Apple défie l'Europe
Et aussi: L'IA dans le collimateur de l'antitrust - Netflix et Youtube boudent le Vision Pro
Nouvelles commissions et restrictions: comment Apple veut contrecarrer le DMA
Dans l’application des lois, il y a toujours l’esprit et la lettre. S’il est encore trop tôt pour savoir si Apple respecte bien le Digital Markets Act à la lettre – ce sera à Bruxelles d’en juger ces prochains mois –, les changements qu’il a annoncés la semaine dernière ne s’inscrivent certainement pas dans l’esprit de cette nouvelle réglementation européenne, qui vise à renforcer la concurrence dans le numérique. Certes, le groupe à la pomme va desserrer, contraint et forcé, son emprise sur son système iOS, qui équipe ses iPhone. Mais il souhaite aussi imposer de nouvelles commissions pour les développeurs qui voudraient passer par d’autres boutiques d’applications. Objectif: les dissuader de le faire. Et ainsi préserver au maximum le statu quo qui lui permet d’engranger des milliards d’euros de profits chaque année.
Pas une surprise – L’attitude d’Apple n’est pas une surprise compte tenu de ses habitudes. Sans compter que toutes les entreprises visées par le DMA cherchent à limiter l’impact sur leur chiffre d’affaires. La société de Cupertino profite également de l’absence de règles claires dans le texte européen, qui laisse les géants du numérique, baptisés “contrôleurs d’accès”, décider eux-mêmes des modifications à adopter pour se mettre en conformité. Sur ce point, Apple pourra souligner qu’il a bien intégré les principales mesures du DMA concernant les applications mobiles. Deux en particulier. D’une part, l’autorisation des boutiques tierces, qui met fin, sur le papier, au monopole de son App Store sur la distribution d’applications. Et d’autre part, la possibilité pour les développeurs de ne plus utiliser son système de paiement.
Choix irrévocable – Pour contrecarrer le DMA, Apple veut désormais proposer un choix aux développeurs. Soit conserver le système actuel. Soit opter pour un nouveau, permettant d’utiliser d’autres magasins et d’autres plateformes de paiement. En échange, la société facturera 50 centimes par téléchargement (mises à jour incluses), au-delà de la barre du million. Pour les applications installées depuis une autre boutique, aucune commission ne sera ensuite prélevée sur les achats et abonnements in app. Mais Apple captera 10% ou 17% pour celles téléchargées depuis l’App Store. Conséquence: de nombreux développeurs devront, en réalité, verser davantage. En outre, leur choix sera irrévocable. Un moyen de susciter la peur face à l’incertitude liée aux coûts du nouveau système. Et donc de les inciter à le refuser.
Rivaux pénalisés – Cette structure est aussi conçue pour dissuader les développeurs d’applications gratuites et sans achat in app à adopter le nouveau système, qui se traduirait par des coûts additionnels. Un handicap de taille pour les nouvelles boutiques qui ne pourront pas véritablement rivaliser, faute de pouvoir proposer une sélection suffisamment exhaustive. En outre, les sociétés souhaitant lancer un concurrent de l’App Store devront faire une demande d’autorisation, dont les critères n’ont pas été précisés. Apple donnera-t-il, par exemple, son feu vert au projet de magasin d’Epic Games, l’éditeur de Fortnite avec lequel il est en guerre depuis plusieurs années ? Le groupe n’autorise, par ailleurs, pas les téléchargements directs depuis une autre application, comme l’imagine Meta, ou depuis un site Internet.
Vers une enquête de Bruxelles ? – Apple justifie ces restrictions par la nécessité de lutter contre les applications frauduleuses. Et donc d’assurer la sécurité de ses utilisateurs – un élément d’ailleurs pris en compte par le DMA. La commission sur les installations est expliquée par la volonté de faire de participer financièrement les développeurs au développement technologique d’iOS, dont ils profitent pour générer du chiffre d’affaires. Des arguments qui ne convainquent pas les détracteurs du groupe – comme Tim Sweeney, le patron d’Epic, ou Daniel Ek, celui de Spotify –, vent debout contre ces changements. Et il semble inimaginable que Bruxelles n’ouvre pas, a minima, une enquête. Car c’est la crédibilité du DMA qui est déjà menacée si Apple peut si facilement déjouer les objectifs du texte… avant même son entrée en vigueur.
Pour aller plus loin:
– Aux États-Unis, Apple va devoir modifier les règles de son App Store
– Pourquoi iMessage est au coeur d’une bataille de lobbying à Bruxelles
Netflix et YouTube boudent le Vision Pro d'Apple
Apple l’assure: son Vision Pro est “l’appareil ultime de divertissement”. Pourtant, les deux plateformes vidéo dominantes manqueront à l’appel pour le lancement ce vendredi. Non seulement Netflix et YouTube n’ont pas souhaité concevoir une application dédiée au premier casque de réalité mixte du groupe à la pomme. Mais ils ont aussi refusé que leur application iPad soit automatiquement disponible. Même chose pour Spotify. Et ni Google ni Meta n’ont encore annoncé leur intention de porter leurs applications sur le Vision Pro. Ce désintérêt pourrait s’expliquer par les mauvaises relations entre Apple et les développeurs. Spotify et Meta font partie de ses principaux détracteurs. Plus discret, Netflix s’est aussi souvent opposé à ses pratiques. En outre, le potentiel commercial semble limité, en raison du prix élevé (3.500 dollars). Seulement 150 applications natives devraient ainsi être disponibles au lancement. Un chiffre très faible qui va encore plus compliquer la tâche du Vision Pro.
Pour aller plus loin:
– Apple se lance dans la réalité augmentée, un marché aux multiples échecs
– Dans le métaverse, Facebook dévoile (enfin) des progrès spectaculaires
Les États-Unis enquêtent sur la mainmise des géants tech sur l'IA
Lina Khan avait plusieurs fois prévenu. La patronne de la Federal Trade Commission passe désormais à l’action. La semaine dernière, l’autorité américaine de la concurrence a envoyé des demandes d’informations à Microsoft, Amazon et Google. Dans son collimateur, leurs investissements respectifs de plusieurs milliards de dollars dans deux start-up vedettes de l’intelligence artificielle générative: OpenAI pour le premier et Anthropic pour les deux autres. Ces partenariats pourraient permettre aux trois géants américains de verrouiller ce marché en très forte croissance, redoute la FTC, empêchant ainsi l’émergence de futurs potentiels rivaux. “Notre enquête devra déterminer si ces investissements risquent de pénaliser l’innovation et de nuire à une concurrence équitable”, explique ainsi Lina Khan.
Coûts élevés – Depuis les débuts fracassants de ChatGPT, le chatbot lancé en novembre 2022 par OpenAI, les levées de fonds se multiplient dans le domaine de l’IA générative. Elles se chiffrent souvent en centaines de millions de dollars. Et parfois même en milliards. Ces sommes importantes sont indispensables pour les start-up. L’entraînement des derniers modèles d’intelligence artificielle nécessite en effet une immense puissance informatique. Et se traduit donc par des coûts élevés. Dans cette course aux fonds, Microsoft, Amazon et Google sont particulièrement actifs. Non seulement, les trois groupes disposent d’importantes ressources financières. Mais ils possèdent aussi un avantage concurrentiel sur tous les autres investisseurs: leurs plateformes de cloud, indispensables pour entraîner et faire tourner les IA.
Crédits cloud – Une grande partie de leurs investissements, si ce n’est la majeure partie, est ainsi constituée de crédits cloud s’étalant sur plusieurs années, permettant à ces start-up d’utiliser leurs infrastructures informatiques. C’est de cette manière que Microsoft a injecté 13 milliards de dollars dans OpenAI. Et que Google et Amazon vont respectivement investir deux milliards et jusqu’à quatre milliards dans Anthropic, qui conçoit un concurrent de ChatGPT. Compte tenu de leur structure, ces opérations n’ont pas eu besoin d’être approuvées par les autorités de la concurrence. Mais la FTC souhaite désormais déterminer si elles ne vont pas mener à une concentration des forces autour des trois leaders du cloud. Le gendarme antitrust souhaite aussi s’assurer qu’ils n’exercent pas un contrôle sur les deux start-up.
Agir en amont – La FTC n’est pas la seule à s’intéresser à la situation concurrentielle sur le marché de l’IA générative. En décembre, la Competition and Markets Authority britannique a aussi lancé des investigations sur les liens entre Microsoft et OpenAI. Et en Europe, la Commission indique suivre de “très près” ce dossier. Ces actions illustrent un changement majeur de stratégie des autorités de la concurrence, qui souhaitent de plus en plus agir en amont, avant qu’une position dominante ne se matérialise. De nombreux exemples dans le numérique ont démontré qu’il était alors trop tard pour corriger le problème – à l’image de Google, condamné plusieurs fois en Europe. Mais dans l’IA, aussi, d’éventuelles mesures correctives pourraient être trop tardives, en raison de longs délais de procédure.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi Microsoft et OpenAI sont dans le collimateur des autorités
– Les coûts de l’IA menacent de freiner son adoption
Crédit photos: Unsplash / James Yarema - Microsoft