Putsch, menaces, exode... le week-end mouvementé d'OpenAI
Et aussi: Un laboratoire d'IA à 300 millions d'euros en France
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Malgré les pressions, OpenAI refuse de réinstaller Sam Altman à sa tête
Tout au long de la journée de dimanche, tous les signaux pointaient vers un retour de Sam Altman à la tête d’OpenAI, moins de 48 heures après son éviction brutale et inattendue. Mais le conseil d’administration du concepteur de ChatGPT n’a pas cédé malgré la pression des investisseurs et la menace d’un exode massif d’employés. Dans la soirée, ses quatre membres ont ainsi nommé un nouveau directeur général par intérim, Emmett Shear, qui dirigeait jusqu’en mars Twitch, la plateforme de live-streaming d’Amazon. Il remplace Mira Murati, la très respectée directrice de la technologie, nommée à ce poste vendredi. Mais qui militait pour une reprise en main de la start-up par son ancien patron. S’ouvre désormais une période de grandes incertitudes, notamment sur les relations avec Microsoft.
Fronde des investisseurs – Le retour avorté de Sam Altman signe en effet la défaite de l’orientation commerciale d’OpenAI, entamée en 2019 et exacerbée depuis le lancement fracassant du chatbot ChatGPT il y a bientôt un an. À l’opposé, certains dirigeants, dont Ilya Sutskever, le directeur scientifique, militent pour une approche plus prudente, privilégiant la recherche fondamentale au lancement de nouveaux produits à un rythme effréné. Ils mettent en avant les dangers liés à un développement incontrôlé, dicté par une logique de profits. Ce n’est ainsi pas un hasard si l’éviction de Sam Altman a suscité une fronde immédiate des investisseurs de la start-up, inquiets qu’une nouvelle approche limite le potentiel commercial d’OpenAI. Et donc l’énorme plus-value qu’ils peuvent espérer réaliser.
Microsoft à la baguette – En coulisses, cette révolte était notamment soutenue par Microsoft. En début d’année, le concepteur de Windows a injecté dix milliards de dollars dans la start-up, mettant la main sur près de la moitié du capital. Selon Bloomberg, ses dirigeants étaient “furieux”, apportant immédiatement leur soutien à Sam Altman. Car le groupe de Redmond a bien plus à perdre que les sommes investies: toutes ses initiatives dans l’IA générative dépendent des modèles d’OpenAI. Dimanche, son directeur général Satya Nadella a ainsi joué un rôle de négociateur auprès du conseil. Il disposait d’une arme de poids: les milliards de dollars que sa société doit encore verser à la start-up, notamment sous la forme de crédits cloud qui lui permettent d’utiliser les superordinateurs d’Azure pour entraîner ses modèles d’IA.
Vers un exode des employés ? – Un autre élément semblait jouer en faveur d’un retour de Sam Altman: le soutien des employés. Vendredi, trois chercheurs en IA ont démissionné. La société s’expose désormais à un exode massif d’employés. Pour rejoindre des concurrents à l’affût pour débaucher des experts tant convoités. Ou alors pour suivre leur ancien patron, déjà en discussion avec des fonds pour lancer une nouvelle société dédiée à l’intelligence artificielle. Malgré tout, le conseil d’administration est resté sur ses positions. Il est désormais probable qu’OpenAI change de cap. Au point de remettre en cause tous les efforts commerciaux entrepris depuis un an ou de ralentir le développement de modèles toujours plus puissants ? Et ainsi de faire une croix sur la majeure partie d’une valorisation qui devait atteindre 80 ou 90 milliards de dollars ?
Pour aller plus loin:
– OpenAI abandonne le développement de son dernier modèle de langage
– Le double discours d’OpenAI sur la régulation de l’IA
Xavier Niel lance Kyutai, un laboratoire d’IA à but non lucratif
Xavier Niel a choisi de faire l’annonce en famille, à Station F, l’immense incubateur de start-up qu’il a financé à Paris, lors d’un événement organisé par Scaleway, l’ancien hébergeur reconverti en plateforme de cloud de son groupe Iliad. Et sur scène, à ses côtés, deux “amis incroyables”: Eric Schmidt, l’ancien directeur général de Google devenu depuis philanthrope, et Rodolphe Saadé, le patron de l’armateur marseillais CMA CGM, qui a participé en juin à la levée de fonds menée par Mistral AI, la nouvelle start-up vedette de l’IA en France. Vendredi, le fondateur de Free a dévoilé Kyutai, un laboratoire de recherche à but non lucratif dédié à l’intelligence artificielle générative et financé, à parts égales, par les trois milliardaires à hauteur de 300 millions d’euros. Une initiative qui rappelle les débuts d’OpenAI.
Open science – Kyutai, dont le nom signifie sphère en japonais, a déjà recruté une équipe de six chercheurs, tous formés dans de grandes écoles françaises. “Notre principale mission est de bâtir et de démocratiser une intelligence artificielle générale (capable d’apprendre et réaliser n’importe quelle tâche, ndlr) grâce à l’open science”, explique son directeur Patrick Pérez, qui dirigeait jusqu’à maintenant le laboratoire d’IA de l’équipementier automobile Valeo. Concrètement, Kyutai va lancer “des projets de recherche extrêmement ambitieux”, puis partagera les résultats avec la communauté scientifique et avec les entreprises et start-up, qui pourront utiliser librement ses avancées. Le laboratoire souhaite aussi “former la prochaine génération d’experts”, en accueillant des étudiants dans ses équipes.
Articles scientifiques – Kyutai a déjà débauché trois chercheurs chez FAIR, le centre de recherche de Meta. Et deux chez Deepmind, la filiale de Google. Xavier Niel ambitionne d’attirer “les meilleurs talents français”. Pour cela, il met en avant la possibilité d’œuvrer pour le “bien commun”, et pas seulement pour les profits des géants américains, en permettant à ses équipes de publier des articles scientifiques. La possibilité de participer au champ académique est très prisée par les chercheurs dans le domaine de l’IA. Mais les entreprises du secteur rechignent de plus en plus à partager leurs avancées dans la recherche, avant d’avoir pu en exploiter le potentiel. C’est le cas en particulier de Google, dont les travaux sur le réseau de neurones Transformer ont joué un rôle primordial dans l’émergence de ChatGPT.
Enveloppe limitée – En jouant la carte de l’open science, Kyutai pourrait profiter d’un avantage dans la course aux meilleurs experts. Mais pourra-t-il rivaliser face aux géants américains qui offrent des salaires annuel à six chiffres ? Xavier Niel assure que le laboratoire offrira des rémunérations compétitives. Sur le papier son enveloppe de 300 millions d’euros est importante, mais elle ne devrait suffire qu’à financer les premières années de fonctionnement. Au-delà des salaires, entraîner des modèles d’IA coûte en effet extrêmement cher – même si Scaleway promet de lui facturer à prix coûtant l’utilisation de supercalculateur Nabu. Le fondateur de Free espère attirer d’autres soutiens financiers, indispensables pour ne pas succomber à la tentation commerciale. En 2019, OpenAI avait, lui, choisi d’abandonner son but non lucratif.
Pour aller plus loin:
– Les coûts de l’IA menacent de freiner son adoption
– La start-up française Mistral AI lance sa première IA générative
Crédit photos: OpenAI - Iliad