Pourquoi l'Europe menace d'interdire la nouvelle application de TikTok
À peine lancée, déjà interdite ? Lundi, la Commission européenne a officiellement ouvert une procédure contre TikTok Lite, une version allégée de l’application de vidéos disponible depuis la semaine dernière en France et en Espagne. Dans son viseur: un système de récompenses qui accorde des pièces virtuelles, pouvant ensuite être converties en carte-cadeau, quand les utilisateurs réalisent certaines actions (regarder ou aimer des vidéos, suivre un créateur, inviter des amis…). Un système “qui pourrait être aussi toxique et addictif que les cigarettes light”, souligne Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur. Bruxelles reproche, en particulier, à la société de ne pas avoir respecté le Digital Services Act, qui impose de mener une évaluation des risques avant le déploiement d’une nouvelle fonctionnalité en Europe.
Engagement – Initialement, TikTok Lite a été conçu pour optimiser le fonctionnement sur les smartphones les moins puissants et pour réduire la consommation de données mobiles, comme le proposent aussi Facebook, Instagram ou encore Spotify. L’application est ainsi accessible dans de nombreux pays en Asie, en Amérique latine et en Afrique. L’an passé, la société a lancé une déclinaison, destinée, elle, aux marchés plus matures. Et mettant en avant le système de récompenses. Celle-ci a d’abord été proposée au Japon et en Corée du sud, avant d’être lancée très discrètement, sans aucune annonce officielle, en Europe. L’objectif n’est plus d’élargir le public, en touchant ceux qui ne pouvaient pas utiliser l’application principale. Mais de renforcer l’engagement de ses utilisateurs, au moment où sa croissance commence à ralentir.
Risques d’addiction – Avec plus de 130 millions d’utilisateurs actifs sur le continent, TikTok fait partie de la vingtaine de “très grandes plateformes”, soumises depuis août au DSA. À ce titre, l’application doit respecter un ensemble de règles en matière de modération des contenus haineux et de la désinformation, de protection des mineurs ou encore de ciblage publicitaire. En février, la Commission avait d’ailleurs ouvert une première procédure contre la filiale de ByteDance, la soupçonnant notamment de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour limiter la dépendance de ses utilisateurs et pour vérifier leur âge. Cette fois-ci, TikTok est accusé d’avoir lancé son système de récompenses sans envoyer à Bruxelles un rapport sur les potentiels risques d’addiction et sur les mesures mises en place pour les limiter.
Vers une interdiction – La semaine dernière, la Commission a adressé une première demande d’informations à TikTok. Une requête restée sans réponse. L’application doit désormais fournir son audit d’évaluation avant ce mardi, puis son plan de mitigation des risques avant le 3 mai. Dans le cas échéant, elle pourrait se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 1% de son chiffre d’affaires mondial, soit plusieurs centaines de millions d’euros. Surtout, Bruxelles lui laisse deux jours pour apporter des garanties sur les risques de dépendance. Si celles-ci ne sont jugées suffisantes, sa nouvelle application sera temporairement interdite, dans l’attente d’un examen plus poussé. TikTok fait valoir que ses points virtuels ne sont pas accessibles aux mineurs. Et qu’ils ne sont accordés que pour une heure de visionnage par jour.
Pour aller plus loin:
– ByteDance, la maison mère de TikTok, se rapproche de Meta
–Le DSA européen affronte son premier test d’envergure
Une vente ou une interdiction: les États-Unis s'attaquent de nouveau à TikTok
C’est une habile manœuvre parlementaire qui pourrait avoir des conséquences majeures pour TikTok aux États-Unis. Samedi, la Chambre des représentants a adopté un nouveau projet de loi pour forcer une vente des activités américaines de la très populaire application de vidéos, détenue par le groupe chinois ByteDance. Face aux réticences du Sénat, qui n’avait même pas examiné le précédent texte voté le mois dernier par la Chambre, cette disposition a été, cette fois-ci, intégrée à un paquet législatif beaucoup plus large, prévoyant près de 100 milliards de dollars d’aides financières à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan. Des aides jugées prioritaires par les sénateurs, qui devraient donc se prononcer favorablement, probablement dès cette semaine, sans retirer la mesure sur TikTok afin de ne pas allonger le processus parlementaire.
Banni des app stores ? – Sauf retournement de situation, ByteDance disposera alors de neuf mois pour trouver un acheteur – et potentiellement de douze mois si la Maison blanche décide de lui accorder une rallonge afin de finaliser des négociations en cours. Faute de quoi, TikTok sera banni des boutiques d’applications mobiles, empêchant ainsi ses 170 millions d’utilisateurs américains de l’installer sur un nouvel appareil ou de la mettre à jour. Le précédent projet de loi ne lui accordait que 165 jours, soit à peine cinq mois et demi. Un délai jugé trop court par certains sénateurs, compte tenu de la complexité du dossier. Autre avantage: cela repousse une éventuelle interdiction après les prochaines élections de novembre. Mais cela laisse aussi beaucoup de temps à TikTok pour contester cette mesure devant la justice.
Premier amendement – Dans un message interne, consulté par Bloomberg, les dirigeants de la société promettent de saisir les tribunaux dès que le texte sera promulgué. Leur argumentaire portera sur le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté d’expression. En 2020, des juges avaient déjà bloqué les efforts de l’administration Trump pour forcer une vente à Oracle et Walmart. Même chose au Montana, qui voulait interdire l’application. Pour éviter le même sort, le gouvernement américain va devoir prouver que TikTok représente bien un risque majeur sur la sécurité nationale. Les parlementaires évoquent de potentielles campagnes d’influence de Pékin, susceptibles de manipuler l’opinion publique grâce à l’algorithme de recommandations de l’application. Mais aucune preuve concrète n’a encore été apportée.
100 milliards de dollars – En cas de feu vert de la justice, un autre obstacle restera à franchir: trouver un acheteur. Comme en 2020, il semble probable que ByteDance décide de céder l’ensemble de TikTok, et pas seulement les activités américaines. À l’époque, l’application était valorisée à 60 milliards de dollars. Une somme qui pourrait désormais atteindre les 100 milliards, alors que l’audience a continué de grimper et que la monétisation s’est accélérée. Peu d’acteurs peuvent s’aligner, d’autant que les autorités bloqueront un rachat par un géant du numérique. Un montage capitalistique est possible pour faire baisser la facture, comme il y a quatre ans. Dans tous les cas, la Chine a déjà indiqué qu’elle s’opposerait à la cession de l’algorithme de recommandations, qui resterait donc toujours dans les mains de… ByteDance.
Pour aller plus loin:
– TikTok, une arme d’influence pour Pékin ?
– Comment un milliardaire américain a sauvé TikTok
Netflix continue de gagner des abonnés
Sur un secteur en crise, Netflix n’en finit plus d’afficher une insolente réussite. Au premier trimestre, la plateforme de streaming vidéo a gagné 9,3 millions d’abonnés, sa meilleure performance sur cette période depuis 2020. Celle-ci est le résultat d’une double volte-face. D’abord, la lutte contre le partage de compte, une pratique très répandue que la société avait laissé se développer. Ensuite, le lancement d’un abonnement avec publicités, moins cher et donc capable de toucher un public plus large. Dans les pays où il est disponible, celui-ci représente désormais 40% des nouveaux inscrits. Netflix profite aussi des difficultés de ses principaux concurrents, engagés dans une course aux économies. Elle a ainsi pu récemment augmenter ses prix, sans susciter une vague de désabonnements. Mais cette période de forte croissance pourrait bientôt prendre fin, redoute désormais Wall Street, alors que la plateforme a décidé de plus publier son nombre d’abonnés à partir de l’année prochaine.
Pour aller plus loin:
– Netflix, grand vainqueur de la “guerre du streaming”
– Pourquoi Netflix a changé de stratégie dans le cinéma
Crédit photos: TikTok - Unsplash /Solen Feyissa