Pourquoi les fonds de capital-risque ne séduisent plus les investisseurs
À l’été 2022, Insights Partners ambitionnait de lancer un nouveau fonds doté d’une enveloppe de 20 milliards de dollars pour investir dans des start-up. Mais un an plus tard, la firme new-yorkaise est encore très loin d’en avoir bouclé le financement: selon un document consulté par le Financial Times, elle n’a en effet récolté que 2 milliards auprès de ses investisseurs – les Limited Partners ou LPs dans le jargon du capital-risque. Même si les dirigeants d’Insights ne désespèrent pas d’atteindre la barre de 15 milliards, cet épisode illustre une nouvelle réalité pour les fonds de capital-risque (les VC), rattrapés à leur tour par la fin de l’argent facile en raison du resserrement des politiques monétaires des banques centrales pour lutter contre l’envolée de l’inflation.
Chute des collectes – Insights n’est pas un cas isolé. Pour son nouveau fonds lancé fin 2022, le géant américain Tiger Global, qui faisait partie jusqu’à l’an passé des investisseurs les plus actifs dans le monde des start-up, n’a réussi à lever que 2 milliards de dollars. C’est six fois moins que pour le précédent et trois fois moins que ses intentions initiales. Autre exemple: TCV a récolté moins de la moitié de son objectif, d’après The Information. Au premier trimestre, les fonds de capital-risque américains n’ont levé que 11,7 milliards de dollars, selon les données du cabinet Pitchbook. Très loin des 73,8 milliards recueillis début 2022 – un niveau record. En Europe, la tendance est similaire, même si le déclin est moins marqué: 3,4 milliards d’euros levés entre janvier et mars, contre 7,4 milliards l’an passé.
Dominos – La chute des collectes de fonds est le dernier domino à tomber depuis la hausse des taux d’intérêt, qui a stoppé net l’euphorie autour des entreprises technologiques. Fin 2021, les actions du secteur ont commencé à chuter fortement, en particulier celles des sociétés tout juste entrées en Bourse qui affichent, pour la plupart, de lourdes pertes. Ce spectaculaire renversement a ensuite gagné les start-up. Il s’est traduit par un plongeon des levées de fonds (-53% au premier trimestre 2023), par des valorisations en chute libre (à l’image de Klarna, le spécialiste suédois du paiement fractionné) et par l’arrêt total des introductions en Bourse. Dans ce contexte peu favorable, les perspectives de gains apparaissent désormais bien plus incertaines pour les LPs.
Liquidités disponibles – En attendant d’éventuels retours sur investissement, ces investisseurs continuent de verser des commissions aux fonds de capital-risque – généralement 2% par an. Et ils constatent qu’une grande partie des financements visent à soutenir des sociétés dans lesquelles les VC ont déjà investi, simplement pour éviter de tout perdre. Cette chute des collectes pourrait menacer la reprise des levées de fonds pour les start-up. Ces derniers mois, les plus optimistes soulignent que les fonds ont accumulé des montagnes de liquidités, qu’ils vont bien devoir déployer un jour. Mais ces réserves commencent désormais à baisser, prévient le cabinet Pitchbook. En particulier en Europe, “où les fonds pourraient avoir du mal à fournir un soutien supplémentaire à leurs investissements existants”.
Pour aller plus loin:
– Après une année record, les levées de fonds de la French Tech s’effondrent
– Plus de 100.000 licenciements dans la tech en 2022
Alibaba change de stratégie pour accélérer en Europe
Alibaba veut passer à la vitesse supérieure en Europe. Déjà présent par l’intermédiaire du site à petits prix Aliexpress, le géant chinois du commerce en ligne s’apprête à lancer sa plateforme Tmall sur le continent. Sans entrer dans les détails, son président Michael Evans a expliqué que celle-ci proposera des “marques locales”. Une expression assez floue qui signifie très probablement des marques reconnues et déjà présentes sur ces marchés. Cela représente un changement de stratégie important, qui va lui permettre de toucher un public bien plus large. Et qui va placer Alibaba en concurrence directe avec Amazon, le leader du secteur. “L’Europe est une priorité”, a assuré son dirigeant à l’occasion du salon Vivatech, citant également les activités dans le cloud et dans la logistique.
Test en Espagne – Tmall est l’un des deux sites marchands d’Alibaba en Chine. Il s’agit d’une place de marché (marketplace) permettant aux entreprises étrangères qui ne sont pas présentes dans le pays d’y vendre leurs produits. Depuis 2017, il propose également une section réservée au luxe, qui attire les marques les plus prestigieuses du secteur. En Europe, il est cependant peu probable que son nom soit conservé. En Espagne, où est mené un programme pilote, le groupe a d’ailleurs opté pour l’appellation Miravia. Aucune référence à Alibaba n’apparaît sur le site, pas même dans les mentions légales, qui citent une filiale basée à Singapour. Lancée très discrètement en décembre, la plateforme propose des articles de mode, des produits de beauté ou encore de l’électronique grand public.
Cross-border – Miravia se présente comme un site haut de gamme, faisant la part belle aux grandes marques occidentales – on y trouve aussi quelques marques chinoises, comme Xiaomi. Le contraste est saisissant avec Aliexpress, qui affiche des promotions exubérantes et des prix parfois inférieurs à un euro. Les deux marketplaces se distinguent également par leur fonctionnement. Aliexpress est en effet une plateforme cross-border: les produits proposés sont directement expédiés depuis des entrepôts chinois, ce qui permet de limiter les coûts. Ce marché connaît une forte croissance, comme en témoigne l’immense succès de Temu, un rival récemment lancé en Europe par Pinduoduo, autre géant chinois du e-commerce. Mais il affiche aussi des marges très faibles, voire négatives.
Introduction en Bourse – Ces ambitions européennes interviennent deux mois après l’annonce d’une scission d’Alibaba en six sociétés indépendantes. L’une d’entre elles regroupera les activités e-commerce à l’étranger, comme Aliexpress, mais aussi Lazada en Asie du Sud-Est. L’an passé, cette division a réalisé un chiffre d’affaires de 49,9 milliards de yuans (6,4 milliards d’euros). Mais elle a aussi accusé une perte opérationnelle de 5,6 milliards (720 millions d’euros). Comme les autres entités d’Alibaba, à l’exception de celle incluant Tmall et Taobao, elle cherche désormais à faire entrer des investisseurs extérieurs dans son capital. Selon Bloomberg, ses dirigeants étudient ainsi une introduction en Bourse à New York. Dans un contexte difficile, elle doit leur faire miroiter de nouveaux relais de croissance.
Pour aller plus loin:
– Après deux années noires, Alibaba se scinde en six sociétés
– L’application chinoise Temu se lance discrètement en France
Crédit photos: Unsplash / Claudio Schwarz - Alibaba