La spectaculaire volte-face de Telegram
Et aussi: Google attaque Microsoft – TikTok renonce à concurrencer Spotify
Après l’arrestation de Pavel Durov, Telegram se résout à collaborer avec la justice
Un mois après son arrestation à l’aéroport du Bourget, Pavel Durov veut s’attaquer aux “mauvais acteurs” qui utilisent Telegram. Dans un message publié lundi, le milliardaire annonce ainsi une volte-face majeure: l’application de messagerie collaborera désormais avec les autorités judiciaires pour tous les types d’activités criminelles. Jusqu’à présent, elle ne prévoyait de transmettre une adresse IP ou un numéro de téléphone que dans les affaires terroristes. Tout en se vantant de n’avoir jamais eu à le faire. Dans une nouvelle version de sa politique de confidentialité, la société explique qu’elle communiquera des informations permettant d’identifier ses utilisateurs suspectés d’un crime si elle reçoit “une ordonnance valide des autorités judiciaires compétentes” et après avoir mené “une analyse juridique de la demande”.
Complicité – Lancée en 2013, Telegram est plébiscitée depuis des années par les réseaux criminels. Son nom revient d’ailleurs régulièrement dans des affaires de pédocriminalité, de vente de stupéfiants ou de terrorisme. Cela s’explique par son laxisme en matière de modération des chaînes publiques. Et par sa politique de ne pas collaborer avec les autorités. Mis en examen et remis en liberté sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire, Pavel Durov, qui possède aussi la nationalité française, est notamment accusé de complicité de diffusion d’images pédopornographiques, de complicité de trafic de stupéfiants et de blanchiment de crimes. Des infractions très lourdes qui s’expliquent par son refus de communiquer des informations à la justice. Il risque, sur le papier, jusqu’à dix ans de prison.
Plus de modération – Après n’avoir rien fait pendant des années, Telegram veut désormais se montrer volontariste pour lutter contre l’utilisation de sa plateforme par des réseaux criminels. Outre la nouvelle politique de coopération avec la justice, Pavel Durov assure aussi avoir renforcé les efforts de modération, combinant des équipes humaines et de l’intelligence artificielle. Ainsi, les “contenus problématiques” ne remontent plus dans le moteur de recherche interne. Cela concerne par exemple des chaînes permettant d’acheter de la drogue et des armes – qui restent quand même disponibles. Telegram a aussi réservé sa fonctionnalité “à proximité” à des entreprises “légitimes et vérifiées”. “Nous ne laisserons pas de mauvais acteurs remettre en cause l’intégrité de notre plateforme pour un milliard d’utilisateurs”, assure son patron.
Entrée en Bourse – Cette double volte-face ne s’explique pas seulement par les ennuis judiciaires de son fondateur. Et par la volonté d’anticiper de potentiels déboires dans le cadre du Digital Services Act européen, qui impose aux plateformes de lutter contre les contenus illégaux. Elle doit aussi assurer l’avenir économique de Telegram. La société s’est en effet lourdement endettée, émettant pour 2,4 milliards de dollars d’obligations convertibles en actions. Pour effacer cette dette, elle doit s’introduire en Bourse avant mars 2026. Faute de quoi, elle devra rembourser cette somme, alors même qu’elle n’est toujours pas rentable. Une entrée en Bourse sera cependant très compliquée à mener tant que perdureront les incertitudes judiciaires et réglementaires. Pour Telegram, il est donc capital de les refermer au plus vite.
Pour aller plus loin:
– L’arrestation de Pavel Durov en France fragilise l’avenir de Telegram
– Telegram continue de s’endetter avant une introduction en Bourse
Google Cloud porte plainte contre Microsoft auprès de Bruxelles
De la parole aux actes. Après avoir dénoncé pendant plusieurs années les pratiques de Microsoft sur le marché du cloud, Google s’est décidé à saisir la Commission européenne. Mardi, le géant de Mountain View a déposé une plainte à Bruxelles, accusant son grand rival d’abus de position dominante. Il lui reproche en particulier d’avoir mis en place une politique tarifaire double pour les clients de Windows Server, son système d’exploitation pour serveurs, pour les inciter à utiliser sa plateforme de cloud Azure plutôt que ses concurrentes. “C’est notre dernier recours”, justifie-t-on chez Google, qui s’est déjà plaint, en vain, à la Federal Trade Commission, le gendarme américain de la concurrence. Cette procédure devrait prendre plusieurs années avant d’aboutir à une éventuelle amende et à la fin des pratiques incriminées.
Position unique – Parti en retard dans le cloud, Microsoft a décuplé ses efforts après l’arrivée à sa tête de Satya Nadella en 2014. Il occupe désormais la deuxième place du marché. Et profite de l’essor de l’intelligence artificielle générative pour combler l’écart avec Amazon Web Services. Le groupe de Redmond occupe une position unique. Il possède en effet toute une gamme d’outils massivement utilisés par les entreprises. Ses concurrents, américains mais aussi européens, lui reprochent d’en tirer illégalement profit. Cela passe par des tarifs beaucoup plus élevés pour faire tourner sa suite bureautique Office chez ses rivaux. Par des barrières technologiques ne permettant pas de bénéficier d’une expérience optimale. Ou encore par de la vente liée, offrant aux utilisateurs d’Azure des prix inférieurs pour ses autres services.
Cinq fois plus cher – Dans sa plainte déposée devant la Commission européenne, Google insiste particulièrement sur Windows Server, “un outil incontournable dans de nombreux environnements informatiques”. Celui-ci serait “au cœur” de la stratégie de Microsoft pour “verrouiller les clients dans Azure”. Le moteur de recherche met en avant les conditions tarifaires introduites en 2019, qui ont imposé “des sanctions financières extrêmement importantes” aux entreprises souhaitant utiliser Windows Server sur des clouds concurrents. Reprenant un argument marketing de son rival, il souligne que les tarifs sont ainsi multipliés par cinq. Google lui reproche également d’avoir mis en place des “obstacles supplémentaires”, comme des délais dans le déploiement des correctifs de sécurité et des barrières d’interopérabilité.
Accord avec OVH – La plainte de Google intervient deux mois après la résolution à l’amiable des deux autres plaintes déposées à Bruxelles, dont une émanant du français OVHcloud et de deux acteurs européens du secteur. Après deux années de tractations, Microsoft a accepté de modifier certaines pratiques, permettant, selon OVH, aux clients des trois clouds européens de “déployer plus facilement” les services de Microsoft. Cet accord à l’amiable, qui a permis au groupe américain d’éviter une amende, ne s’applique cependant pas à Google, AWS ou Alibaba. En portant l’affaire devant la Commission européenne, le moteur de recherche espère certainement pousser son rival à changer ses méthodes, comme il l’avait déjà poussé à mettre partiellement un terme aux frais de sortie.
Pour aller plus loin:
– Dans le cloud, les frais de sortie prennent (partiellement) la porte
– Onze ans après, le cloud de Google est enfin rentable
TikTok renonce à concurrencer Spotify
Cinq ans après son lancement, et seulement un an après son changement de nom, TikTok Music, anciennement Resso, va fermer ses portes fin novembre. Cette décision marque la fin des ambitions dans le streaming musical de la filiale du groupe chinois ByteDance, qui espérait profiter de l’immense popularité de sa plateforme de courtes vidéos pour concurrencer Spotify et Apple Music. Elle comptait notamment sur une fonctionnalité permettant à ses abonnés d’ajouter une chanson entendue sur TikTok dans leurs favoris. Mais cette passerelle ne s’est jamais matérialisée dans les cinq pays où le service était disponible – le Brésil, le Mexique, l’Australie, l’Indonésie et Singapour. Selon les données collectées par le cabinet Data.ai, TikTok Music ne figurait pas, dans ces pays, parmi les 50 applications musicales les plus téléchargées sur l’App Store d’Apple et le Google Store. Sur un marché déjà mature, sur lequel tous les services se ressemblent, les utilisateurs de Spotify, Apple Music ou Deezer avaient, en réalité, peu de raisons de changer d’abonnement.
Pour aller plus loin:
– Universal Music déclare la guerre à TikTok
– Face à l’IA, l’industrie du disque ne sait pas sur quel pied danser
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