Apple désormais hors la loi en Europe
Et aussi: Meta conserve son principe de "pay or consent"
Apple modifie ses pratiques en Europe... mais ne respecte toujours pas le DMA
Tim Sweeney avait prévenu que “seules des amendes massives” pouvaient pousser Apple à se mettre en conformité avec le Digital Markets Act. L’histoire semble donner raison au patron d’Epic Games. En réponse à un ultimatum de Bruxelles, le groupe à la pomme a bien annoncé la semaine dernière de nouvelles règles pour les applications mobiles, en particulier une nouvelle structure de commissions pour les achats externes. Mais il ne respecte toujours pas cette réglementation européenne, qui vise à renforcer la concurrence dans le numérique. La Commission lui ordonne en effet de ne plus prélever aucun frais sur ces opérations. Mais ni l’amende qui lui a déjà été infligée, ni la perspective de pénalités journalières n’ont fait bouger Apple, engagé dans une attitude jusqu’au-boutiste face à un texte que ses dirigeants attaquent avec véhémence depuis des mois.
Nouvelles commissions – Entré en vigueur l’an passé, le DMA acte l’interdiction de la pratique dite d’anti-steering, en vigueur depuis le lancement de l’App Store. Celle-ci n’autorisait pas les développeurs à rediriger leurs utilisateurs vers un site Internet pour réaliser un achat ou souscrire à un abonnement. Ces transactions devaient donc obligatoirement passer par le système de paiement d’Apple. Et se traduisaient par des commissions de 15% ou de 30%. Sur le papier, la société de Cupertino y a renoncé. Mais elle a aussi imposé des restrictions “techniques et commerciales”, selon la Commission européenne. Surtout, elle n’a pas renoncé à sa rémunération, mettant en place un système assez complexe, avec de nouveaux frais pouvant aller jusqu’à 25% sur les transactions au cours des douze mois suivant l’installation ou la mise à jour d’une application.
Contraires au DMA – Pour l’Europe, ces commissions ne vont pas seulement “au-delà de ce qui est strictement nécessaire”, comme indiqué il y a un an. Elles sont contraires au DMA. Dans une décision publiée début juin, elle a ainsi ordonné à Apple d’y mettre un terme. Le groupe est seulement autorisé à prélever un petit pourcentage pour “l’acquisition initiale” d’un client, uniquement sur la toute première transaction. Pour toutes les autres, “Apple n’est pas autorisée à imposer tout autre type de frais”. Parallèlement, la Commission lui a imposé à de lever toutes les restrictions sur les liens externes au sein des applications. Par exemple, ne plus limiter les redirections à une seule adresse URL, nécessairement détenue par le développeur. Ou encore ne plus interdire d’afficher les prix pratiqués sur un site externe pour mettre en avant de potentielles économies.
Vers des pénalités journalières ?
Encore plus complexe – Apple avait jusqu’à jeudi dernier pour satisfaire à ces demandes. La société ne cache pas son agacement, regrettant que “la Commission modifie en permanence les critères de conformité”. Face à cet ultimatum, elle a choisi d’obtempérer sur le deuxième point. Mais pas sur les commissions. Au lieu de les supprimer, elle a mis en place un nouveau système, encore plus complexe – et illisible pour les développeurs – que le précédent. Celui-ci inclut trois types de commissions, dont une pour l’acquisition initiale qui s’applique sur tous les achats pendant six mois. Au total, le taux de prélèvement varie de 10% à 20%, selon la taille du développeur. Pour bénéficier du taux le plus bas, il faut aussi renoncer à certains “services” de l’App Store, comme les mises à jour automatiques ou la possibilité de répondre aux avis des utilisateurs.
45 millions par jour – En clair, Apple ne respecte pas les injonctions européennes. La Commission explique étudier ces changements. Et rappelle qu’elle dispose de “vastes pouvoirs réglementaires si Apple continue de ne pas respecter ses obligations”. Concrètement, elle peut lui infliger des astreintes journalières pouvant aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires, soit environ 45 millions d’euros. En avril, les responsables européens avaient promis d’y recourir si nécessaire. Leur mise en place ne sera pas immédiate. Cette menace n’effraie pas Apple, qui n’anticipe probablement pas une sévérité maximale de Bruxelles. Non seulement parce que la première amende a été relativement modeste (500 millions d’euros), mais aussi parce que l’Europe pourrait ne pas vouloir envenimer les relations diplomatiques en pleine négociation commerciale avec les États-Unis.
Bataille d’interprétation – L’entreprise estime ainsi qu’elle a moins à perdre en refusant de suivre le DMA. En l’absence de frais sur les achats externes, elle redoute en effet que de nombreux développeurs choisissent de ne plus utiliser son système de paiement. Les conséquences financières seraient colossales, alors que ces commissions affichent des marges proches de 100%. Apple espère aussi triompher en appel devant la justice européenne, une procédure qui prendra plusieurs années. Ses dirigeants contestent l’interprétation d’un article du DMA par la Commission, plus particulièrement la signification d’une simple virgule. Ils jouent aussi sur les mots: les frais ne sont pas des commissions sur les transactions mais des contreparties pour la “valeur significative des services fournis aux développeurs”. Des contreparties qui ne peuvent pas, elles, être limitées par le DMA.
Pour aller plus loin:
– Face à Epic, Apple concède une défaite judiciaire retentissante
– Apple lance sa bataille judiciaire contre le DMA européen
Malgré l'injonction de Bruxelles, Meta conserve son principe de "pay or consent"
RGPD ou DMA, Meta ne change pas de ligne de conduite. La semaine dernière, la maison mère de Facebook et d’Instagram n’a mis en place que des changements limités pour répondre à sa condamnation dans le cadre du Digital Markets Act européen. En avril, elle avait été sanctionnée d’une amende de 200 millions d’euros pour ne pas demander l’autorisation de ses utilisateurs avant de partager leurs données personnelles entre ses deux réseaux sociaux. Bruxelles lui avait ordonné de mettre fin à cette pratique, désormais interdite afin de limiter les effets de taille sur le marché publicitaire favorisant les plus gros acteurs. La réglementation européenne impose aussi de proposer une alternative “équivalente” à ceux qui refusent le partage de leurs informations entre les différents services d’un “gatekeeper”, le nom donné par la Commission aux géants du Web.
Consentement – La société s’est contentée de modifications cosmétiques, conservant le principe de “pay or consent” introduit l’an passé. Elle risque désormais des pénalités journalières pouvant se chiffrer à 20 millions d’euros. Son attitude s’inscrit dans une stratégie menée depuis l’instauration du Règlement général sur la protection des données. Celle-ci consiste à refuser d’obtenir le consentement des utilisateurs avant d’utiliser leurs données à des fins publicitaires. Meta estime, probablement à juste titre, qu’une grande majorité des utilisateurs aurait répondu par la négative, handicapant sa capacité de monétisation. Au fil des ans, l’entreprise a tenté plusieurs fois de contourner ses obligations réglementaires. Cela lui a valu plusieurs condamnations par la DPC, la Cnil irlandaise. En tout, elle a reçu plus de 2,5 milliards d’euros d’amende.
Abonnement payant – Pour se conformer au DMA – et aussi au RGPD –, Meta a lancé un abonnement payant, initialement proposé à partir de dix euros par mois, qui permet de surfer sur Facebook et Instagram sans aucune publicité. Et sans que des données personnelles transitent de l’un vers l’autre. Pour Bruxelles, ce principe de “pay or consent” ne permet pas aux utilisateurs d’accorder “librement” leur consentement au partage de leurs données personnelles. Il ne respecte donc pas le DMA. Les Cnils européennes estiment également que celui-ci n’est pas conforme au RGPD. Contraint de revoir sa copie, Meta a baissé en novembre le prix de ses abonnements, désormais proposés à partir de six euros. Et il propose désormais une version avec des publicités “moins personnalisées”. Bruxelles a pris note de ces changements, qu’elle va étudier sous le prisme du DMA.
Pour aller plus loin:
– Meta condamné à une amende record de 1,2 milliard d’euros
– Face au RGPD, Meta va proposer des publicités “moins personnalisées”
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