Bruxelles sévit... mais pas trop fort contre Apple et Meta
500 millions d'euros d'amende pour le groupe à la pomme, 200 millions pour le réseau social dans le cadre du DMA
Bruxelles inflige des amendes à Apple et Meta, les premières dans le cadre du DMA
La Commission européenne a pris son temps. Mercredi, après plusieurs semaines de report, elle a infligé ses deux premières amendes dans le cadre du Digital Markets Act. Des amendes modestes, comme attendu: 500 millions d’euros pour Apple et 200 millions pour Meta. Très loin de la pénalité maximale de 10% du chiffre d’affaires mondial, prévue par cette nouvelle réglementation visant à renforcer la concurrence dans le numérique. Son choix peut être interprété comme une volonté de ne pas accentuer les tensions avec l’administration Trump. Bruxelles préfère mettre en avant la volonté de coopérer avec les entreprises, pour les pousser à changer leurs pratiques plutôt que de se lancer dans une bataille judiciaire. L’exécutif européen laisse d’ailleurs 60 jours à Apple et Meta pour se mettre en conformité, avant l’instauration de potentielles astreintes journalières.
Tester les limites – Le DMA marque une rupture historique pour les autorités antitrust, essayant d’agir a priori, plutôt qu’a posteriori, pour lutter contre des pratiques anticoncurrentielles. Le texte concerne seulement sept géants du numérique, baptisés “contrôleurs d’accès”. Et seulement 24 de leurs services, comptant plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels sur le continent. Cependant, il ne fixe que de grands principes, sans mentionner de règles précises. Il laisse ainsi une marge de manœuvre aux entreprises pour décider des mesures à mettre en place. Logiquement, celles-ci ont cherché à ne modifier que le strict nécessaire pour tenter d’atténuer l’impact sur leurs activités, quitte à multiplier ensuite les concessions. Elles souhaitaient ainsi tester les limites de la réglementation, mais aussi la détermination de Bruxelles à faire appliquer le DMA.
Apple limite les redirections
Anti-steering – À ce petit jeu, Apple est celui qui a poussé le plus loin. Plusieurs procédures sont ainsi en cours contre la marque à la pomme. Sa première amende porte sur la pratique dite d’anti-steering, qui consiste à empêcher les développeurs d’applications à rediriger leurs utilisateurs vers un site Internet pour effectuer des achats ou souscrire à un abonnement. Celle-ci lui a déjà valu une forte sanction. Elle est désormais interdite en Europe. Sur le papier, Apple y a bien renoncé. Les applications ont le droit d’intégrer des liens pour rediriger les utilisateurs. Et ainsi ne plus passer par le système de paiement du groupe. Mais Bruxelles estime qu’il impose des restrictions “techniques et commerciales”. Par exemple, il n’autorise pas les développeurs à indiquer les prix pratiqués sur leur site pour mettre en avant de potentielles économies.
Commissions – Pour la Commission, ces restrictions ne sont pas “objectivement nécessaires et proportionnées”. Elle demande donc à l'entreprise de les lever. En revanche, elle n’évoque plus les commissions qu’Apple continue de prélever sur les achats réalisés lors d’une redirection. En juin dernier, elle parlait pourtant de montant allant bien “au-delà de ce qui est strictement nécessaire”. Entre-temps, la société de Cupertino a changé sa structure de prélèvements. Initialement, elle souhaitait ponctionner 12% ou 27% sur les achats réalisés pendant sept jours après la redirection, soit seulement 3 points de moins que pour un achat in-app. Elle réclame désormais entre 7% et 25% sur les transactions au cours des douze mois suivant l’installation ou la mise à jour d’une application. Un changement qui semble donc avoir satisfait l’exécutif européen.
Le “pay or consent” de Meta
Partage des données – De son côté, Meta est sanctionné pour ne pas demander l’autorisation de ses utilisateurs avant de partager leurs données personnelles entre ses réseaux sociaux Facebook et Instagram. Le DMA a ajouté cette obligation, avec l’espoir de limiter les effets de taille sur le marché publicitaire favorisant les plus gros acteurs du secteur. Le texte impose aussi de proposer une alternative “équivalente” à ceux qui refusent. Fidèle à la stratégie menée dans le cadre du Règlement général sur la protection des données – stratégie qui lui a déjà coûté très cher –, Meta refuse de mettre en place un consentement classique, permettant d’accepter ou pas le partage. Le groupe estime, probablement à juste titre, qu’une grande majorité des utilisateurs aurait répondu par la négative, handicapant sa capacité de monétisation de son audience.
Abonnement payant – Pour se conformer au DMA – et aussi au RGPD– , Meta a lancé un abonnement payant, initialement proposé à partir de dix euros par mois, qui permet de surfer sur Facebook et Instagram sans aucune publicité. Et sans que des données personnelles transitent de l’un vers l’autre. Pour Bruxelles, ce principe de “pay or consent” ne permet pas aux utilisateurs d’accorder “librement” leur consentement au partage de leurs données personnelles. Il ne respecte donc pas le DMA. Les Cnils européennes estiment également que celui-ci n’est pas conforme au RGPD. Contraint de revoir sa copie, Meta a baissé en novembre le prix de ses abonnements, désormais proposés à partir de six euros. Et il propose désormais une version avec des publicités “moins personnalisées”. Bruxelles a pris note de ces changements, qu’elle va étudier sous le prisme du DMA.
Des amendes suffisantes ?
Réactions virulentes – Si Bruxelles souhaite maintenir le dialogue avec Apple et Meta, la réaction des deux groupes américains laisse peu d’espoir. Dans la lignée de sa communication très dure envers le DMA, Apple s’estime “injustement” ciblé par la Commission, se disant contraint de “donner gratuitement ses technologies”. La société a indiqué qu’elle allait faire appel devant la justice européenne. Meta est encore plus virulent. Par l’intermédiaire de Joel Kaplan, son nouveau responsable des affaires publiques, partisan de Donald Trump, le réseau social compare ses amendes à des “droits de douane” sur des “entreprises américaines à succès”. Une rhétorique qui vise certainement à mobiliser le locataire de la Maison Blanche, que Mark Zuckerberg a déjà sollicité face à l’Europe. Meta va aussi faire appel de cette sanction.
Astreintes journalières – Une question se pose donc: ces amendes seront-elles suffisantes pour pousser les deux groupes à changer leurs pratiques ? Beaucoup en doute, malgré les injonctions de Bruxelles. Ils estiment qu’Apple et Meta pourraient se montrer intransigeants dans l’attente du verdict de leur appel. Surtout s’ils considèrent que le montant modeste des sanctions témoigne de la position délicate de la Commission, qui veut éviter des représailles de Washington. Pour Tim Sweeney, le patron d’Epic Games, qui développe le jeu Fortnite, “seules des amendes massives” peuvent ainsi les pousser à respecter le DMA. La Commission dispose cependant d’une autre arme: des astreintes journalières pouvant s’élever à environ 47 millions de dollars pour Apple et 23 millions pour Meta. Mercredi, des responsables européens ont promis d’y recourir si nécessaire.
Pour aller plus loin:
– Face aux Gafa, l’administration Trump montre les muscles
– À Bruxelles, Henna Virkkunen reprend les rênes du DMA et du DSA
L'Europe lance une nouvelle procédure contre Apple dans le cadre du DMA
Sanctionné d’une première amende de 500 millions d’euros, Apple risque une sanction bien plus importante dans une autre affaire. Mercredi, Bruxelles a officiellement lancé une nouvelle procédure de non-conformité à son encontre. Celle-ci porte sur les boutiques tierces d’applications sur le système iOS. Pour tenter de respecter le DMA, le groupe à la pomme n’a pas eu d’autre choix que de les autoriser. Mais il a également mis en place une nouvelle structure de commissions pour les développeurs qui souhaitent se défaire de l’exclusivité de l’App Store. Il prévoit notamment de facturer 50 centimes par téléchargement annuel, au-delà de la barre du million. Ce système a été pensé pour dissuader les développeurs de rejoindre d’autres boutiques. Et ainsi éviter l’émergence d’un véritable concurrent, qui représenterait un important manque à gagner. La Commission estime que ces nouveaux prélèvements ne sont pas conformes au DMA. Elle reproche aussi à Apple de rendre le processus d’installation des applications “inutilement lourd et confus” depuis une autre boutique que son App Store.
Pour aller plus loin:
– Commissions et restrictions: comment Apple veut contrecarrer le DMA
– Au Royaume-Uni, Apple affronte une première class action à haut risque
Crédit photos: Unsplash / Alexandre Lallemand - Yarema Unsplash - Brett Jordan