L'avenir incertain de Telegram
Et aussi: Vers une régulation de l'IA en Californie - X interdit au Brésil
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La mise en examen de Pavel Durov en France fragilise l'avenir de Telegram
Dix jours après son arrestation à l’aéroport du Bourget, Pavel Durov doit désormais gérer Telegram depuis la France, à près de 7.000 kilomètres de Dubaï où l’application de messagerie est installée. Mis en examen et remis en liberté sous contrôle judiciaire, le milliardaire d’origine russe, qui possède aussi la nationalité française, est notamment accusé de complicité de diffusion d’images pédopornographiques, de complicité de trafic de stupéfiants et de blanchiment de crimes. Des infractions très lourdes qui s’expliquent par son refus de communiquer à la justice des informations sur des utilisateurs suspectés d’un crime. Telegram assure ne l’avoir jamais fait, ni en France ni ailleurs. Une ligne qui menace désormais son fondateur – il risque jusqu’à dix ans de prison. Et qui pourrait également fragiliser son avenir.
Réseaux criminels – Lancée en 2013, Telegram revendique près d’un milliard d’utilisateurs mensuels dans le monde. Son succès s’explique en partie par la protection des données personnelles, qui ne sont pas partagées à des fins publicitaires. Il vient aussi de son laxisme en matière de modération des chaînes publiques, où se propagent théories du complot et messages haineux. L’application de messagerie est également plébiscitée par les réseaux criminels. Son nom revient d’ailleurs régulièrement dans des affaires de pédocriminalité, de vente de stupéfiants ou de terrorisme. Et pour cause: la société se vante de ne pas collaborer avec des gouvernements, expliquant avoir trouvé une parade: les données des conversations sont stockées dans plusieurs pays, ce qui nécessiterait des injonctions d’autant de juridictions.
Ciblé par le DSA ? – La procédure française marque un tournant pour Telegram. Et elle pourrait pousser l’Union européenne à agir. La semaine dernière, Bruxelles a lancé une enquête pour déterminer si l’application n’a pas sous-estimé volontairement son nombre d’utilisateurs sur le continent pour ne pas être considérée comme une “très grande plateforme” par le Digital Services Act. Elle échappe ainsi aux règles les plus strictes de cette réglementation, qui vise notamment à renforcer la modération. En outre, elle n’est pas surveillée directement par la Commission, en pointe pour faire appliquer le DSA, mais par l’IBPT, le régulateur belge des télécoms qui dispose de moins de moyens. La société risque de lourdes amendes. Et elle pourrait être contrainte d’investir dans la modération des contenus illégaux, sous peine d’être interdite en Europe.
Fragilité économique – Les ennuis judiciaires de Pavel Durov remettent aussi en question l’avenir économique de Telegram. En début d’année, le milliardaire avait expliqué préparer une prochaine introduction en Bourse, potentiellement sur la base d’une valorisation de 30 milliards de dollars. Un niveau très élevé par rapport à un chiffre d’affaires de 342 millions l’an passé. D’autant plus que les pertes sont très élevées – 173 millions en 2023, selon des chiffres obtenus par le Financial Times. Cette opération est capitale, car elle doit permettre d’effacer la dette en convertissant des obligations en actions. Les montants en jeu sont importants: 2,4 milliards de dollars, qu’il faudra rembourser si Telegram ne rejoint pas les marchés avant mars 2026. Or, la situation actuelle va grandement compliquer une introduction.
Pour aller plus loin:
– Telegram continue de s’endetter avant une potentielle entrée en Bourse
– L’Allemagne menace d’interdire Telegram
Comme l'Europe, la Californie veut encadrer l'IA générative
L’Europe n’est pas la seule à vouloir réglementer l’intelligence artificielle générative. La semaine dernière, les parlementaires californiens ont en effet adopté un projet de loi, allant plus loin sur certains points que l’AI Act européen, adopté en mai. Ce texte, qui marque une rupture avec la tradition américaine en matière de régulation, est décrié par une grande partie de la Silicon Valley, qui reprend les mêmes arguments que ceux avancés à Bruxelles. Et qui espère un veto de Gavin Newsom, le gouverneur de la Californie. L’ancien maire de San Francisco ne s’est pas encore exprimé sur le dossier. D’un côté, il tient à maintenir son image pro-innovation. Mais de l’autre, les sondages font état d’un large soutien de l’opinion publique, inquiète de potentielles conséquences dramatiques d’un développement incontrôlé de l’IA.
Tests de sécurité – Baptisée SB 1047, la législation ne s’appliquera pas à tous les modèles d’IA. Ne seront concernés que ceux dont l’entraînement a coûté plus de 100 millions de dollars en ressources informatiques. Ou ceux issus d’un modèle open source et dont l’ajustement (fine tuning) a coûté plus de 10 millions. Ces montants seront ajustés à partir de 2027 pour tenir compte des évolutions des budgets. Dans les faits, seulement une poignée d’entreprises seront ainsi touchées. Elles devront mettre en place des tests de sécurité, réaliser des audits annuels sur leurs protocoles de sécurité ou encore instaurer un mécanisme pour désactiver leurs modèles en cas de menaces. Le texte permettra aussi à la justice de lancer des poursuites contre des entreprises si des négligences se traduisent par un “préjudice grave”.
Contestation – Le projet de loi a été largement amendé avant son adoption, sous l’impulsion notamment de la start-up Anthropic. Le texte final a ajouté le palier des 10 millions de dollars pour les modèles issus de l’open source. Il indique désormais que les développeurs d’IA doivent faire preuve de “diligence raisonnable” en matière de sécurité et non plus “d’assurance raisonnable”, une définition judiciairement moins contraignante. Autre modification: les développeurs ne risquent plus de poursuites pénales mais simplement civiles. Pour autant, la loi suscite toujours une vague de contestations chez de nombreux acteurs de la Silicon Valley. Tous prédisent qu’elle va nuire à l’innovation. Et certains, comme OpenAI et Google, préconisent des règles au niveau national… tout en sachant qu’il n’existe aucun consensus à Washington.
Comme Bruxelles – Ces vives critiques peuvent s’expliquer par une nouvelle vision de penser la réglementation aux États-Unis. Dans l’intelligence artificielle, les discussions, notamment à la Maison Blanche, portaient sur l’encadrement de son utilisation. La loi californienne propose, elle, de réguler la conception des modèles sous-jacents aux services d’IA. À l’image de la philosophie, extrêmement décriée, de Bruxelles. En l’absence de veto, le texte entrera progressivement en vigueur à partir de janvier 2025. Sa portée ira bien au-delà des frontières californiennes. Non seulement parce qu’il pourrait servir d’exemple. Mais aussi parce qu’il s’appliquera aux modèles accessibles dans l’État, même s’ils ont été conçus ailleurs. Or, peu d’acteurs de l’IA, si ce n’est aucun, ne peuvent se permettre de ne pas y être présents.
Pour aller plus loin:
– L’Europe se déchire sur la régulation de l’IA générative
– Le double discours d’OpenAI sur la régulation de l’IA
Face à Elon Musk, la justice brésilienne bloque l'accès à X
L’issue était devenue inéluctable. Depuis ce week-end, X est bloqué au Brésil sur ordre d’un juge de la Cour suprême, chargé de lutter contre la désinformation en ligne. Cette mesure extrême intervient après des mois de conflit judiciaire, portant notamment sur la suspension de plusieurs comptes accusés de discréditer le système de vote électronique. Elle est justifiée par l’absence d’un représentant légal du réseau social, depuis que son propriétaire Elon Musk a décidé de fermer les bureaux de X dans le pays par crainte de poursuites judiciaires contre ses responsables brésiliens. Le milliardaire américain, qui se présente comme le défenseur de la liberté d’expression, crie à la censure et cherche à mobiliser l’opinion publique. Mais son combat pourrait être perdu d’avance, tant le juge Alexandre de Moraes s’est jusqu’à présent montré intransigeant. Le réseau social est également inquiété en Europe dans le cadre du Digital Services Act, où il risque aussi, théoriquement, une interdiction.
Pour aller plus loin:
– L’Europe ouvre une enquête contre TikTok dans le cadre du DSA
– À Cannes, Elon Musk tentent de séduire les annonceurs
Crédit photos: Flickr / Techcrunch - Unsplash / Rolf van Root