La vengeance (très risquée) d'Apple
Et aussi: Washington ne va pas limiter les exportations de puces d'IA
Apple joue encore avec le feu en bloquant le retour de Fortnite
Savourant sa revanche judiciaire, Tim Sweeney annonçait déjà le retour de Fortnite sur les iPhone et iPad. Mais l’optimisme du patron d’Epic Games s’est heurté à un imprévu: le refus catégorique d’Apple. Vendredi, l’éditeur a donc de nouveau saisi la justice américaine pour obtenir gain de cause. Il estime que cette décision “constitue une violation claire de l’injonction” prononcée début mai par la juge chargée de l’affaire opposant les deux entreprises depuis cinq ans. Une interprétation contestée par le groupe à la pomme, qui se réfère à un jugement prononcé fin 2020. “Apple ne reviendra pas sur cette décision avant la fin du litige entre les parties aux États-Unis”, explique ainsi son avocat dans un courrier adressé à Epic. Cette stratégie est cependant risquée. Lundi, la juge a donné moins de dix jours à la société pour se mettre en conformité.
Cinq ans – Jeu phénomène, Fortnite n’est plus disponible sur le système iOS depuis août 2020, après l’ajout d’un système de paiement alternatif pour permettre aux utilisateurs d’acheter des V-Bucks, une monnaie virtuelle, pouvant ensuite être dépensée dans des objets cosmétiques. Cette violation délibérée des règles de l’App Store visait à protester contre les commissions de 30% prélevées par Apple. La réponse est alors immédiate: le jeu est retiré du magasin d’applications. Dans la foulée, Epic porte l’affaire devant les tribunaux américains, accusant son adversaire d’abus de position dominante. Saisie en urgence, la juge refuse cependant d’ordonner le retour de Fortnite. En Europe, le jeu a profité de l’entrée en vigueur du Digital Markets Act. Depuis l’an passé, il est ainsi possible de le télécharger depuis des boutiques tierces – dont celle d’Epic.
Représailles – La situation aux États-Unis a changé fin avril. Lassée de l’attitude d’Apple, la juge lui a imposé des changements majeurs, permettant aux développeurs d’applications de rediriger librement leurs utilisateurs vers des sites Internet pour effectuer des achats, sans reverser le moindre centime. Pour Epic, ce verdict signifie que Fortnite doit de nouveau être accepté sur l’App Store. L’éditeur a donc soumis une nouvelle version de son application, utilisant le compte développeurs ouvert par sa filiale suédoise – son compte américain est toujours banni. Après plusieurs jours de silence, le géant de Cupertino a finalement refusé sa demande. “Apple ne peut plus rejeter une application, y compris Fortnite, au motif que son développeur choisit d’inclure un lien d’achat externe”, souligne Epic, qui dénonce ainsi une mesure de représailles.
Stratégie risquée – Apple s’estime dans son bon droit, soulignant que l’interdiction de Fortnite avait été approuvée par la justice. “Le même raisonnement s’applique quelle que soit l’entité liée à Epic qui soumet l’application”, fait valoir son avocat. Ce choix illustre une volonté de vengeance face à une entreprise qui a osé défier ses règles. En Europe, le groupe avait ainsi décidé de bloquer le compte développeur d’Epic seulement deux jours avant l’entrée en vigueur du DMA, pour l’empêcher de lancer sa propre boutique. Il avait cependant dû y renoncer devant les doutes de Bruxelles. Aux États-Unis, cette stratégie jusqu’au-boutiste lui a déjà coûté cher. Relativement épargné lors du procès contre Epic, Apple a tout fait pour ne pas appliquer le verdict, poussant la juge à frapper fort. En poursuivant dans cette direction, il s’expose donc à de nouvelles sanctions.
Pour aller plus loin:
– Comment Tim Sweeney a vaincu Apple et Google
– Comment Epic veut capitaliser sur sa victoire judiciaire contre Apple
| UN MESSAGE DES ÉDITIONS ROBERT LAFFONT |
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Les États-Unis renoncent à limiter les exportations de puces d'IA dans quasiment tous les pays
Le lobbying appuyé de Jensen Huang, le directeur général de Nvidia, a porté ses fruits. La semaine dernière, l’administration Trump a renoncé à appliquer de nouvelles restrictions sur les exportations de puces dédiées à l’intelligence artificielle générative. Une mesure qui aurait fortement pénalisé le géant des cartes graphiques (GPU). Cela “aurait étouffé l’innovation américaine [et] aurait également compromis les relations diplomatiques avec des dizaines de pays”, justifie le département du Commerce. Cela ne signifie pas pour autant que Washington va renoncer à utiliser l’accès à ces technologies, indispensables pour rester dans la course à l’IA, comme une arme commerciale. Pour preuve: le récent voyage de Donald Trump dans le Golfe, pendant lequel les promesses d’investissements aux États-Unis se sont multipliées… en échange de GPU de Nvidia.
Pas seulement les ennemis – Les puces d’IA sont presque exclusivement conçues par des acteurs américains, en particulier Nvidia. Cette hégémonie permet aux États-Unis de contrôler, ou au moins de limiter, l’accès aux dernières avancées technologiques. En 2022, l’administration Biden avait ainsi imposé des restrictions sur les exportations vers la Chine des GPU les plus puissants. Ces sanctions ont été durcies à plusieurs reprises pour refermer des failles qui limitaient leur efficacité. Annoncées en janvier, juste avant la passation de pouvoir, les nouvelles règles allaient beaucoup plus loin. Elles ne visaient plus seulement les pays ennemis, comme la Chine. Elles imposaient aussi des quotas à la majorité des pays, dont une partie de l’Union européenne, limitant potentiellement leur capacité à se doter de la puissance de calcul dont ils ont besoin.
Trois catégories – Dans la réglementation, rien ne changeait pour les 23 pays considérés comme une menace, comme la Chine, la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord, qui ne pouvaient toujours pas acheter les GPU américains les plus avancés. À l’opposé, rien ne changeait également pour les nations considérées comme alliées, qui n’étaient visées par aucune restriction. Cette liste n’incluait que 18 noms, dont la France. Tous les autres pays auraient été soumis à des quotas. C’était le cas de 17 des 27 membres de l’Union européenne, mais aussi d’Israël, de l’Arabie saoudite et de l’Inde. Ces pays n’auraient pu acheter que l’équivalent de 50.000 H100, l’ex-GPU de référence de Nvidia. Et 100.000 s’ils signaient un accord de sécurité technologique. Cette limite aurait représenté un nombre très restreint d’exemplaires des nouveaux et prochains accélérateurs.
Progrès chinois – Cette mesure avait notamment pour but de limiter la capacité de la Chine à mettre la main sur des puces d’IA en passant par des tiers. Selon l’agence Bloomberg, de nouvelles restrictions pourraient désormais être imposées aux pays soupçonnés de servir d’intermédiaires, comme la Malaisie et la Thaïlande. Très critiquée à l’étranger, la proposition de l’administration Biden ne faisait pas l’unanimité aux États-Unis. Les dirigeants de Nvidia, Microsoft ou encore d’Oracle ont ainsi multiplié les efforts auprès de la Maison Blanche. Au-delà de l’important manque à gagner, leur crainte était de favoriser l’émergence de rivaux étrangers, alors que plusieurs start-up européennes travaillent sur des puces d’IA. Et surtout d’ouvrir de nouveaux marchés potentiels pour les acteurs chinois, en particulier Huawei, dont les progrès rapides inquiètent.
Pour aller plus loin:
– Dans l’IA, Huawei veut profiter d’un coup de pouce de… Washington
– Face aux progrès chinois, les États-Unis accentuent leurs sanctions
Crédit photos: Flickr / steamXO - Nvidia