"L'IA ? La plus grande bulle de tous les temps”
Et aussi: Ralentissement pour Temu - TikTok rattrapé par le DSA
Après l'euphorie, les craintes d'une bulle autour de l'IA générative
Une bulle similaire à celle des valeurs Internet en 2000. Dans l’euphorie générale autour de l’intelligence artificielle générative, le discours de Adam Selipsky détonne. Certes, le patron d’Amazon Web Services, le leader mondial du cloud, prédit que cette technologie sera “transformative” et changera “la manière dont pratiquement toutes les applications dans le monde fonctionnent”. Mais il prévient aussi que certaines start-up du secteur, dont les valorisations sont montées en flèche depuis un peu plus d’un an, sont “massivement surévaluées”. Un constat partagé dès l’été dernier par Emad Mostaque, le controversé patron de Stability AI, qui évoquait alors “la plus grande bulle de tous les temps”. Une bulle dont la start-up britannique, en grandes difficultés financières, pourrait, ironiquement, être la première victime.
27 milliards de dollars – Depuis les débuts spectaculaires, fin 2022, de ChatGPT, le robot conversationnel conçu par OpenAI, les investisseurs se ruent sur les spécialistes de l’IA générative. Tous redoutent de rater la révolution annoncée, qui doit faire la fortune des concepteurs de modèles d’IA ou des éditeurs de logiciels permettant de tirer profit de ces avancées. Cela concerne les grands fonds de capital-risque, mais aussi les géants technologiques américains, comme Microsoft, Google, Nvidia ou encore Amazon. Malgré l’avertissement d’Adam Selipsky, le géant du commerce en ligne s’est ainsi engagé à investir jusqu’à 4 milliards de dollars dans Anthropic, qui conçoit un rival de ChatGPT. Selon les décomptes du cabinet Pitchbook, les start-up d’IA générative ont levé 27 milliards de dollars l’an passé.
Fortes valorisations – Environ deux tiers de cette somme ont été apportés par Microsoft, Google et Amazon, principalement sous la forme de crédits cloud accordés aux grands noms du secteur pour leur permettre d’entraîner leur modèles. Mais l’euphorie autour de l’IA a aussi profité à de nombreuses start-up, qui ont pu récolter des dizaines de millions de dollars quelques semaines seulement après leur lancement. Le plus souvent uniquement sur une idée ou sur le CV de leurs fondateurs. Et donc sans avoir encore généré le moindre chiffre d’affaires. Parallèlement, les valorisations se sont envolées: près de 90 milliards de dollars pour OpenAI, pas loin de 20 milliards pour Anthropic, 4 milliards pour Inflection… Et 2 milliards pour la start-up française Mistral AI, sept mois après sa création, du jamais vu en Europe.
Coûts élevés – Ces derniers mois pourtant, le nombre de levées de fonds a diminué. Et plusieurs sociétés, à l’image de Stability AI, n’ont pas trouvé les investissements recherchés. Le secteur semble ainsi se consolider derrière quelques grands noms, qui peuvent justifier de telles valorisations. Il est rattrapé par les gigantesques ressources informatiques requises pour l’entraînement puis le fonctionnement des grands modèles d’IA générative. Cela se traduit par des coûts importants pour les sociétés qui les développent et pour celles qui les utilisent pour concevoir des logiciels, ce qui va peser sur leur modèle économique. Ces coûts limitent aussi les applications commerciales de l’IA. “De nombreuses entreprises réalisent que leurs programmes pilotes peuvent être très coûteux à mettre en production”, souligne Adam Selipsky.
Pour aller plus loin:
– Les coûts de l’intelligence artificielle menacent de freiner son adoption
– Xavier Niel lance Kyutai, un laboratoire d’IA à but non lucratif
Premiers signes de ralentissement pour Temu
Le slogan – “achetez comme un milliardaire” – n’a pas changé. Comme l’an passé, Temu a diffusé plusieurs publicités lors du Super Bowl, la grande finale du championnat de football américain. Mais le contexte est différent pour la plateforme chinoise de shopping à prix cassés, filiale du géant du e-commerce Pinduoduo. Après des mois de forte croissance aux États-Unis, celle-ci a en effet accusé une chute de 16,7% de ses ventes entre novembre et janvier, selon les estimations du cabinet Bloomberg Second Measure, qui s’appuie sur des reçus de cartes de paiement. Certes, ce repli doit être nuancé: le volume d’achat a été multiplié par neuf au cours des douze derniers mois sur le marché américain. Mais il constitue un signal d’alarme important, illustrant la forte dépendance de Temu à ses dépenses marketing et ses promotions.
Entrepôts chinois – Lancé à l’automne 2022 aux États-Unis puis dans une quarantaine de pays, dont la France, Temu a bâti son succès sur son immense catalogue de vêtements, bijoux, ustensiles de cuisine ou encore accessoires électroniques à petits prix – parfois moins d’un dollar, rarement plus de dix dollars. Sur ce segment du marché, la société n’entre pas directement en concurrence avec Amazon. Mais davantage avec AliExpress d’Alibaba et avec Shein, le géant chinois de l’ultra fast fashion, qui diversifie de plus en plus son offre. Comme ses deux rivales chinoises, la plateforme reprend le principe du cross-border: les produits, vendus par des marchands tiers, sont expédiés directement depuis des entrepôts chinois. Cela permet de limiter les coûts, mais se traduit également par des délais de livraison rallongés.
Dépenses publicitaires – Au-delà des prix, la recette gagnante de Temu, application la plus téléchargée l’an passé aux États-Unis, repose sur deux autres piliers. D’abord, un marketing très agressif sur les applications mobiles, les plateformes de vidéos et les réseaux sociaux. Elle mène en ce moment environ 13.000 campagnes publicitaires auprès des utilisateurs américains de Facebook et Instagram, selon les chiffres publiés par leur maison mère Meta. Ensuite, la gamification, qui a déjà fait ses preuves sur Pinduoduo en Chine. L’application propose des mini-jeux pour gagner des bons de réduction, pouvant rapidement atteindre des dizaines, voire des centaines de dollars, notamment en invitant des amis à s’inscrire. En marge du Super Bowl, Temu a ainsi promis de distribuer pour dix milliards de dollars de cadeaux.
Fragilité du modèle – Deux éléments peuvent expliquer la baisse des ventes aux États-Unis. D’abord, les délais de livraison alors que les consommateurs privilégient plutôt la livraison rapide à l’approche de Noël. Ensuite, une baisse du budget marketing, au profit d’autres marchés. Cela démontre la fragilité du modèle: pour continuer de grossir, Temu doit continuellement diffuser des publicités et offrir des promotions parce qu’une grande partie des achats ne repose pas sur des besoins immédiats. Et parce qu’une partie des utilisateurs renonce à racheter après avoir reçu des produits de mauvaise qualité. Cela se traduit par des pertes importantes: 23 milliards de yuans (3 milliards d’euros) en 2023, selon le média chinois 36kr. Des pertes que Pinduoduo peut se permettre, pour le moment, grâce à ses résultats record en Chine.
Pour aller plus loin:
– Alibaba change de stratégie pour accélérer en Europe
– Tiktok lance (enfin) son offensive dans le commerce en ligne
L’Europe ouvre une enquête contre TikTok dans le cadre du DSA
Rappelé à l’ordre en octobre, TikTok est désormais officiellement ciblé par une enquête formelle de Bruxelles dans le cadre du Digital Services Act (DSA). Celle-ci devra déterminer si l’application de courtes vidéos a bien respecté les nouvelles obligations entrées en vigueur en août. En particulier, celles qui visent à protéger les mineurs. La Commission européenne soupçonne TikTok de ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour limiter la dépendance et pour vérifier l’âge des utilisateurs. La procédure portera aussi sur les obligations de transparence instaurées par la nouvelle législation, à savoir une bibliothèque regroupant l’ensemble des publicités et l’ouverture de la plateforme aux chercheurs. Elle ne concerne, en revanche, pas d’éventuels manquements dans la lutte contre la désinformation, qui pourront faire, précise Bruxelles, l’objet d’une autre enquête. Comme X, TikTok risque une amende pouvant atteindre 6% de son chiffre d’affaires mondial.
Pour aller plus loin:
– Le DSA européen affronte son premier test d’envergure
– TikTok veut suspendre l’application du DMA
Crédit photos: Inflection AI - Temu
Bonjour Jerome,
Un de vos fans m'a fait decouvrir ce billet de fevrier. Avec quelques mois de plus, je vous propose ce point de vue inverse (ou pas?): https://1mn.beehiiv.com/p/brink