Le procès de tous les dangers pour l'IA
Et aussi: Disney attaque Midjourney - Un nouveau sursis pour TikTok
Au procès de Stability AI, l'IA générative sur le banc des accusés
C’est un procès qui fera date dans l’histoire de l’intelligence artificielle générative. Pour la première fois, un acteur du secteur se retrouve en effet sur le banc des accusés: la start-up britannique Stability AI. Connue pour le générateur d’images Stable Diffusion, elle est poursuivie par la grande banque de photos américaine Getty Images, qui l’accuse d’avoir violé sa propriété intellectuelle en utilisant pas moins de 12 millions de clichés de son catalogue pour entraîner ses modèles d’IA. Les audiences, qui ont débuté début juin devant la haute cour de Londres, se concluent cette semaine. L’enjeu est crucial pour Stability AI, déjà engluée dans d’importantes difficultés financières. Mais pas seulement: le verdict dans cette affaire pourrait influer les nombreuses autres procédures lancées contre des spécialistes de l’IA dans plusieurs pays.
Watermark – Getty a été le premier à prendre conscience du danger de l’IA pour son activité. Dès février 2023, la société décide donc de poursuivre Stability, alors l’acteur le plus avancé dans le domaine de la création d’images. Une première procédure, encore en cours, est d’abord lancée aux États-Unis. Puis une deuxième au Royaume-Uni. Ces dossiers comptent parmi les plus emblématiques de la nouvelle bataille qui oppose les concepteurs de modèles d’IA et les ayants droit, dont les contenus ont été récupérés et utilisés sans autorisation ni rémunération. Pour étayer ses accusations, Getty dispose d’une preuve implacable: sur des photos générées par Stable Diffusion, son watermark (logo affiché sur les images consultables publiquement) est présent. D’ailleurs, la start-up n’essaie même pas de nier: elle admet avoir récupéré des images de son opposant.
Fair use – Pour se défendre, Stability invoque d’abord un point technique. Ses avocats assurent que l’entraînement des modèles, dits de diffusion, s’est déroulé aux États-Unis sur des serveurs cloud d’Amazon. Et donc que la justice britannique n’est pas compétente pour juger ce dossier. Cet argument ne pourra cependant pas être avancé lors du procès à venir devant la justice américaine. Sur le fond, l’entreprise argue qu’elle n’a pas violé la propriété intellectuelle de Getty. Elle met en avant le principe de fair use, qui autorise un “usage raisonnable” de textes ou d’images protégées pour en créer de nouveaux ayant une “valeur transformative”. Autrement dit: les photos générées par Stable Diffusion ne copient pas celles de Getty, elles s’en inspirent. “Nos outils produisent des œuvres fondées sur le savoir collectif de l’humanité”, assure ainsi Stability.
Interprétation – Cette ligne de défense n’est pas surprenante: elle est suivie par l’ensemble des entreprises d’IA poursuivies sur des questions de droits d’auteur. Dans toutes ces affaires, la difficulté provient de l’absence de cadre juridique adapté à l’IA générative. Le verdict de ce premier procès devrait donc reposer sur une interprétation. Il n’est cependant pas certain qu’il fasse jurisprudence. Sur le papier, le droit britannique est en effet plus strict sur ce qui constitue un usage raisonnable que le droit américain. À l’inverse, un juge américain a récemment estimé qu’une autre notion devait être considérée, celle de “substitut sur le marché”. Selon lui, le fair use ne peut ainsi pas être invoqué si les services d’IA proposent des alternatives, permettant de créer une image au lieu d’en acheter une ou de s’informer sans aller sur des sites de presse.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi la défaite judiciaire d’une start-up d’IA pourrait avoir de lourdes conséquences
– Face à l’IA, l’industrie du disque ne sait pas sur quel pied danser
Disney et Universal portent plainte contre Midjourney
Hollywood passe à l'offensive contre l'IA générative. La semaine dernière, Disney et Universal sont devenus les deux premiers studios de cinéma à porter plainte contre une start-up du secteur. Dans leur viseur: Midjourney, un service très populaire qui permet de créer des images photoréalistes. Contrairement aux procédures lancées par Getty Images contre la start-up Stability, les deux groupes ne se concentrent pas sur le processus d'entraînement. Mais sur la génération de photos. Ils reprochent à Midjourney de laisser ses utilisateurs créer des clichés mettant en scène leurs principales franchises, comme Star Wars, La Reine des neiges, Les Simpson ou encore Les Minions. "Le piratage reste du piratage. Une image ou une vidéo contrefaisante créée avec l’IA n'est pas moins illicite", indiquent-ils dans leur plainte. Disney et Universal ne réclament pas seulement des dommages et intérêts. Ils exigent que la start-up mette fin à ces pratiques. Et qu'elle ne soit pas autorisée à lancer un générateur de vidéos, sans protection préalable de leurs droits. Leur plainte est également un avertissement pour xAI, la start-up d’Elon Musk, qui permet aussi de générer de telles images.
Pris au piège, les États-Unis reportent de nouveau l'interdiction de TikTok
Officiellement, TikTok est interdit depuis le 20 janvier aux États-Unis. Cinq mois plus tard, l’application de courtes vidéos est pourtant toujours accessible sur le sol américain. Elle vient même de recevoir un délai supplémentaire de 90 jours de la part de l’administration Trump. Celui-ci s’ajoute aux deux sursis de 75 jours accordés en janvier puis en avril. Il doit permettre, sur le papier, à sa maison mère ByteDance de trouver un acheteur pour les activités américaines, comme l’exige une loi votée l’an passé par le Congrès. Dans les faits cependant, le groupe chinois ne semble pas pressé. Non seulement parce qu’il estime que le temps joue en sa faveur, mais aussi parce qu’il sait que Donald Trump est pris au piège d’une loi à laquelle il s’est opposé, car il a promis d’éviter la fermeture d’une plateforme qui compte 170 millions d’utilisateurs américains.
Sécurité nationale – Depuis plus d’un an, la législation impose à ByteDance de se séparer de la branche américaine de TikTok. Le texte invoque des risques pour la sécurité nationale. Deux arguments sont avancés. D’une part, le réseau pourrait permettre à Pékin de collecter massivement des données sur les utilisateurs américains, malgré la promesse de les héberger sur des serveurs uniquement situés aux États-Unis. D’autre part, il pourrait alimenter de potentielles campagnes d’influence, susceptibles de manipuler l’opinion publique grâce à l’algorithme de recommandations. En l’absence de vente, la loi ne bannit pas directement la plateforme. Mais elle interdit aux entreprises de lui permettre d’opérer aux États-Unis. Cela concerne les boutiques d’applications mobiles d’Apple et de Google, mais aussi Oracle, qui héberge les services de TikTok dans le cloud.
Accord proche – Fin janvier, l’application a ainsi fermé ses portes pendant quelques heures, avant que Donald Trump ne publie un premier décret repoussant l’entrée en vigueur de la loi. Si la validité juridique des trois reports accordés à ByteDance est questionnée, aucune action n’a été intentée pour les contester devant la justice. Longtemps à l’arrêt, les discussions entre la Maison Blanche, de potentiels acheteurs et TikTok se sont accélérées en avril, juste avant l’échéance du premier délai de 75 jours. Une solution était même sur le point d’aboutir, autour d’un consortium construit autour d’Oracle et de plusieurs investisseurs. Celle-ci prévoyait qu’ils récupèrent 50% des activités américaines. Les fonds américains déjà présents dans ByteDance devaient contrôler 30%. Le groupe chinois aurait, lui, conservé 20%, le seuil maximal fixé par la loi.
Bloqué par Pékin ? – Washington assure que ce projet a été bloqué à la dernière minute par le gouvernement chinois, qui aurait justifié son refus par l’instauration de droits de douane additionnels. Pékin dispose en effet d’un droit de veto dans le cadre d’une golden share qu’il s’est accordée dans ByteDance. Pour obtenir un feu vert chinois, l’administration Trump avait pourtant accepté de laisser l’algorithme de recommandations dans les mains de la maison mère de TikTok – Oracle devant être chargé de contrôler la sécurité des données. La Chine a toujours affirmé être opposée à une vente ou à une prise de contrôle par des investisseurs américains. Mais Donald Trump estimait pouvoir trouver une porte de sortie dans le cadre de négociations commerciales plus larges. Si un accord a récemment été annoncé, l’avenir de Tiktok n’en fait pas partie.
Pour aller plus loin:
– TikTok lance sa plateforme de commerce en ligne en France
– ByteDance, la maison mère de TikTok, rattrape Meta
Crédit photos: Stability AI – Unsplash / Solen Feyissa