La revanche de Spotify
Et aussi: Netflix se lance dans la diffusion en direct de sport - La stratégie gagnante de Netflix
Spotify lance la bataille avec Apple autour du Digital Markets Act
Un mois et demi avant l’entrée en vigueur du Digital Markets Act, Spotify occupe déjà le terrain. Et met la pression sur Apple, qui n’a toujours pas indiqué comment il souhaitait se mettre en conformité, dès le 7 mars, avec cette nouvelle réglementation européenne. Mercredi, la plateforme suédoise de streaming musical a promis des changements importants au sein de son application iOS, jusqu’à présent soumise aux règles très strictes du groupe à la pomme. Elle espère notamment pouvoir mettre en place son propre système de paiement, échappant aux commissions de 15% ou de 30%, qu’elle considère comme une taxe qu’elle refuse de payer. Concrètement, cela devrait permettre aux utilisateurs de Spotify de souscrire à un abonnement payant directement depuis leur iPhone ou iPad, sans payer un prix supérieur.
Big bang – Pour Daniel Ek, le fondateur du leader du streaming, le DMA constitue une revanche. Voilà des années qu’il dénonce les pratiques d’Apple, devenu son principal rival suite au lancement de son offre musicale en 2015. Sans grande avancée majeure jusqu’à présent. Votée en 2022, la nouvelle législation européenne devrait, elle, représenter un véritable big bang dans le domaine des applications mobiles, sur lequel le concepteur de l’iPhone et Google ont toujours imposé leur loi grâce à leur position dominante. Le DMA va notamment autoriser l’installation d’autres boutiques sur les smartphones, ainsi que les téléchargements directs. Il va aussi permettre aux développeurs d’utiliser le système de paiement de leur choix, et donc théoriquement de ne plus verser des commissions sur chaque achat ou abonnement.
Déclarations d’intention – Jusqu’en 2016, Spotify avait choisi de répercuter ce surcoût sur le prix de son offre payante, qui était donc 30% plus chère sur un iPhone. Depuis, la plateforme a supprimé la possibilité de s’abonner. Une fonctionnalité qu’elle promet donc de rétablir, tout en offrant le même prix qu’ailleurs. Spotify prévoit aussi de proposer la vente à l’unité des livres audio – une option qui n’existe pas sur ses applications iOS. Ces promesses ont été illustrées, mercredi, par une petite vidéo de présentation de sa future application, qui répondra, assure la société, à “l’une des principales critiques” qui lui sont adressées. Mais celles-ci ne sont encore que des déclarations d’intention car elles restent dépendantes, au moins à court terme, de la stratégie d’Apple face au DMA.
Bataille de communication – Le groupe américain dispose en effet d’une marge de manœuvre car le texte reste très général. Selon le Wall Street Journal, il va notamment tenter de préserver ses commissions, même si la transaction passe par une autre plateforme de paiement. Dans les pays où il a été forcé d’assouplir ses règles, comme aux États-Unis, Apple a instauré des frais de 12% ou de 27%. Une telle mesure susciterait des vives critiques et probablement des recours devant Bruxelles. En dévoilant ses projets dès maintenant, Spotify lance déjà la campagne de communication auprès des responsables européens et des consommateurs. Tout en montrant la voie aux autres développeurs pour leur prouver qu’il est possible de s’affranchir des commissions d’Apple. Cela se traduirait par un important manque à gagner pour son rival. Une belle revanche.
Pour aller plus loin:
– Comment Apple tente d’échapper au DMA européen
– Spotify réclame à Bruxelles des “mesures rapides” contre Apple
Avec le catch, Netflix se lance dans la diffusion en direct d'événements sportifs
Il fallait peut-être y voir un signe annonciateur. En septembre, Netflix lançait la diffusion d’une série documentaire sur le catch amateur. Quatre mois plus tard, la plateforme américaine de streaming vidéo a officialisé, mardi, un accord avec la WWE, le géant américain de cette discipline à la frontière entre sport et divertissement. À partir de janvier 2025, elle va ainsi retransmettre en direct l’émission vedette Raw aux États-Unis. À l’international, elle diffusera aussi tous les autres combats et programmes produits par la WWE. Ce contrat se chiffre à 5 milliards de dollars sur dix ans – avec la possibilité de l’interrompre au bout de cinq ans ou, au contraire, de le prolonger pour dix ans de plus. Il marque une véritable révolution pour Netflix, qui s’était jusqu’à présent tenu à l’écart du sport en direct.
Documentaires – La société de Los Gatos n’a jamais retransmis un événement sportif – hormis un tournoi caritatif de golf entre des golfeurs professionnels et des pilotes de Formule 1 en novembre. À la place, elle s’est concentrée sur la production de documentaires dans les coulisses des compétitions, dans le sillage du succès d’audience Drive To Survive sur le championnat de F1. L’an passé, elle a aussi lancé une série sur le Tour de France. Ces rivaux ont adopté la stratégie inverse. Depuis 2017, Amazon a mis la main sur de nombreux droits, dont 16 matchs de NFL (football américain) pour lesquels il paie un milliard de dollars par an. En 2022, Apple a mis la main sur les droits internationaux de la MLS, la ligue américaine de football. Aux États-Unis, Peacock et Paramount ont aussi musclé leur offre sportive.
Les profits avant tout – Pour ces plateformes, le sport devait représenter un argument de vente pour s’imposer sur un marché très concurrentiel. Un impératif qui ne se posait pas à Netflix, compte tenu de sa position dominante, notamment grâce à la richesse de son catalogue de films, séries et documentaires. Le groupe a donc refusé de participer à la surenchère sur les droits sportifs, pour lesquels les acteurs de streaming sont en concurrence avec les chaînes de télévision, les diffuseurs historiques de ces compétitions. “Nous ne sommes pas contre le sport, nous sommes simplement en faveur des profits”, expliquait fin 2022 Ted Sarandos, son co-directeur général. Dans cette optique, Netflix a privilégié deux autres relais de croissance: la lutte contre le partage de compte et une offre avec publicités.
D’autres compétitions ? – Ce nouvel abonnement pourrait expliquer, en partie, la volte-face de Netflix, car il offre de nouvelles opportunités de monétisation pour rentabiliser l’acquisition des droits. De quoi ouvrir la voie à d’autres compétitions ? Ted Sarandos tente de minimiser la portée de l’accord avec la WWE, soulignant que le catch est dans la ligne éditoriale de la plateforme: du divertissement sportif. Les émissions en direct de la WWE sont diffusées 52 semaines par an. Et elles sont entièrement produites par leur organisateur, ce qui n’est pas le cas des compétitions sportives. Netflix a aussi pu acheter les droits mondiaux, ce qui n’est pas la norme dans le sport. “Je ne considérerais pas [cet accord] comme un changement de notre stratégie dans le sport”, promet ainsi Ted Sarandos.
Pour aller plus loin:
– Lourdes pertes pour DAZN, le “Netflix du sport”
– Avec la MLS, Apple accélère son offensive dans le sport
L'abonnement avec publicités dope la croissance de Netflix
Netflix a définitivement tourné la page de sa gueule de bois post-Covid. Au quatrième trimestre 2023, la plateforme de streaming vidéo a gagné 13,1 millions d’abonnés, sa deuxième meilleure performance historique – seulement derrière le premier trimestre 2020, période de confinements. Celle-ci est le résultat d’une double volte-face. D’abord, la lutte contre le partage de compte, une pratique très répandue que la société avait laissé se développer. Ensuite, le lancement d’un abonnement avec publicités, moins chère et donc capable de toucher un public plus large. Plus de 23 millions d’abonnés, sur un total de 260 millions, ont choisi cette offre. Dans les pays où elle est disponible, elle représente désormais 40% des nouveaux inscrits. Netflix profite aussi des difficultés de ses principaux concurrents, engagés dans une course aux économies. Elle a ainsi pu récemment augmenter ses prix, sans susciter une vague de désabonnements.
Pour aller plus loin:
– Netflix, grand vainqueur de la “guerre du streaming”
– Pourquoi Netflix a changé de stratégie dans le cinéma
Crédit photos: Spotify - WWE