En retirant toutes ses chansons, Universal Music déclare la guerre à TikTok
À la tête d’Universal Music, Lucian Grainge est considéré comme la personnalité la plus puissante du monde de la musique. Après avoir fait plier YouTube en 2017 pour augmenter la rémunération des artistes, il se lance dans un nouveau bras de fer. Dans son viseur: TikTok, au cœur de nouvelles habitudes de consommation. Mercredi, la première maison de disques mondiale a laissé expirer l’accord de licence qu’elle avait conclu il y a trois ans avec la plateforme de courtes vidéos, faute d’avoir pu obtenir satisfaction sur le montant des royalties qu’elle perçoit. “TikTok a tenté de nous intimider pour que nous acceptions une offre inférieure à la précédente, bien en deçà de la juste valeur du marché et ne reflétant pas leur croissance exponentielle”, dénonce Universal, qui a donc décidé de retirer son immense catalogue de l’application.
Manque à gagner – Universal assure que l’impact financier direct sera négligeable, TikTok représentant seulement 1% de son chiffre d’affaires, soit environ 100 millions de dollars par an. Mais sa décision s’accompagne aussi un manque à gagneSauf retournement de dernière minute, plusieurs millions de chansons ne pourront donc plus être utilisées par les utilisateurs de TikTok comme fond sonore. Un doute subsiste encore sur le sort des vidéos déjà publiées, qui pourraient être retirées si Universal le demande. De nombreux artistes de renom sont concernés, comme Taylor Swift, Drake, Ariana Grande, Adele, The Weeknd, Elton John ou encore U2. r indirect, car la plateforme représente un formidable outil de découverte et de promotion qui peut faire grimper les écoutes, rémunérées, sur les plateformes de streaming.
Changement de modèle – C’est fort de cette position que TikTok aborde les négociations avec les maisons de disques. L’été dernier, la filiale du groupe chinois ByteDance avait noué un partenariat avec Warner Music, autre géant du secteur, dont le patron Robert Kyncl monte aussi régulièrement au créneau pour réclamer une meilleure rémunération. Le précédent accord avec Universal avait été conclu en 2017, quand TikTok ne comptait que 65 millions d’utilisateurs. Mais maintenant que l’application en attire plus d’un milliard, et qu’elle commence à monétiser cette immense audience, les dirigeants de la major espèrent imposer un changement de modèle. Au lieu de négocier une somme fixe pour permettre l’accès à son catalogue, ils militent pour des royalties à l’écoute, comme pour les plateformes de streaming.
Chansons générées par l’IA – L’échec des négociations intervient dans un contexte particulier. Les progrès de l’intelligence artificielle générative inquiètent fortement l’industrie du disque, qui redoute une chute de ses recettes. Universal est en pointe de ce combat, mettant à profit ses bonnes relations avec Spotify ou YouTube pour lutter contre la diffusion de chansons utilisant la voix de ses artistes. Selon la maison de disques, TikTok tente, au contraire, de profiter de la situation. Non seulement, la plateforme ne ferait rien pour éviter “d’être inondée” de titres générés par l’IA, proposant même des outils pour “faciliter, promouvoir et encourager” leur création. Mais elle chercherait aussi à inclure ces chansons dans le système de rémunération, ce qui reviendrait à “diluer massivement la part des artistes humains”.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi Spotify et Deezer modifient le modèle de rémunération des artistes
– Comment l’intelligence artificielle bouscule l’industrie du disque
La France échoue à bloquer le projet européen de régulation de l'IA générative
Plus rien ne semble s’opposer à l’adoption de l’AI Act. Mardi, l’Allemagne a en effet annoncé qu’elle voterait en faveur de ce projet européen de réglementation de l’intelligence artificielle, après avoir trouvé un compromis au sein de sa coalition gouvernementale. Une décision qui réduit à néant les efforts de Paris pour former une minorité de blocage. D’autant plus que l’Italie, qui avait aussi émis des réserves, ne devrait également pas s’opposer au texte. Interrogé, Matignon n’a pas souhaité partager la position définitive de la France, établie en début de semaine après une réunion interministérielle. Les représentants permanents des Vingt-Sept doivent donc officiellement approuver le texte ce vendredi à Bruxelles. L’AI Act sera ensuite renvoyé devant le Parlement pour un dernier vote. A priori une formalité.
Longues négociations – La volonté de réguler l’intelligence artificielle en Europe date de 2021. Une autre… époque. Les inquiétudes portaient alors sur les dispositifs d’identification biométrique ou encore les systèmes de police prédictive. Mais l’émergence récente des IA génératives a contraint les responsables européens à revoir leur copie. Au terme de longues négociations entre le Parlement, la Commission et le Conseil européens, la version définitive du texte n’a été envoyée qu’il y a dix jours. Sur l’IA générative, celui-ci introduit d’abord des obligations de transparence sur le processus d’entraînement des modèles, avec l’obligation de publier un résumé “suffisamment détaillé” des données utilisées. Cela pourrait permettre aux détenteurs de droits de réclamer une rémunération si leurs œuvres ont été utilisées.
“Risques systémiques” – L’AI Act réaffirme par ailleurs que les sociétés du secteur doivent respecter le droit d’auteur européen. Et, avec lui, la possibilité pour les auteurs, les artistes ou les médias de refuser que leurs contenus participent à l’entraînement des modèles. Le projet impose aussi la mise en place d’un dispositif d’identification des contenus générés par l’IA, permettant de distinguer les fausses photos ou vidéos. Les réglementations les plus strictes ne s’appliqueront qu’aux modèles présentant des “risques systémiques” – déterminés par la puissance de calcul qui a été nécessaire pour les entraîner. Ceux-ci auront, par exemple, l’obligation de mener des études d’impact sur les risques et sur les mécanismes mis en place pour les limiter. Un bureau européen de l’IA sera chargé de faire appliquer ces règles.
Handicap pour l’Europe ? – Les détracteurs de l’AI Act reproche à l’Europe de vouloir réglementer trop tôt le secteur. Et surtout d’être la seule à le faire. Ils redoutent ainsi que le texte ne handicape les sociétés européennes, en particulier face à leurs rivales américaines. Poussé notamment par Cédric O, l’ancien secrétaire d’Etat au numérique, devenu lobbyiste pour la start-up Mistral AI, la France militait ainsi pour une approche différente, qui ne vise pas les modèles mais les services d’IA qui les utilisent. Sur ce point, elle n’aura obtenu qu’une petite victoire: le texte ne concerne plus les modèles fondamentaux mais les modèles “à usage général”, une dénomination plus restrictive. Paris s’opposait aussi à une transparence totale des données d’entraînement. Mais a simplement obtenu que soit mentionné le “respect du secret des affaires”.
Pour aller plus loin:
– Comment Cédric O tente de faire échouer le projet de régulation de l’IA générative
– Le double discours d’OpenAI sur la régulation de l’IA
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