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Les géants technologiques rattrapés par les droits de douane américains
“Pire que le pire scénario”. Les analystes sont unanimes: les droits de douane annoncés la semaine dernière par Donald Trump vont lourdement impacter les géants technologiques américains. À Wall Street, leurs actions, déjà en difficulté depuis le début de l’année, ont d’ailleurs accusé de très lourdes pertes jeudi et vendredi. “Cette nouvelle politique commerciale changerait négativement la donne pour la tech américaine, incapable de rivaliser avec la Chine”, redoute ainsi Dan Ives, de Wedbush, pourtant connu pour ses positions toujours très optimistes. Il cite un “bouleversement de la chaîne d’approvisionnement”, des “coûts massifs” ou encore “d’importants retards dans les investissements en raison de l’incertitude”. En outre, un risque de double peine se profile: ces entreprises pourraient être ciblées par les représailles européennes.
Consommation – Apple est probablement celui qui a le plus à perdre. Le groupe à la pomme fait toujours fabriquer l’immense majorité de ses appareils en Chine, qui seront touchés par des droits de douane additionnels de 54%. Cela représente plusieurs centaines de dollars pour un iPhone. Pour limiter l’impact, Apple pourrait envoyer vers les États-Unis une plus grande partie de sa production indienne, soumise à un taux de 26%. Dans tous les cas, il faudra arbitrer entre une contraction des marges et une hausse des tarifs. La marque pourrait aussi être rattrapée par une potentielle récession, qui pénalisera la consommation. Cela vaut aussi pour Amazon, qui pourrait en plus afficher des prix en hausse, notamment parce qu’un tiers des vendeurs tiers de sa marketplace sont basés en Chine. Et également pour l’activité publicitaire de Google et de Meta.
Cartes graphiques – Pour l’instant, les droits de douane épargnent les semi-conducteurs. Et donc les puces avancées produites par le fondeur TSMC à Taïwan – qui échappent à un tarif douanier supplémentaire de 32%. Mais cette exemption ne pourrait être que temporaire: la Maison Blanche réfléchit en effet à imposer des droits sectoriels, identiques pour tous les pays – comme elle l’a fait avec l’automobile. Fin janvier, Donald Trump avait évoqué “des taxes de 25%, 50% ou même 100%”, afin de relancer la production nationale. De tels droits de douane pourraient renchérir de plusieurs milliers de dollars le prix des cartes graphiques de Nvidia, indispensables pour entraîner et faire tourner les derniers modèles d’IA générative. Une mauvaise nouvelle pour le groupe, mais aussi pour ses clients qui devront réduire leurs projets ou dépenser davantage.
Représailles – La tech américaine pourrait également être au cœur de la réponse de l’Europe. L’hypothèse a été publiquement évoquée par le gouvernement français. Cela pourrait prendre la forme d’une taxe sur des services digitaux, similaire à la taxe Gafa mise en place par plusieurs pays, dont la France – mais dont l’efficacité est contestée, car elle est en réalité payée par les clients. Il pourrait aussi s’agir de barrières dites non monétaires, comme un encadrement renforcé de l’usage des données ou exclusion des marchés publics. Ces mesures sont rendues possibles par un instrument “anti-coercition” instauré en 2023. Elles ne font cependant pas l’unanimité. Par ailleurs, la Commission pourrait aussi se montrer plus sévère dans le cadre du DMA et du DSA, alors qu’elle pensait infliger des amendes modestes pour éviter les tensions avec Washington.
Pour aller plus loin:
– TSMC promet d’investir massivement aux États-Unis… mais reste menacé
– Mark Zuckerberg demande l’aide de Donald Trump contre l’Europe
Temu et Shein perdent leur exemption douanière aux États-Unis
Après un répit de trois mois, la brèche dans laquelle s’étaient engouffrés avec grand succès Shein puis Temu va bien se refermer. Début mai, les États-Unis vont en effet mettre fin à l’exemption de droits de douane sur les colis d’une valeur inférieure à 800 dollars, connue sous l’appellation “de minimis”. Cette règle a grandement contribué à l’essor des deux plateformes chinoises de commerce en ligne, qui expédient les achats directement depuis des entrepôts situés en Chine. Elle leur a en effet permis de bénéficier d’un avantage compétitif sur leurs concurrents, qui importent eux de grandes quantités de produits vers leur chaîne logistique américaine. Et ainsi de gagner des parts de marché avec leurs prix cassés, plébiscités par les consommateurs occidentaux. Selon la Maison Blanche, ces colis seront désormais soumis à un droit de douane de 30% de la valeur des produits qu’ils contiennent – avec un maximum fixé à 25 dollars. Temu et Shein devraient ainsi perdre, au moins en partie, leur avantage tarifaire sur Amazon. Or, celui-ci semble être primordial car il compense des délais de livraison beaucoup plus longs.
Pour aller plus loin:
– Bousculé sur les prix, Amazon reprend les recettes de Shein et Temu
– Premiers signes de ralentissement pour Temu
La Chine bloque la cession des activités américaines de TikTok
L’avenir de TikTok aux États-Unis reste toujours incertain. Vendredi, Donald Trump a accordé un délai supplémentaire de 75 jours à l’application de courtes vidéos, menacée d’interdiction par une loi votée l’an passé par le Congrès – mais dont l’entrée en vigueur a été repoussée en janvier. Pourtant, une “solution” était sur le point d’aboutir, avant la date limite fixée à samedi. Mais ce projet a été bloqué à la dernière minute par le gouvernement chinois, qui a justifié son refus par les droits de douane additionnels annoncés la semaine dernière par le président américain. S’il semble aux commandes, celui-ci est en réalité politiquement pris au piège, car il a promis d’éviter la fermeture d’une plateforme qui compte 170 millions d’utilisateurs américains. Quitte à proposer à Pékin un assouplissement des droits de douane.
Sécurité nationale – Depuis près d’un an, la législation américaine demande au propriétaire de TikTok, le groupe chinois ByteDance, de se séparer de sa branche américaine. Elle met en avant des risques pour la sécurité nationale: le réseau pourrait permettre à Pékin de collecter massivement des données ou d’influencer l’opinion publique en privilégiant certains contenus. L’échéance était initialement fixée au 19 janvier. Débouté par la Cour suprême des États-Unis, la plateforme a cependant profité du retour à la Maison Blanche de Donald Trump, pour s’offrir un premier sursis – lui aussi de 75 jours. Dans la foulée, Oracle avait décidé d’assurer à nouveau l’hébergement de TikTok, lui permettant de revenir en ligne après quelques heures d’écran noir. Mi-février, l’application a aussi fait son retour sur les boutiques d’Apple et de Google.
Algorithme – Longtemps à l’arrêt, les discussions entre la Maison Blanche, de potentiels acheteurs et TikTok se sont accélérées ces derniers jours. Si plusieurs repreneurs se sont manifestés, dont Amazon la semaine dernière, l’administration Trump a privilégié un consortium construit autour d’Oracle – dont le patron, Larry Ellison, est un proche du président – et de plusieurs investisseurs. L’accord prévoyait qu’ils récupèrent 50% du capital des activités américaines. Les fonds américains déjà présents dans le capital de ByteDance devaient contrôler 30%. Le groupe chinois aurait, lui, conservé 20%, le seuil maximal fixé par la loi. Pour obtenir le feu vert de Pékin, Washington avait accepté que l’algorithme de recommandations reste dans les mains de ByteDance. Oracle devait être chargé de contrôler la sécurité des données des utilisateurs.
Négociations commerciales – Le délai supplémentaire de 75 jours doit permettre aux deux gouvernements de trouver un terrain d’entente. La Chine, qui dispose d’un droit de veto dans le cadre d’une golden share dans ByteDance, a toujours affirmé être opposée à une vente de TikTok ou à une prise de contrôle par des investisseurs américains. Mais le sort de l’application pourrait désormais s’inscrire dans le cadre de négociations commerciales plus larges. L’issue reste cependant bien incertaine, tant les tensions géopolitiques se sont nettement aggravées la semaine dernière. Autre incertitude: la légalité du projet approuvé par l’administration Trump. En particulier, le fait que la société chinoise garde la main sur l’algorithme, ce qui ferait perdurer les risques sur la sécurité nationale. Des recours judiciaires sont ainsi envisageables.
Pour aller plus loin:
– TikTok lance sa plateforme de commerce en ligne en France
– ByteDance, la maison mère de TikTok, rattrape Meta
Crédit photos: Apple – Unsplash / Solen Feyissa