Les chiffres inquiétants de Deezer
Et aussi: Le fondateur d'Instagram règle ses comptes avec Meta
Deezer devient (enfin) rentable... mais perd des abonnés
À peine un million d’euros. Le bénéfice opérationnel est minime, mais il représente une avancée majeure pour Deezer. Dix-sept ans après son lancement, la plateforme française de streaming musical est enfin devenue rentable au deuxième semestre 2024. Et elle prévoit de l’être à nouveau sur l’ensemble de 2025. Elle a aussi dégagé ses premiers flux de trésorerie positifs. “Une année historique”, se félicite Alexis Lanternier, arrivé l’été dernier au poste de directeur général. À y regarder de plus près pourtant, les chiffres publiés par Deezer sont plutôt inquiétants. Non seulement l’entreprise redoute une chute de son chiffre d’affaires au cours des prochains trimestres. Mais elle s’attend aussi à continuer à perdre des abonnés, devenant de plus en plus insignifiante en dehors du marché français, qui représente environ la moitié de ses clients.
Hausse des prix – Deezer a enregistré l’an passé une croissance plus forte qu’espéré. Son chiffre d’affaires a augmenté de 12%, pour atteindre 541 millions d’euros – très loin encore du milliard promis pour 2025 au moment de l’introduction en Bourse il y a trois ans. Cette performance s’explique par deux facteurs. D’abord, une progression du revenu moyen par abonné (ARPU) grâce à une hausse des prix. Ensuite, l’impact positif du lancement de nouveaux partenariats de distribution, notamment avec le géant du commerce en ligne Mercado Libre au Mexique et au Brésil, et avec le groupe de médias allemand RTL. En 2025, ces deux effets ne joueront plus. Deezer, déjà plus cher que Spotify, doit attendre avant d’augmenter à nouveau ses tarifs. Et aucun nouveau partenariat va représenter un relais de croissance. Au mieux, ses recettes seront stables.
Abonnements gratuits – Plus préoccupant encore, le nombre d’abonnés de Deezer recule. Fin 2023, la plateforme de streaming revendiquait 10,5 millions de clients. Elle a depuis revu ce chiffre à la baisse, retirant 500.000 comptes inactifs au sein de ses offres familiales. Fin 2024, elle ne totalisait plus que 9,7 millions d’abonnés. Ce repli provient principalement du partenariat avec Mercado Libre, offrant depuis l’été 2023 un abonnement d’un an aux clients de l’offre Meli+ – l’équivalent d’Amazon Prime. À la fin de cette période, peu de personnes convertissent cet essai gratuit en abonnement. Au deuxième semestre 2024, cela représente 300.000 abonnés en moins pour Deezer. L’impact va se poursuivre cette année, prévient Alexis Lanternier. D’autant plus que Mercado Libre va arrêter de proposer un an gratuit pour les nouveaux clients de Meli+.
“Superfans” – Au-delà, la société peine à attirer de nouveaux adeptes, aussi bien en France qu’à l’étranger. Et aussi bien pour ses offres vendues en direct que pour celles distribuées par ses partenaires. Pourtant, les autres plateformes ont gagné 85 millions d’abonnés en 2024, estime le cabinet Midia. Sa part de marché mondiale est désormais tout juste supérieure à 1%. Alors que les différentes offres sont très similaires, ses rivaux disposent d’une image de marque et de moyens bien supérieurs. Deezer mise, lui, sur de nouvelles fonctionnalités, comme la personnalisation de l’algorithme de recommandations, dans l’espoir de séduire les jeunes. Il compte aussi sur les “superfans”, qui paient aujourd’hui autant que les autres alors qu’ils sont “prêts à dépenser bien davantage”, affirme Alexis Lanternier. Une offre dédiée est attendue cette année.
Pour aller plus loin:
– Dans le streaming musical, la hausse des prix ne fait que commencer
– Les “superfans”, nouvelle vache à lait du streaming musical
Le fondateur d'Instagram règle ses comptes avec Meta
Kevin Systrom s’était jusque-là peu exprimé sur son départ abrupt d’Instagram à l’été 2018. Sept ans plus tard, le fondateur de la plateforme de photos, rachetée en 2012 par Meta pour un milliard de dollars, est l’un des témoins vedette cités par la Federal Trade Commission (FTC), dans le procès qui l’oppose à la maison mère de Facebook. À la barre, l’ancien dirigeant n’a pas seulement réglé ses comptes avec son ancien employeur, accusant à demi-mot Mark Zuckerberg de jalousie devant l’immense succès de l’application. Il a aussi remis en cause une partie de son argumentaire. Un point positif pour la FTC, qui accuse Meta d’avoir racheté Instagram et WhatsApp uniquement pour mettre la main sur des rivaux avant qu’ils ne deviennent trop menaçants. L’affaire est cruciale: elle pourrait déboucher sur la vente forcée des deux plateformes.
Sous-investissement ? – Face aux accusations du gendarme de la concurrence, la société de Menlo Park met en avant les “milliards de dollars d’investissement” qui ont rendu les deux applications “plus performantes, plus fiables et plus sécurisées”. Une vision contestée par Kevin Systrom. S’il reconnaît que la croissance aurait été moins rapide sans rachat, il estime cependant que Meta a, en réalité, sous-investi dans Instagram. Selon lui, Mark Zuckerberg “pensait que nous étions une menace” pour la croissance de Facebook, le réseau qu’il a créé lorsqu’il était encore étudiant à Harvard. “Il y avait de véritables émotions humaines en jeu”, avance-t-il. Exemple lorsque Meta a commencé à basculer vers les vidéos: Instagram n’a bénéficié d’aucun renfort interne quand Facebook a récupéré plus de 300 employés. De quoi accréditer la thèse de la FTC.
Probabilité d’échec “faible” – Kevin Systrom pense également que l’application de photos aurait très bien pu réussir sans Meta. Il explique que certaines fonctionnalités ajoutées suite au rachat, comme la messagerie interne ou la vidéo, étaient déjà inscrites sur sa feuille de route. “Ce n’était pas forcément difficile” de les développer, indique-t-il, prenant pour exemple d’autres plateformes sociales. Il estime aussi qu’Instagram aurait pu se reposer sur AWS, le cloud d’Amazon, pour soutenir sa croissance. Une réponse à Meta, qui explique que le réseau social a grandement profité de son infrastructure informatique. Enfin, Kevin Systrom affirme que la start-up aurait facilement pu lever des fonds d’auprès d’investisseurs. “La probabilité que nous échouions était faible”, avance-t-il, tout en reconnaissant que “l’échec restait possible”.
“Fort à faire” – Ce témoignage doit permettre à la FTC de prouver que le rachat d’Instagram visait bien à empêcher l’émergence d’un potentiel concurrent à Facebook. La partie est cependant loin d’être gagnée. Depuis quatre ans, le juge chargé du dossier n’a cessé de se montrer dubitatif face aux arguments du régulateur. À plusieurs reprises, il a répété que celui-ci “aura fort à faire pour prouver ses allégations pendant un procès”. Ou encore que “ses positions poussent jusqu’à leurs limites des jurisprudences déjà fragiles”. La plainte du gouvernement américain présente en effet une faille majeure: la définition du marché. Cette procédure très technique est cruciale dans les affaires antitrust. Meta estime que le périmètre retenu par la FTC est beaucoup trop restreint. Et pour cause: il ne prend pas en compte TikTok, YouTube, Snapchat ou X.
Pour aller plus loin:
– Face aux Gafa, l’administration Trump montre les muscles
– Pourquoi Facebook revend Giphy à prix bradé
Crédit photos: Deezer – Unslapsh / Brett Jordan