrogé mardi à Bruxelles, un responsable juridique de la maison mère de Facebook et d’Instagram s’est dit prêt à ramener le tarif à six euros par mois, contre dix actuellement. Cette offre vise à se mettre en conformité avec la législation européenne, qui impose de recueillir le consentement avant d’utiliser des données personnelles à des fins publicitaires. La société ne souhaite pas mettre en place un consentement classique, car de nombreux internautes auraient refusé le ciblage, handicapant sa capacité à monétiser son audience. À la place, elle propose donc un abonnement pour ceux qui ne souhaitent pas être ciblés. Un principe validé par les Cnil, à condition cependant d’afficher un “tarif raisonnable”.
Pour aller plus loin:
– Facebook condamné à une amende record de 1,2 milliard d’euros
– Pourquoi l’abonnement payant de Facebook est (déjà) contesté
Crédit photos: Inflection - ASML