Comment des start-up prometteuses de l’IA sont devenues des start-up zombies
Il y a quelques mois, Inflection AI, Character AI et Adept AI faisaient partie des start-up les plus prometteuses de l’intelligence artificielle générative, levant en tout deux milliards de dollars. Elles ne sont aujourd’hui plus que l’ombre d’elles-mêmes, dépecées respectivement par Microsoft, Google et Amazon, devenant le symbole d’une nouvelle réalité. Elles ne disposaient plus des moyens financiers pour faire face aux immenses coûts d’entraînement et d’inférence des modèles d’IA. Et leurs investisseurs ont surtout cherché à limiter la casse avant qu’il ne soit trop tard. Les trois start-up ont ainsi dû se résoudre à laisser partir une grande partie de leurs équipes en échange d’un joli chèque, dans le cadre d’opérations qui ressemblent à des acquisitions déguisées. Elles vivotent désormais bien loin de leurs ambitions initiales.
Microsoft en pionnier – La voie a été ouverte par Microsoft. En mars, le groupe de Redmond a avalé Inflection, connue pour Pi, un chatbot rival de ChatGPT. Cet accord lui a permis de récupérer une grande partie des ingénieurs de la start-up, dont son patron Mustafa Suleyman, l’un des fondateurs de DeepMind, le laboratoire d’IA racheté en 2014 par Google. Fin juin, Amazon a emboîté le pas, recrutant environ deux tiers des effectifs d’Adept, qui développait des “coéquipiers IA” permettant d’effectuer très facilement des actions dans les logiciels. Début août, Google a fait la même chose avec Character, une plateforme de chatbots imitant des personnalités. Cette opération lui a permis de réembaucher Noam Shazeer, un ancien de la maison qui avait participé aux travaux de recherche à l’origine de l’essor de l’IA générative.
Antitrust – Dans un autre contexte, les trois géants auraient simplement mené des acquisitions. Mais ce type d’opération semble compliqué à mener, alors que les autorités antitrust ont haussé le ton face à leur position dominante. Dans le meilleur des cas, un rachat aurait pris de longs mois, voire plusieurs années, avant d’être validé. Un délai beaucoup trop long sur un secteur qui avance à toute vitesse. À la place, Microsoft, Google et Amazon ont opté pour ces montages financiers, qui incluent aussi des accords de licence, leur permettant de distribuer les modèles des trois start-up. Leur montant semble complètement déconnecté de la réalité du marché: 2,7 milliards pour Character, 650 millions pour Infection et 440 millions pour Adept. Si les régulateurs se penchent sur ces accords, aucune procédure n’a encore été lancée.
Que le début ? – L’avenir des trois start-up est aujourd’hui incertain. Non seulement, elles ont perdu leurs forces vives – leurs fondateurs et leurs meilleurs ingénieurs. Mais presque l’intégralité de la somme reçue est allée dans les poches de leurs investisseurs. Autrement dit: si elles existent toujours, elles ne semblent plus avoir les moyens, ni humains ni financiers, de survivre bien longtemps. En attendant, elles ont dû recentrer leurs efforts. Inflection a renoncé à son chatbot grand public. Character a abandonné ses propres modèles. Et Adept se focalise sur des applications plus concrètes. Compte tenu de la bulle autour de l’IA, ce genre d’opérations pourrait se poursuivre, se substituant aux traditionnelles “aqui-hire” (une acquisition visant seulement à recruter des équipes). Et créant de nouvelles start-up zombies.
Pour aller plus loin:
– Comment la course aux profits s’est imposée dans l’IA
– Après l’euphorie, les craintes d’une bulle autour de l’IA
Google ajoute des publicités dans les réponses générées par l'IA
C’est un premier pas de Google dans la monétisation de l’intelligence artificielle générative sur son moteur de recherche. La semaine dernière, le géant de Mountain View a commencé à afficher des publicités dans son nouveau module “AI Overviews”, dont le contenu est produit par son grand modèle de langage Gemini. Pour le moment, cela ne concerne que les États-Unis et seulement les supports mobiles. Mais nul doute que ces annonces publicitaires seront petit à petit lancées partout ailleurs. L’enjeu est de taille pour Google: si le déploiement de l’IA est indispensable pour s’adapter à de nouveaux usages et pour contrer l’arrivée de nouveaux concurrents, il menace aussi de remettre en cause son modèle économique. Le moteur doit ainsi prouver sa capacité à générer au moins autant de recettes qu’avec les recherches classiques.
Au-dessus des liens – Pris de court par le spectaculaire succès de ChatGPT, Google a rapidement réagi, lançant notamment un chatbot rival – d’abord baptisé Bard, puis renommé Gemini. Il a cependant pris son temps pour intégrer cette technologie au sein de son produit vedette, à l’inverse de Microsoft avec Bing, notamment en raison de ses nombreuses erreurs factuelles. Le module “AI Overviews” a été lancé en mai, promettant une “expérience de recherche entièrement repensée”. Depuis, un texte structuré, citant plusieurs sources, est affiché en haut de la page de résultats pour certaines requêtes, au-dessus des traditionnels liens et extraits de site Internet. Cet ajout doit répondre à la start-up Perplexity AI mais aussi à OpenAI, le concepteur de ChatGPT qui a promis de lancer de nouvelles fonctionnalités de recherche.
Carrousel de produits – Pour monétiser l’intelligence artificielle, Google n’a pas opté pour une approche révolutionnaire, comme le fait Perplexity, qui tente d’imposer le format novateur de questions sponsorisées. Le groupe a simplement repris les recettes déjà employées sur son moteur de recherche, qui lui permettent d’être le champion de la publicité en ligne. Concrètement, un carrousel de produits sponsorisés (les marques ou les distributeurs doivent payer pour y apparaître) s’affichera avant, après ou au sein de la réponse générée par Gemini, lorsqu’un internaute posera une question avec un “angle commercial”, c’est-à-dire qui peut se traduire par un achat en quelques clics. Par exemple, Google proposera des détachants si un utilisateur lui demande comment enlever une tache d’herbe sur un jean.
Version payante ? – Pour Google, l’émergence de l’IA générative ne menace pas seulement ses parts de marché dans la recherche, au profit de nouveaux acteurs. Elle pourrait aussi remettre en cause sa formidable machine à cash, bâtie sur les liens sponsorisés, vendus aux annonceurs pour apparaître tout en haut lorsque des internautes utilisent certains mots-clés. Or, ces liens sont désormais relégués beaucoup plus bas, ce qui devrait réduire le nombre de clics. Dans le même temps, l’IA va également se traduire par une hausse des coûts. L’inférence des grands modèles de langage est en effet plus onéreuse qu’une simple recherche. Ce surcoût pourrait se chiffrer à plusieurs milliards de dollars par an. Face à ces limites, le moteur étudierait ainsi un changement de son modèle économique, rendant certaines fonctionnalités payantes.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi la fonctionnalité d’IA de Google multiplie les erreurs
– Avec l’aide de Microsoft, OpenAI veut concurrencer Google
Crédit photos: Cafétech avec DALL-E - Google