Pourquoi Netflix pourrait relancer une offre gratuite
Après n’avoir cessé d’augmenter le prix de ses abonnements, profitant de sa position dominante et de la faiblesse de ses concurrents, Netflix réfléchit à lancer une offre gratuite dans certains pays européens et asiatiques, rapporte l’agence Bloomberg. Objectif: accroître son inventaire publicitaire pour gagner en taille sur un marché qui favorise les plus gros acteurs. Malgré le succès de son abonnement avec publicités, qui séduit désormais plus de 40% des nouveaux clients, la plateforme de streaming reste en effet à bonne distance des mastodontes du secteur. Selon les estimations du cabinet eMarketer, elle devrait générer un peu moins d’un milliard de dollars de recettes publicitaires cette année aux États-Unis, son marché le plus important. Cinq fois moins que les plateformes vidéo d’Amazon. Et beaucoup plus loin de YouTube.
Expérience au Kenya – Une telle offre ne serait pas une première pour Netflix. En 2021, la société de Los Gatos a testé cette idée au Kenya, proposant gratuitement environ un quart de son catalogue, dont quelques séries à succès. Cette expérimentation inédite a cependant pris fin deux ans plus tard, probablement parce qu’elle n’a pas eu les résultats espérés. Son objectif était très différent. Il ne s’agissait pas de générer des recettes publicitaires – à l’époque, Netflix ne s’était pas encore converti à la publicité. Mais de créer un produit d’appel de masse pour convaincre une partie de l’audience gratuite de souscrire à un abonnement payant. Cet essai s’inscrivait dans une stratégie plus globale de conquête du marché africain, encore sous-exploité, à côté d’abonnements mobiles moins chers, qui ont fait leur preuve en Inde.
Nouvelle audience – Selon Bloomberg, Netflix pourrait cette fois-ci viser des marchés beaucoup plus matures, sur lesquels le potentiel de croissance du parc d’abonnés est désormais limité. Avec son offre avec publicités, la société a déjà attiré une grande partie du public qui trouvait les abonnements trop onéreux, notamment dans un contexte de multiplications des plateformes. Il lui reste encore à toucher tous ceux qui ne souhaitent ou ne peuvent pas payer pour accéder à ses films et séries, malgré un tarif de base ramené à six euros par mois – sans compter ceux qui regardent son catalogue illégalement. C’est un réservoir important, comme en témoigne le succès des plateformes vidéo gratuites, financées uniquement par des annonces publicitaires. Et donc un potentiel relais de croissance supplémentaire pour Netflix.
Enchères publicitaires – Un an et demi après son lancement, l’offre avec publicités compte plus de 40 millions d’abonnés, sur un total de 270 millions. Mais la société reconnaît qu’elle doit encore passer à une échelle supérieure. Surtout, ses débuts sur le marché publicitaire ont été difficiles. Dans plusieurs pays, elle a dû revoir à la baisse ses ambitions, réduisant des tarifs qui étaient nettement supérieurs à ceux du marché. D’autant plus que ses outils de mesure d’audience ne satisfont pas les annonceurs. En interne, des dirigeants ont aussi exprimé leur frustration envers Microsoft, chargé de commercialiser les espaces publicitaires. Netflix vient ainsi de mettre fin à cette exclusivité, s’ouvrant à d’autres services d’enchères publicitaires, dont celui de Google. Elle ambitionne ensuite de bâtir sa propre plateforme.
Pour aller plus loin:
– Netflix, grand vainqueur de la “guerre du streaming”
– Netflix se lance dans la diffusion en direct d’événements sportifs
Pas satisfaite des concessions de Microsoft, l’Europe hausse le ton
Les concessions de Microsoft n’ont pas satisfait Bruxelles. Mardi, la Commission européenne a donc passé une étape supplémentaire dans sa procédure, déclenchée officiellement l’an passé, contre Teams. Après enquête, elle estime en effet que le géant de Redmond a abusé de la position dominante de sa suite bureautique Microsoft 365, très populaire en entreprises, pour imposer sa plateforme de communication et de collaboration professionnelles. Non seulement, il s’est livré, pendant plus de quatre ans, à une vente liée obligatoire, rendant de fait gratuit l’accès à Teams pour l’ensemble de ses clients. Mais il a aussi, selon Bruxelles, volontairement limité l’interopérabilité entre ses autres produits maison et les concurrents, comme Slack ou Zoom, ce qui a pu pousser certaines entreprises à opter pour sa plateforme.
Plainte de Slack – Lancé en 2017 comme une plateforme de messagerie en entreprises, Teams était la réponse de Microsoft au succès de la start-up Slack. Dès le départ, la société décide de l’inclure au sein de sa suite bureautique, qui donne également accès aux versions en ligne de Word, Excel ou encore PowerPoint. Cela lui assure de toucher une immense base d’utilisateurs, tout en empêchant qu’ils commencent à sortir de son écosystème. Cette pratique fait bondir Slack, qui décide de déposer plainte devant la Commission européenne à l’été 2020, réclamant que son rival soit vendu séparément à un “prix raisonnable”. Depuis, le succès de Teams s’est accentué, profitant de la crise sanitaire et de l’ajout des visioconférences. Fin 2023, le service comptait ainsi plus de 320 millions d’utilisateurs, gratuits ou payants.
Vendu seul – Microsoft a fait plusieurs concessions pour tenter d’éviter une amende. Depuis l’an passé, la société propose en Europe – et désormais partout dans le monde – des abonnements à sa suite 365 ne comprenant pas un accès aux fonctionnalités payantes de Teams. Cette offre permet d’économiser entre un et deux euros par mois. Un écart de prix qui n’est pas assez important, selon Bruxelles, pour refléter la véritable valeur de Teams. Et surtout pour avoir un impact sur le paysage concurrentiel: Slack est commercialisé à partir de 6,75 euros par mois et Zoom à partir de 13,99 euros. Microsoft a aussi “pris des mesures en matière d’interopérabilité”, assure son président Brad Smith. Et ne force plus les abonnés de 365 à installer obligatoirement Teams. Mais ces ajustements restent “insuffisants” pour la Commission.
Dans le cloud aussi – La procédure de Bruxelles marque un tournant pour Microsoft, qui avait réussi à passer sous le radar des autorités de la concurrence pendant des années. Certes, le groupe a déjà été condamné à plusieurs reprises en Europe, notamment pour avoir profité de la position quasi monopolistique de Windows afin de forcer l’utilisation par défaut de logiciels maison, comme son navigateur Internet Explorer. Mais il n’avait jamais été inquiété pour les nouveaux piliers de sa puissance: sa suite bureautique et son cloud Azure. Dans le cloud, justement, Microsoft est aussi dans le viseur de Bruxelles, après une plainte déposée par plusieurs acteurs européens, dont le français OVHcloud. Il est également accusé de se livrer à la vente liée et de limiter l’interopérabilité entre ses concurrents et ses logiciels.
Pour aller plus loin:
– Microsoft et OpenAI échappent à une procédure antitrust en Europe
– L’Europe ouvre une procédure contre Apple dans le cadre du DMA
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