L’Europe se déchire sur la régulation de l'IA
Et aussi: L'abonnement payant de Facebook contesté - TikTok veut échapper au DMA
L’Europe se déchire sur la régulation de l'intelligence artificielle générative
Les prochaines 72 heures seront, peut-être, décisives pour la régulation de l’intelligence artificielle générative en Europe. Entamées depuis des mois, les négociations sur le projet d’AI Act doivent en effet s’accélérer, avant une réunion décisive mercredi entre les représentants de la Commission, du Parlement et du Conseil européens. Mais les derniers échos n’incitent guère à l’optimisme, tant les positions se sont éloignées ces dernières semaines, notamment sous l’impulsion du gouvernement français qui redoute que des règles trop strictes n’handicapent les start-up européennes. En l’absence de compromis, le calendrier se compliquerait grandement, entre le changement de la présidence du Conseil et les élections européennes début juin, qui pourraient, potentiellement, entraîner l’abandon du projet.
Modèles fondamentaux – La volonté de réguler l’intelligence artificielle en Europe date de 2021. Une autre… époque. Les inquiétudes portaient alors sur les dispositifs d’identification biométrique ou encore les systèmes de police prédictive. Mais l’émergence récente des IA génératives, comme le robot conversationnel ChatGPT et le générateur d’images Midjourney, a contraint les responsables européens à revoir leur copie. De nouvelles mesures ont ainsi été ajoutées au texte, pour tenir compte des problématiques qui n’avaient pas été anticipées il y a deux ans. Celles-ci concernent les grands modèles fondamentaux, qui alimentent ces nouveaux services. En juin, le Parlement a adopté une première version de l’AI Act, lançant le processus de négociations tripartites avec la Commission et les gouvernements des Vingt-Sept.
Règles graduées – Le projet voté par les députés européens introduit des obligations de transparence, notamment dans le processus d’entraînement des modèles. Il impose la mise en place d’un dispositif d’identification des contenus générés par une IA, permettant par exemple de distinguer les fausses photos. Et il prévoit des études d’impact pour les systèmes considérés à “haut risque”. Face aux premières critiques, exprimées notamment par Paris, les négociateurs semblaient s’être entendus sur le principe de règles graduées, classant les modèles d’IA en trois catégories, selon leur taille et leur popularité. Celui-ci prévoit que seuls les modèles de “grande échelle”, qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs ou plus de 10.000 clients professionnels, seront touchés par les réglementations les plus strictes.
Lobbying de Cédric O – Depuis début novembre, les discussions n’avancent plus. Car trois pays réclament des allègements beaucoup plus radicaux: la France, l’Allemagne et l’Italie. Ils préconisent de ne pas réguler les modèles fondamentaux mais les services d’IA qui les utilisent. Pour la start-up américaine OpenAI, par exemple, cela signifierait que les règles ne concerneraient pas son grand modèle de langage GPT, mais seulement son chatbot ChatGPT. Ce revirement, qui épouse la ligne adoptée par les Etats-Unis, coïncide avec une campagne de lobbying menée par la start-up allemande Aleph Alpha. Et surtout par la française Mistral AI, sous la houlette de Cédric O, l’ancien secrétaire d’Etat au numérique, devenu actionnaire et lobbyiste. Pour les modèles, les trois capitales préconisent des règles de conduite… non contraignantes.
Pour aller plus loin:
– Le double discours d’OpenAI sur la régulation de l’IA
– La start-up française Mistral AI lance sa première IA générative
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Pourquoi l’abonnement payant de Facebook est (déjà) contesté
Un mois à peine après son lancement, l’abonnement payant de Meta, la maison mère de Facebook et d’Instagram, est déjà ciblé par deux plaintes, l’accusant de ne pas respecter le Règlement général sur la protection des données (RGPD). La première a été déposée par l’association Noyb, menée par l’activiste autrichien Max Schrems, à l’origine de l’invalidation du Privacy Shield, devant la DSB, la Cnil autrichienne. La deuxième émane du Bureau européen des unions de consommateurs, qui a saisi le réseau européen de protection des consommateurs. Dans les deux cas de figure, les plaignants estiment que le choix offert par le réseau social américain à ses utilisateurs – accepter la publicité ciblée ou payer un abonnement compris entre 10 et 21 euros par mois – n’en est pas vraiment un. Ce qui serait contraire à la législation.
Consentement – L’abonnement payant, qui permet de surfer sur Facebook et Instagram sans aucune publicité, représente la dernière tentative de Meta pour se mettre en conformité avec le RGPD, qui impose de recueillir le consentement avant d’utiliser des données personnelles à des fins publicitaires. La société ne souhaite pas mettre en place un consentement classique, car de nombreux internautes auraient refusé le ciblage, handicapant sa capacité à monétiser son audience. À la place, elle a d’abord ajouté cette disposition dans ses conditions d’utilisation, forçant ses utilisateurs à donner leur autorisation, généralement sans le savoir. Mais cette pratique a été retoquée par les Cnil européennes. Elle a ensuite tenté d’invoquer le principe “d’intérêt légitime”, prévu dans le RGPD. Sans succès.
Conforme au RGPD ? – Contraint de trouver une autre parade, le groupe dirigé par Mark Zuckerberg introduit une nouvelle forme de consentement, qui s’effectue par l’argent: seuls les internautes qui acceptent de payer pourront échapper au ciblage publicitaire. Meta assure que ce dispositif est conforme au RGPD, s’appuyant sur un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne, qui “a expressément reconnu qu’un modèle d’abonnement constitue une forme valide de consentement pour un service financé par la publicité”. Dans un dossier similaire – les “cookies wall” –, la Cnil française avait aussi estimé que les “contreparties monétaires” peuvent “constituer une alternative au consentement”, tout en soulignant qu’elles devaient être proposées à un “tarif raisonnable” afin d’offrir un “véritable choix” aux internautes.
“Réservé aux riches” – Ce dernier point est au cœur des plaintes déposées la semaine dernière. Celles-ci estiment que le prix de l’abonnement est démesuré – deux fois plus élevé que les recettes publicitaires par utilisateur européen. Et qu’il n’est donc pas compatible avec la notion de “choix libre” prévue dans le RGPD. Noyb souligne que seulement 3% à 10% des internautes souhaitent des publicités ciblées, mais que 99,9% d’entre eux les acceptent plutôt que de payer une somme de deux euros. Pour Max Schrems, Meta cherche ainsi à réserver un “droit fondamental” aux “riches”. Le Comité européen de la protection des données, qui regroupe tous les régulateurs du continent, dit étudier la question. La Cnil norvégienne, en pointe dans le combat contre le réseau social, a, elle, déjà exprimé de “graves inquiétudes”.
Pour aller plus loin:
– Facebook condamné à une amende record de 1,2 milliard d’euros
– En Europe, le petit jeu du chat et de la souris de Facebook
TikTok veut suspendre l'application du DMA
Après avoir contesté son statut de “gatekeeper”, TikTok demande à la justice européenne de suspendre l’entrée en vigueur du Digital Markets Act. La plateforme de courtes vidéos estime qu’elle ne devrait pas être concernée par cette nouvelle législation, qui vise les grandes plateformes Internet. Elle souligne qu’elle ne remplit pas plusieurs critères. D’une part, elle considère qu’elle n’occupe pas une position “solidement établie” sur le marché de la publicité mobile en Europe. D’autre part, TikTok fait valoir que la Commission européenne a retenu la valorisation de sa maison mère chinoise ByteDance. Mi-novembre, la société avait saisi le Tribunal de l’Union européenne pour échapper au DMA, et ainsi éviter de “protéger les véritables ‘gatekeepers’ de la concurrence de nouveaux acteurs tels que TikTok”. En attendant un jugement sur le fond du dossier, elle réclame donc une suspension temporaire.
Pour aller plus loin
– Comment Apple tente d’échapper au DMA européen
– Meta conteste le DMA devant la justice européenne
Crédit photos: Unsplash / Rolf van Root - Unsplash / Brett Jordan