Comment l'IA bouscule l'industrie du disque
Et aussi: Nouveau revers pour l'abonnement payant de Meta
Face à l'IA, l'industrie du disque ne sait pas sur quel pied danser
Entre poursuite judiciaire et accord de licence, l’industrie du disque cherche la bonne réponse face à l’émergence de l’intelligence artificielle générative, qui pourrait remettre en cause une partie de ses recettes. La semaine dernière, l’organisation américaine représentant le secteur, la RIAA, a déposé plainte contre Suno et Udio, deux outils de création de chansons via un simple prompt. Elle leur reproche d’avoir violé la propriété intellectuelle des artistes et compositeurs en utilisant leurs œuvres “à grande échelle”, sans rémunération et autorisation, pour entraîner leurs modèles. Elle réclame 150.000 dollars de dédommagement par violation, le maximum prévu par la loi. Parallèlement, pourtant, plusieurs maisons de disques négocient avec YouTube, qui souhaite lancer un service similaire, rapporte le Financial Times.
Royalties – Depuis un an, plusieurs exemples de chansons générées par une IA ont alimenté les craintes du secteur. Comme ce titre attribué aux chanteurs canadiens Drake et The Weeknd, qui a accumulé plus de 15 millions de vues sur TikTok en quelques jours. Le phénomène est appelé à prendre une ampleur considérable avec la démocratisation de nouveaux services, capables de recréer des voix, d’écrire des paroles et de composer des mélodies. Et qui pourraient permettre à de nombreuses personnes de créer des chansons, en reprenant la voix d’artistes ou en s’inspirant simplement de leur style. Puis, d’inonder les plateformes de streaming musical, d’accumuler les écoutes et de recevoir des royalties. Cela se ferait au détriment des artistes, qui pourraient accuser une baisse relative de leurs écoutes et donc de leurs rémunérations.
“Usage raisonnable” – Les hésitations de l’industrie du disque rappellent celles de la presse. Si le New York Times a choisi la voie judiciaire, de nombreux journaux ont préféré négocier des accords de licence. Malgré les risques d’une chute d’audience, leurs dirigeants estiment qu’il faut mieux capitaliser sur le développement de l’IA, qui se fera avec ou sans eux. Dans la musique, la situation est un peu différente, car le secteur est dominé par trois majors – Universal, Sony et Warner. Sans leur soutien, les outils de création disposeront d’une base d’entraînement réduite, limitant leurs capacités. Sur le papier du moins, car de nombreux acteurs du secteur ne se soucient pas du droit d’auteur. Ils mettent en avant le principe “d’usage raisonnable”, qui les autoriserait à utiliser des chansons comme source d’inspiration.
Flou juridique – De fait, l’industrie du disque pourrait bien se retrouver démunie pour contrer la montée des chansons générées par l’IA. Les droits d’auteur, tels qu’ils sont aujourd’hui définis, n’empêchent en effet pas un robot de s’inspirer d’un artiste pour écrire des paroles ou composer une mélodie. La voix d’un chanteur n’entre, par ailleurs, pas dans le champ d’application de la propriété intellectuelle. Face à un flou juridique, l’issue des plaintes déposées contre Suno et Udio devrait être capitale. En attendant, les grandes maisons de disques pourraient être tentées de négocier dès maintenant des accords de licence pour se prémunir de verdicts défavorables. Au moins avec les grands acteurs du marché, comme YouTube ou TikTok. Mais elles devront convaincre leurs artistes, globalement opposés à cette évolution.
Pour aller plus loin:
– Comment OpenAI tente d’éviter de nouvelles poursuites judiciaires
– Pourquoi l’industrie du disque accuse Spotify de “trahison”
L'abonnement payant de Meta dans le collimateur de Bruxelles
Nouveau revers pour l’abonnement payant de Meta en Europe. Déjà critiqué par les Cnil européennes, le voilà désormais dans le viseur de la Commission, qui a ouvert lundi une procédure contre la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp. Celle-ci s’inscrit dans le cadre du Digital Markets Act, entré en vigueur en mars avec l’objectif de renforcer la concurrence dans le numérique. Le texte contraint notamment les géants du secteur à recueillir le consentement des utilisateurs avant de partager des données personnelles entre leurs différentes plateformes. Et à proposer une alternative “équivalente” à ceux qui refusent. Bruxelles reproche à Meta de ne pas respecter ces dispositions, qui visent à limiter les effets de taille sur le marché publicitaire, en se reposant derrière le principe controversé du “pay or consent”.
Alternative au consentement – Fidèle à sa stratégie, Meta refuse de mettre en place un consentement classique, permettant aux utilisateurs d’accepter ou de refuser le partage de leurs informations entre Facebook et Instagram. Le groupe américain estime, probablement à juste titre, qu’une grande majorité aurait répondu par la négative, handicapant sa capacité de monétisation de son audience. À la place, il mise sur son abonnement payant pour se conformer au DMA. Commercialisé à partir de dix euros par mois, celui-ci permet de surfer sur les deux réseaux sociaux sans aucune publicité. Et sans que des données personnelles transitent de l’un vers l’autre. Meta assure que cette alternative peut se substituer au consentement. Une vision que conteste désormais Bruxelles, qui se donne neuf mois pour statuer sur une éventuelle amende.
La menace du RGPD – L’Europe devrait aussi lui imposer des changements, l’obligeant à demander le consentement de ses utilisateurs sur ce point précis. Ce serait cependant un moindre mal. Car une menace beaucoup plus grande pèse sur l’abonnement payant de Meta: le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui impose d’obtenir l’autorisation pour utiliser des données personnelles à des fins publicitaires. Depuis 2016, la société cherche une parade, estimant que l’impact serait considérable sur son chiffre d’affaires. Après deux tentatives infructueuses, et une lourde amende, elle s’est rabattue sur le principe de “pay or consent”. Elle s’appuie sur un jugement de justice européenne, qui ouvrait la voie à une option payante comme forme de consentement, à condition cependant de proposer un “tarif raisonnable”.
Rejet des Cnils – Très critiqué, notamment par l’association Noyb de l’activiste autrichien Max Schrems, le réseau social s’est dit prêt à ramener son offre à six euros par mois. Le prix le plus bas qu’il peut proposer, assure-t-il, car représentant le revenu publicitaire moyen par utilisateur sur Facebook. Pas suffisant pour satisfaire les Cnils européennes. En avril, elles ont émis un avis défavorable sur le principe de “pay or consent”, estimant que “le droit fondamental à la protection des données” ne peut être transformé en option payante. Ainsi, il n’est pas possible de remplacer le consentement par un abonnement “dans la plupart des cas”. Pour Max Schrems, “Meta n’a plus d’autre choix que d’offrir une véritable option oui/non pour la publicité personnalisée”. Déjà condamnée, la société risque, aussi, une nouvelle amende.
Pour aller plus loin:
– L’Europe ouvre une procédure contre Apple dans le cadre du DMA
– Facebook condamné à une amende record de 1,2 milliard d’euros
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