En soumettant Meta à la TVA, l'Italie menace le modèle économique des services gratuits
L’utilisation gratuite des réseaux sociaux doit-elle être assujettie à la TVA ? La question paraît saugrenue. Elle pourrait pourtant coûter très cher à Meta, LinkedIn et X (l’ex-Twitter). En Italie, l’administration fiscale leur réclame en effet plus d’un milliard d’euros de taxes impayées, estimant que l’inscription à leur service correspond à un échange commercial: la gratuité contre des données personnelles pouvant être monétisées grâce à la publicité. Selon Reuters, une partie de cette facture vient de leur être adressée, faute d’accord à l’amiable. Les trois groupes américains peuvent encore faire appel devant la justice. Particulièrement complexe, le dossier dépasse les frontières: si Bruxelles valide la vision italienne, celle-ci s’appliquerait alors partout en Europe. Et remettrait en cause le modèle économique des réseaux sociaux.
Pas d’arrangement – L’affaire a débuté il a plus de deux ans, suite à l’ouverture d’une enquête sur Meta par la Guardia di Finanza, la police financière italienne. Depuis, le fisc réclame 888 millions d’euros au réseau social, correspondant à la TVA qu’il aurait dû payer entre 2015 et 2021. LinkedIn et X ont été rattrapés par la suite. Le premier doit verser 140 millions d’euros, et le second 12,5 millions. Généralement, ces dossiers se terminent par un accord à l’amiable. Cela avait été le cas avec Airbnb, qui avait accepté de payer 561 millions d’euros fin 2023 pour ne pas avoir collecté de TVA sur les locations pendant quatre ans. Même chose pour Google, qui a versé 326 millions en février, pour ne pas avoir payé assez d’impôts sur les bénéfices en Italie. Selon Reuters, c’est d’ailleurs la première fois qu’un arrangement n’est pas conclu.
Manque à gagner – Dans ce dossier, un accord à l’amiable est plus compliqué, car ses implications seraient bien plus grandes. Au-delà des montants réclamés par le fisc italien, cela reviendrait à accepter que près de 20% du chiffre d’affaires soit désormais considéré comme de la TVA. Les trois entreprises n’auront, en outre, pas la possibilité de répercuter ces changements sur leurs utilisateurs – puisqu’ils ne paient pas. Surtout, cette nouvelle doctrine s’appliquerait dans toute l’Union européenne. Les règles communautaires prévoient en effet une harmonisation sur le continent: une catégorie de produits assujettie à la TVA dans un pays l’est automatiquement dans tous les autres. Pour Meta, cela représenterait un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars par an. D’autres services gratuits, comme Google, pourraient aussi être concernés.
Dans l’attente de Bruxelles – Meta, LinkedIn et X peuvent aussi espérer que le gouvernement italien demande au fisc de faire marche arrière. Deux raisons pourraient l’y pousser. D’abord, la pression de l’administration Trump, qui dénonce les taxes et sanctions imposées aux géants américains. Ensuite, la décision du Comité de la TVA de la Commission européenne. Cet organe indépendant, composé d’experts, a été saisi par Rome il y a un an et demi. Il n’a cependant toujours pas statué sur le dossier. Déjà difficile, celui-ci s’est encore complexifié avec le lancement par Meta d’un abonnement payant, permettant de ne plus voir de publicités. Pour les partisans de la TVA, cette offre confirme que les utilisateurs gratuits “paient” bien le réseau social avec leurs données personnelles. S’il n’est que consultatif, l’avis du Comité est régulièrement suivi.
Pour aller plus loin:
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Publicité, profits, valorisation... les bons chiffres en trompe-l'oeil de X
Ce serait une première depuis son rachat par Elon Musk en novembre 2022. Cette année, X devrait enregistrer une progression de ses recettes publicitaires dans le monde, prédit le cabinet eMarketer, qui fait référence dans le secteur. Celles-ci devraient se chiffrer à 2,3 milliards de dollars, dont 1,3 milliard aux États-Unis, soit une hausse de 16% par rapport à l’an passé. “Il est trop tôt pour parler de rebond, nuance cependant l’analyste Jasmine Enberg. Malgré cette croissance, les revenus publicitaires resteront inférieurs à ceux de Twitter en 2019″. Parallèlement, l’ancien Twitter a enregistré en 2024 une nette amélioration de ses performances financières, au moins sur le papier. Et il vient de lever un milliard de dollars auprès d’investisseurs, retrouvant, là aussi sur le papier, une valorisation équivalente à son prix d’achat.
Retour des annonceurs – Après la prise de fonction d’Elon Musk, le réseau social avait subi un exode massif des grandes marques. Entre l’allégement de la modération et les déclarations polémiques du nouveau propriétaire, il représentait alors un énorme risque de réputation. En quelques mois, son chiffre d’affaires s’effondre. Pour renverser la tendance, le milliardaire a d’abord nommé Linda Yaccarino, ancienne directrice de la publicité de NBCUniversal, au poste de directrice générale. L’an passé, il s’est aussi livré à une opération séduction lors du festival Cannes Lions, qui réunit les professionnels du secteur. Mais le retour des annonceurs s’est surtout accéléré suite à l’élection en novembre de Donald Trump, nouvel allié d’Elon Musk. Apple ou Disney ont ainsi mis fin à leur boycott. Et Amazon a fortement augmenté ses dépenses.
Peur de Musk – De fait, une partie de la croissance publicitaire de X est “alimentée par la peur”, souligne Jasmine Enberg. La peur de se retrouver dans le collimateur de son patron – et par extension de l’administration Trump. La peur aussi d’être poursuivi en justice. En février, l’entreprise a ainsi élargi à Lego, Nestlé ou encore Colgate-Palmolive la plainte qu’elle a déposée l’été dernier pour “boycott illégal”. Selon l’analyste d’eMarketer, “de nombreux annonceurs considèrent désormais leurs dépenses sur X comme un ‘prix à payer’ pour éviter des représailles”. Ce moteur n’est cependant pas “soutenable”, estime Jasmine Enberg, qui prévoit une hausse plus modeste pour 2026 et 2027. Surtout, le climat pourrait rapidement se retourner alors que la réputation d’Elon Musk se dégrade fortement – impactant en particulier les ventes de Tesla.
12 ou 44 milliards ? – Selon la presse américaine, X a généré un chiffre d’affaires de 2,7 milliards de dollars en 2024, en comptant les abonnements payants. La société, qui a drastiquement réduit ses effectifs, affiche un excédent brut d’exploitation de 1,2 milliard, quasiment autant qu’en 2021. Mais ce chiffre inclut une “liste significative d’ajustements”, explique Bloomberg. En outre, il ne comptabilise pas le milliard de dollars consacré au remboursement des prêts ayant financé le rachat. Autre signe présenté comme positif: le retour à une valorisation de 44 milliards. Mais celle-ci ne veut pas dire grand-chose. Elle repose en effet sur une levée de fonds menée auprès d’investisseurs amis, auxquels Elon Musk a peut-être promis des parts dans sa start-up xAI. En décembre, le fonds Fidelity valorisait X à un peu plus de 12 milliards.
Pour aller plus loin:
– Face à Elon Musk, l’Europe promet de ne pas faire marche arrière
– Comme X, Meta allège la modération pour “restaurer” la liberté d’expression
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