L'Europe remet en cause le modèle de l'Uber-économie
La menace pesait depuis deux ans sur Uber, Deliveroo et toutes les autres sociétés dont le modèle repose sur le recours à des travailleurs indépendants. Elle s’est concrétisée mercredi à Bruxelles. Au terme de négociations tripartites, l’Union européenne a en effet trouvé un accord pour réglementer les conditions de travail dans le secteur. La mesure phare du texte, dont tous les détails n’ont pas encore été rendus publics, prévoit d’accorder le statut de salarié aux chauffeurs et aux livreurs, leur garantissant ainsi de bénéficier d’un salaire minimum, de congés payés et d’une protection sociale. Jusqu’à 5,5 millions de personnes, sur un total de 28 millions, pourraient être concernées par ces nouvelles règles, selon les estimations de la Commission. Le coût pour l’Uber-économie pourrait atteindre 4,5 milliards d’euros par an.
Niveau de rémunération – La directive doit encore être définitivement adoptée par le Conseil et le Parlement. Les pays membres de l’Union européenne auront ensuite deux ans pour la transposer dans leur droit national. Le texte prévoit que les travailleurs seront “présumés” employés si deux critères sur cinq sont remplis. Par exemple, si la plateforme fixe le niveau de leur rémunération, supervise leur travail ou ne leur permet pas de choisir leurs horaires. Dans ce cas de figure, ils bénéficieront de tous les avantages prévus par la législation du pays. Les Vingt-Sept souhaitent aussi protéger les chauffeurs et les livreurs contre l’utilisation abusive de certaines données personnelles et d’algorithmes, notamment pour décider d’une fermeture de leur compte. Une supervision humaine sera désormais obligatoire.
Modèle économique – Le recours aux travailleurs indépendants a été popularisé par Uber, avec sa plateforme de voitures avec chauffeur. Ce modèle a depuis été répliqué sur de nombreux secteurs d’activité, de la livraison de repas aux tâches ménagères. Cette économie des petits boulots repose sur une main-d’œuvre bon marché – rémunérée à la tâche sans aucune garantie de revenus ni avantages sociaux –, abondante et flexible. Toutes les entreprises assurent que leur modèle économique ne peut pas fonctionner autrement: salarier leurs travailleurs se traduirait par une hausse des coûts et par un manque de souplesse dans leurs activités, nécessaire pour pouvoir absorber des pics d’activité. Elles prédisent ainsi des prix plus élevés, des temps d’attente plus longs ou encore des fermetures de service dans les petites villes.
“Troisième voie” – Depuis deux ans, l’Uber-économie a mené une intense campagne de lobbying – elle ne désespère toujours pas de convaincre des gouvernements de faire capoter le projet de directive. Ses dirigeants ont notamment mis en avant l’exemple d’une loi similaire en Espagne, qui avait conduit Deliveroo à quitter le pays. Ou encore les difficultés financières de Just Eat, qui avait fait le choix de salarier ses livreurs, avant de faire en partie marche arrière. À la place, ils militaient pour une “troisième voie” proposée par Uber: un statut hybride, capable de réconcilier la nécessité de préserver le modèle économique avec celle de mieux protéger les chauffeurs et livreurs. Un statut que l’entreprise américaine a dû accepter au Royaume-Uni. Mais leurs arguments n’ont pas été entendus par les dirigeants européens.
Pour aller plus loin:
– Comment Uber est enfin devenu rentable
– Just Eat renonce de plus en plus à salarier ses livreurs
Meta lance Threads, son rival de Twitter, en Europe
Six mois après ses débuts, Threads arrive enfin en Europe. Ce jeudi, les internautes du continent vont pouvoir commencer à utiliser ce rival de X, l’ancien Twitter, lancé début juillet par Meta, la maison mère de Facebook et d’Instagram. Cet important délai s’explique notamment par la nécessité de se mettre en conformité avec plusieurs dispositions du Règlement général sur la protection des données (RGPD). L’arrivée en Europe représente une étape importante, peut-être décisive, pour Threads, qui espère gagner plusieurs dizaines de millions d’utilisateurs. Et ainsi redonner un coup de fouet à sa plateforme, qui avait enregistré un départ canon – plus de 100 millions d’inscrits en seulement cinq jours, du jamais vu. Mais qui a depuis vu son audience s’essouffler, une fois passé l’effet de curiosité.
Étude d’impact – Le RGPD impose une analyse d’impact relative à la protection des données pour tout nouveau produit “susceptible d’engendrer un risque élevé pour les droits et libertés”. En attendant de réaliser cette étude auprès de la DPC, la Cnil irlandaise, son autorité de référence dans le cadre du “guichet unique” prévu par la législation européenne, la société avait décidé de ne pas perdre de temps. Et donc d’exclure l’Europe de la phase de lancement, comme l’avait fait Google avec son robot conversationnel Bard. Selon Meta, un deuxième élément justifiait ce délai: des “incertitudes réglementaires” liées au futur Digital Markets Act (DMA) européen, qui interdit le transfert de données entre plusieurs applications de la même entreprise. Ce que fait Threads en s’appuyant sur les profils Instagram.
Intégration avec Instagram – Meta n’a pas encore communiqué sur les changements apportés à la version européenne de Threads. Selon le Wall Street Journal, il sera possible d’utiliser l’application sans créer de compte, mais seulement pour consulter les messages publiés par les utilisateurs inscrits. La question du transfert de données entre Threads et Instagram reste encore en suspens. Et elle pourrait aussi être réglée plus tard car le DMA n’entre en vigueur qu’en mars. Cette intégration est capitale. Elle permet de simplifier le processus d’inscription et d’assurer aux utilisateurs de la nouvelle plateforme de ne pas partir avec une audience nulle – un élément primordial. L’application de photos et de vidéos représente également un formidable outil de promotion de Threads auprès de ses deux milliards d’adeptes.
Rejet d’Elon Musk – Peu après son lancement, le réseau avait connu une forte chute de son audience, selon les estimations du cabinet SimilarWeb. Fin octobre, Mark Zuckerberg assurait pourtant que Threads comptait presque 100 millions d’utilisateurs actifs par mois. Le patron de Meta se montre très optimiste, répétant que le service pourrait atteindre la barre du milliard d’adeptes, ce qui lui permettrait de dépasser très nettement Twitter. Il espère notamment profiter des polémiques autour d’Elon Musk, propriétaire de son rival. Après un lancement qui semble avoir été un peu précipité, Meta a réalisé plusieurs mises à jour, ajoutant par exemple la possibilité de “republier” des messages postés par d’autres membres, un fil d’actualités antéchronologique ou encore une version web. En revanche, les messages privés et un véritable moteur de recherche sont toujours absents.
Pour aller plus loin:
– Avec Threads, Twitter fait face à un premier rival d’envergure
– De nombreux annonceurs boycottent à nouveau Twitter
Crédit photos: Unsplash / Dan Gold - Meta