Bruxelles montre les muscles face à Apple et Google
Et aussi: Comment Google s'impose sur le marché des smartphones
Bruxelles se prépare déjà à une bataille judiciaire contre Apple et Google
À cinq mois de l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA), Bruxelles se prépare déjà à une bataille judiciaire. Mi-septembre, la Commission européenne a commandé une étude indépendante sur l’écosystème mobile, rapporte l’agence Reuters. Son objectif: anticiper les potentielles contestations d’Apple et de Google pour tenter d’échapper à certaines dispositions de cette nouvelle législation communautaire, qui vise à favoriser la concurrence dans le numérique. Ce texte devrait avoir un impact majeur sur le fonctionnement du système Android et encore plus sur celui d’iOS, qui se partagent aujourd’hui le marché des smartphones. Les deux groupes profitent de cette situation, selon leurs détracteurs, pour favoriser leurs services et capter des milliards de dollars de commissions sur les applications.
Fin du monopole – Adopté l’an passé, le DMA cible les “gatekeepers”, les “portiers” qui contrôlent l’accès à des données, des plateformes ou des terminaux. En septembre, Bruxelles a publié une première liste des six sociétés concernées. Avec iOS et Android, Apple et Google en font partie. La nouvelle législation devrait notamment mettre un terme à leur monopole (ou quasi-monopole) dans la distribution des applications mobiles, en permettant aux possesseurs de smartphones de télécharger d’autres boutiques. Les applications installées depuis ces magasins ne seront alors plus soumises aux règles actuelles, en particulier l’obligation d’utiliser le système de paiement des deux groupes américains et donc de verser des commissions de 15% ou 30% sur les achats et abonnements.
Une faille juridique ? – Ce changement représente un véritable big bang. Et une immense opportunité pour de nombreux acteurs. L’an passé, plus de 130 milliards de dollars d’achats ont transité par l’App Store et le Play Store dans le monde. Microsoft a déjà officialisé son intention de lancer un magasin dédié aux jeux vidéo. Meta a aussi confirmé son intérêt. Il est, par ailleurs, probable que les fabricants de smartphones suivent la même voie. Apple et Google pourraient cependant contester cette mesure devant la justice européenne, en s’engouffrant dans une faille. Le DMA prévoit en effet des exemptions aux règles pour protéger “l’intégrité du hardware et du système d’exploitation”. Or, le groupe à la pomme affirme depuis des années que son écosystème fermé permet d’assurer la sécurité de ses utilisateurs.
Accès à la puce NFC – Cet argument pourrait aussi être utilisé par Apple pour remettre en cause une autre mesure, qui prévoit d’ouvrir l’accès à la puce NFC pour réaliser des paiements sans contact. Sur iOS, celui-ci est réservé à Apple Pay, qui se retrouve en position de monopole. La société explique que cette restriction permet d’assurer la protection des comptes bancaires des possesseurs d’iPhone. Le DMA prévoit d’autres modifications qui pourraient pénaliser les deux géants américains. Par exemple, toutes les applications pourront être désinstallées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour le navigateur Safari d’Apple ou plusieurs services maison de Google. Le texte va aussi permettre aux utilisateurs de choisir les applications par défaut pour tout type d’usage, une option aujourd’hui largement limitée sur iOS.
Pour aller plus loin:
– Six géants technologiques ciblés par le Digital Markets Act européen
– La justice américaine demande à Apple de modifier les règles de l’App Store
Comment Google gagne du terrain sur le marché des smartphones
Il y a dix ans, Google n’avait invité qu’une dizaine de journalistes dans ses locaux de San Francisco pour une présentation, sans artifices ni caméras, de son dernier smartphone. Mercredi, pour dévoiler ses nouveaux Pixel – les versions 8 et 8 Pro, qui seront commercialisées à partir du 12 octobre –, le moteur de recherche a mis les grands moyens. Comme il en a pris l’habitude ces dernières années. À lui seul, ce contraste illustre l’immense chemin parcouru par la société sur ce secteur très concurrentiel. Mieux encore, sur un marché en berne, elle n’a jamais vendu autant de smartphones. “Nous sommes la marque qui affiche la plus forte croissance de ses ventes sur nos principaux marchés”, se félicite Rick Osterloh, l’ancien patron de Motorola, qui dirige désormais la branche hardware de Google.
Ventes marginales – Le premier smartphone conçu par Google remonte à 2010, seulement trois ans après le lancement de l’iPhone. Pendant longtemps, Google s’est associé avec des fabricants, comme Samsung, LG et HTC, pour produire sa gamme Nexus. À l’époque, ces appareils devaient simplement servir de vitrine “pour montrer la voie” aux fabricants Android, le système d’exploitation mobile de la société. Il n’était surtout pas question de rivaliser avec eux, pour ne pas les effrayer et les pousser à lancer leur propre OS mobile, concurrent d’Android. Cela se traduisait par une distribution restreinte, notamment auprès des opérateurs mobiles, une disponibilité dans très peu de pays et des stocks limités. Les ventes de smartphones sont ainsi longtemps restées marginales à l’échelle de l’entreprise.
Montée en gamme – Sa stratégie commence à changer en 2016, avec le recrutement de Rick Osterloh. L’année suivante, la société rachète l’activité smartphone du taïwanais HTC, un des pionniers du marché, alors en pleine déconfiture. Depuis, elle n’a plus besoin de s’associer avec des fabricants pour produire sa gamme Pixel, contrôlant désormais, comme Apple, l’ensemble du hardware et du software. Ces dernières années, les smartphones maison sont montés en gamme – ce qui se répercute sur leurs prix, qui ont encore augmenté de 150 et 200 euros cette année. Ils intègrent aussi de plus en plus de fonctionnalités exclusives, qui ne sont pas ajoutées par Google à Android, en particulier en matière de photos et de vidéos. Et ils tournent sur leur propre processeur, développé directement par la société.
Parts de marché – Avec ce nouveau positionnement, Google se retrouve en concurrence avec Samsung, Xiaomi, Oppo ou encore Motorola. Certes, ses parts de marché restent faibles: environ 3% aux États-Unis, deux fois moins en Europe. Mais celles-ci ont doublé en un an. Au Japon, la marque est même devenue le deuxième acteur du marché, captant 9% des ventes, selon les estimations de Counterpoint. Ces bons chiffres s’expliquent par une présence accrue et une meilleure visibilité dans les boutiques des opérateurs ou les enseignes spécialisées. Ils sont aussi tirés par d’importantes dépenses marketing et par une notoriété désormais établie auprès du grand public. Et la déclinaison de milieu de gamme, baptisée “a”, offre un bon compromis entre prix et performances. Elle représente environ la moitié des ventes.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi les fabricants de smartphones misent sur les appareils pliables
– Débuts encourageants pour la marque de smartphones Nothing
Crédit photos: Unsplash / Solen Feyissa - Google