Retour sur terre pour la French Tech
Et aussi: Tier et Dott fusionnent - Amazon et Google licencient encore
Après la chute des levées de fonds, la French Tech veut croire à un rebond
Les plus optimistes veulent y voir un simple retour à la normale après deux années d’euphorie post-Covid, aujourd’hui qualifiées d’anomalies. En 2023, la French Tech a accusé une chute de 38% des levées de fonds, dont le montant est retombé à 8,3 milliards d’euros contre 13,5 milliards en 2022 – un record. Cette forte baisse, qui n’épargne aucun pays, trouve sa source dans le resserrement des politiques monétaires pour lutter contre l’envolée de l’inflation. Cela a mis fin à l’argent facile qui avait inondé les marchés. Et qui avait poussé les fonds à investir sans compter dans les start-up, tout en acceptant des niveaux de valorisation rarement vu. Autre symbole: une seule société, Mistral AI, a franchi la barre du milliard de dollars de valorisation – et atteint le statut de licorne tant vénéré par la French Tech.
Méga-levées – Le repli est particulièrement visible chez les start-up les plus matures. Le nombre de méga-levées, supérieures à 100 millions d’euros, a chuté de plus de moitié. Celles-ci ont permis de recueillir 2,6 milliards, contre 6,2 milliards en 2022. Cela s’explique d’abord par le retrait de grands fonds étrangers, comme le japonais Softbank ou l’américain Tiger Global, capables d’injecter des centaines de millions. Mais aussi par la trésorerie accumulée par ces entreprises pendant la période faste, leur permettant de financer leurs pertes ou leurs investissements sans avoir à mener un down round – une levée réalisée sur la base d’une valorisation en baisse. Les tours de tables pour les start-up qui viennent de se lancer ont mieux résisté. Au prix cependant d’une hausse de la dilution, la part du capital cédée aux investisseurs.
Licenciements – Face à la baisse des levées de fonds, les entrepreneurs de la French Tech ont dû changer de logiciel. Elles ont délaissé l’hypercroissance à tout prix, au profit du contrôle, voire de la baisse, des dépenses pour réduire la consommation de trésorerie. Cela s’est notamment traduit par des coupes dans les effectifs ou par des recrutements moins importants qu’initialement prévu. Cette bascule a aussi été imposée par les fonds de capital-risque, beaucoup plus réticents à financer les groupes aux perspectives lointaines de rentabilité. Beaucoup de start-up ont dû se tourner vers des sources de financements alternatifs, comme le financement basé sur les revenus ou les prêts venture. Les procédures de conciliation avec les créanciers se sont multipliées. Tout comme les redressements et les liquidations judiciaires.
Reprise en 2024 ? – En France, comme ailleurs, l’incertitude demeure sur la reprise des levées, alors que les taux d’intérêt restent au plus haut. Et que les introductions en Bourse tournent toujours au ralenti. Les plus confiants soulignent, encore et toujours, que le dry powder, les liquidités que les fonds doivent investir, affiche un niveau historiquement élevé. Des sommes qui finiront bien par être déployées. Maya Noël, la directrice générale de France Digitale, compte, elle, beaucoup sur la deuxième phase de l’initiative Tibi, qui doit mobiliser 7 milliards d’euros de fonds privés. Et Franck Sebag, associé chez EY, mise sur “la montée en puissance” de l’intelligence artificielle générative et des greentech, et sur la baisse attendue des taux des banques centrales. De quoi “garantir une accélération des investissements”, prédit-il.
Pour aller plus loin:
– Entre catastrophisme et espoir, la French Tech navigue à vue
– Chute historique des levées de fonds des start-up européennes
Pour survivre, les plateformes de trottinettes Tier et Dott fusionnent
Voilà des mois que Tier cherchait un repreneur. Mais après avoir discuté avec quasiment tous les gros du secteur – en particulier l’estonien Bolt, avec lequel un accord semblait proche au printemps –, la plateforme allemande de location en libre-service de trottinettes électriques n’a pas trouvé d’acheteur. La faute notamment à une dette estimée à 100 millions d’euros, explique le site Sifted. À la place, elle a annoncé mercredi qu’elle allait fusionner avec Dott, sa petite rivale néerlandaise. L’opération, qui doit être finalisée au cours des trois prochains mois, créera le numéro un européen du marché des trottinettes. Elle doit surtout permettre aux deux entreprises de dégager des synergies, avec l’espoir de finalement atteindre la rentabilité.
Lourdes pertes – Toutes les deux fondées en 2018, Tier et Dott font partie de la vague de start-up européennes qui ont surfé sur la mode des trottinettes en free floating (sans bornes). Profitant de l’appétit des investisseurs, qui parient alors sur l’essor des micromobilités dans les centres-villes, elles ont pu lever des sommes conséquentes: 650 millions de dollars pour l’allemande et 230 millions pour la néerlandaise. Mais elles ont aussi accumulé de lourdes pertes, sur un marché très concurrentiel qui nécessite de se déployer rapidement dans de nombreuses villes. Cette stratégie était tenable tant que les financements suivaient. Mais le resserrement des politiques monétaires pour lutter contre l’inflation a provoqué une chute des levées de fonds, en particulier pour les start-up au modèle économique incertain.
Dott aux commandes – Plus agressive que Dott dans son expansion, Tier a rencontré le plus de difficultés. Comme ses rivales, elle a dû abandonner son obsession pour la croissance pour chercher à devenir rentable. La start-up a procédé à plusieurs vagues de licenciements, la dernière en novembre lors de laquelle elle a supprimé 22% de ses effectifs. Elle a délaissé plusieurs marchés et arrêté la location de scooters électriques. Et aussi revendu sa filiale Spin, rachetée début 2022, sonnant le glas de ses ambitions américaines. Au printemps dernier, Tier n’a pas réussi à mener une indispensable levée de fonds, l’obligeant à s’endetter pour survivre le temps de trouver un repreneur, qui n’est jamais arrivé. Acculés, ses dirigeants ont dû accepter de laisser les commandes de la nouvelle entité aux responsables de Dott.
Rentable en 2024 ? – La fusion entre les deux plateformes s’accompagne d’un financement additionnel de 60 millions d’euros, auprès d’investisseurs existants, sur la base d’une valorisation ramenée, selon le journal allemand Manager Magazin à seulement 150 millions – contre deux milliards pour Tier en 2021. Cette somme donnera un peu d’air au nouveau groupe, qui promet de devenir rentable sur une base ajustée en 2024. Après des années de pertes, les acteurs du marché commencent en effet à entrevoir des jours meilleurs, notamment grâce à des trottinettes plus robustes, capables d’être amorties sur une durée plus longue, et au passage à des batteries amovibles, abaissant les coûts de recharge. Et la consolidation du marché permet aussi de limiter la concurrence dans les grandes villes.
Pour aller plus loin:
– Bird, le pionnier des trottinettes électriques, se place en faillite
– Spin, symbole de l’histoire mouvementée des trottinettes électriques
Google et Amazon continuent de licencier
Amazon et Google entament 2024 comme ils avaient démarré 2023: par des licenciements, certes moins impressionnants que l’an passé. Mercredi, le géant du commerce en ligne a officialisé des centaines de suppressions de postes dans les équipes de sa plateforme de streaming Prime Video et des studios MGM, qu’il a rachetés en 2021 pour 8,5 milliards de dollars. Il s’est aussi séparé de 500 salariés chez Twitch, sa filiale de streaming en direct. Jeudi, le moteur de recherche a, lui, annoncé des centaines de licenciements dans ses divisions dédiées au hardware, à la réalité augmentée et à son assistant vocal. Début 2023, les deux groupes avaient mené de vastes plans sociaux : 27.000 employés concernés chez Amazon et 12.000 chez Google. D’autres vagues de licenciements, plus petites, ont suivi depuis. Pourtant, les deux entreprises ont enregistré une hausse de leurs profits ces derniers mois. Et leurs cours boursiers sont nettement repartis à la hausse.
Pour aller plus loin:
– Une deuxième vague de licenciements chez Amazon
– Plus de 100.000 licenciements dans la tech en 2022
Crédit photos: Unsplash / Claudio Schwarz - Voi