La chute spectaculaire de 23andMe
Et aussi: Les petits mensonges de Telegram – Younited en Bourse
DERNIÈRE MINUTE – Dans l’affaire opposant Google à Epic Games, la justice américaine a ordonné lundi soir au moteur de recherche d’ouvrir la distribution d’applications mobiles sur son système Android. La société va faire appel. Plus d’informations dans l’édition de mercredi matin.
L'avenir incertain de 23andMe... et de ses 15 millions de profils génétiques
C’est une gigantesque base de données de plus de quinze millions de profils génétiques dont le sort commence à inquiéter aux États-Unis. Près de vingt ans après sa création, 23andMe traverse en effet une grave crise financière, qui pourrait l’amener à être à court de liquidités dès l’an prochain. Déjà en perte de vitesse, le spécialiste des tests ADN à usage récréatif a vu sa situation empirer l’année dernière après une importante fuite de données, qui a compromis environ la moitié de ses clients. Pour sauver ce qui peut encore l’être, la fondatrice et patronne Anne Wojcicki propose de mener, au rabais, un retrait de la cote. Une hypothèse rejetée par les actionnaires. Mi-septembre, l’ensemble des membres indépendants du conseil d’administration ont claqué la porte pour manifester leurs désaccords avec la “direction stratégique”.
Lourdes pertes – 23andMe offre des analyses génétiques à réaliser à domicile avec un kit de prélèvement salivaire. Celles-ci permettent d’identifier ses origines géographiques et des prédispositions pour développer certaines maladies. La véracité de ces tests, interdits en France, est remise en cause. Mais ils ont quand même séduit plus de 15 millions de curieux. À l’été 2021, l’entreprise s’introduit en Bourse. Elle vaut alors six milliards de dollars. Sa capitalisation est depuis tombée sous les 150 millions. Non seulement, 23andMe accuse un essoufflement de son potentiel commercial, notamment parce que ses clients ne réalisent les tests qu’une seule fois. Mais elle affiche toujours de très lourdes pertes: 315 millions en 2023 (hors depreciations d’actifs). Conséquence, sa trésorerie a fondu, passant en trois ans de 900 à 216 millions.
Perte de poids – 23andMe a bien tenté de diversifier ses activités. La société a lancé des abonnements, proposant des conseils de santé et davantage de données sur les ancêtres. Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur. Elle commercialise une offre mensuelle de téléconsultation et des prescriptions médicales, en particulier l’Ozempic, un médicament dont l’usage a été détourné pour faire perdre du poids. 23andMe cherche aussi à monétiser sa base de profils génétiques. En 2018, elle a conclu un partenariat avec le laboratoire Glaxosmithkline pour mener des recherches médicales. Celui-ci lui a rapporté près de 400 millions de dollars, mais son montant annuel a été revu à la baisse. Surtout, ses potentiels résultats positifs (23andMe et GSK doivent partager les profits) sont trop lointains face à l’urgence de la situation.
Données en vente – Les difficultés de 23andMe ont été accentuées par une faille de sécurité en 2023, qui a permis à des pirates informatiques de mettre la main sur les données personnelles et les résultats sur les origines de sept millions de clients. Les informations d’un million de personnes, dont Elon Musk et Mark Zuckerberg, s’étaient ainsi retrouvées en vente sur un forum spécialisé. L’aggravation de la situation financière pourrait rendre l’entreprise, à la recherche d’économies, encore plus vulnérable. Autre risque: que deviendra cette base de profils génétiques si elle fait faillite, déclenchant une vente de ses actifs ? Ou si elle est rachetée par un groupe qui ambitionne de monétiser encore davantage ses données ? Aux États-Unis, 23andMe n’est soumis à aucune réglementation sur l’utilisation des profils génétiques.
Telegram reconnaît avoir transmis des informations à la justice
Pendant des années, Telegram s’est vanté de ne pas partager des informations sur ses utilisateurs aux autorités judiciaires. “Cela n’est jamais arrivé”, assurait encore l’application de messagerie il y a quelques semaines dans sa politique de confidentialité. En réalité, pourtant, elle a bien communiqué les adresses IP et les numéros de téléphone de personnes suspectées d’un crime, selon des rapports de transparence qu’elle a (enfin) commencé à publier la semaine dernière. Une pratique qui a débuté avant même l’arrestation en France puis la mise en examen, début septembre, de son fondateur et patron Pavel Durov. Depuis quand ? Impossible à savoir, car les chiffres partagés ne concernent que l’année en cours. S’ils font état d’un petit nombre de cas, ceux-ci démontrent cependant les mensonges de Telegram.
Près de 700 personnes – En France, Telegram a ainsi répondu à 220 réquisitions judiciaires, concernant près de 700 personnes, depuis le début de l’année. Ce chiffre cache cependant deux réalités: dix dossiers au premier semestre et 210 sur le seul troisième trimestre. Pavel Durov explique que cette forte hausse concerne tous les pays européens, qui ont commencé à utiliser “la bonne ligne de communication pour leurs demandes”. La coïncidence avec ses déboires judiciaires en France, où il est accusé de complicité de diffusion d’images pédopornographiques et de trafic de stupéfiants, est cependant troublante. Quatorze requêtes ont été acceptées aux États-Unis. Et près de 7.000 en Inde, le pays où la société compte le plus d’utilisateurs et où le gouvernement n’hésite pas à bloquer les applications qui ne respectent pas ses ordres.
Pas que le terrorisme – Pour tenter de nuancer la portée de cet aveu, Pavel Durov assure que “pas grand-chose n’a changé” depuis son arrestation. Il souligne que la politique de confidentialité de Telegram indique, depuis 2018, que des informations personnelles peuvent être divulguées à la justice “dans la plupart des pays”. Certes, mais le texte mentionnait également que la société ne collaborerait que dans les affaires terroristes. Et il assurait qu’elle n’avait jamais eu à le faire. Deux mensonges. Non seulement Telegram a bien transmis des données, mais aussi pour d’autres types d’activités criminelles. En Inde par exemple, une grande partie des réquisitions judiciaires concernent des dossiers de violation du droit d’auteur. Fin septembre, la société a modifié sa politique de confidentialité pour “limiter la confusion”.
Chiffrement – En revanche, Telegram affirme toujours n’avoir “divulgué zéro octet de messages”. L’application explique avoir trouvé une parade: les données des conversations sont divisées puis stockées dans plusieurs pays. “En conséquence, plusieurs ordonnances judiciaires provenant de différentes juridictions sont nécessaires pour nous contraindre à divulguer des données”, avance-t-elle. Derrière cette affirmation, se cache un autre arrangement avec la vérité. Si elle se présente comme la seule application de messagerie véritablement sécurisée, l’entreprise n’implémente pas par défaut le chiffrement de bout-en-bout des conversations, à l’inverse de sa rivale Signal mais aussi de WhatsApp et iMessage. Celui-ci doit être activé manuellement par les utilisateurs. Et il n’est pas disponible pour les discussions de groupe.
Pour aller plus loin:
– Telegram se résout à collaborer avec la justice
– L’arrestation de Pavel Durov en France fragilise l’avenir de Telegram
La plateforme de crédit Younited va entrer en Bourse
Plus de deux ans après Deezer, la French Tech va enfin enregistrer une nouvelle introduction en Bourse. Lundi, Younited a officialisé sa fusion avec une SPAC, un véhicule d’investissement qui permet d’accéder plus facilement et plus rapidement aux marchés – comme l’avait d’ailleurs fait l’offre de streaming musical. L’opération est attendue avant la fin de l’année. Elle valorisera cependant la plateforme de crédit aux particuliers nettement en dessous du milliard de dollars, barre qu’elle expliquait avoir franchie lors de sa dernière levée de fonds à l’été 2021. Depuis, l’euphorie autour des start-up s’est largement dissipée. Et Younited n’est toujours pas rentable – elle prévoit de l’être d’ici à la fin de l’année prochaine. L’an passé, l’entreprise a perdu 51 millions d’euros. Elle a aussi accordé 30% de crédits en moins, à 1,1 milliard d’euros. Dans le cadre de cette entrée en Bourse, elle va récupérer entre 150 et 200 millions d’euros de liquidités, cédant pour cela 40% de son capital à la SPAC. Soit une valorisation allant de 375 à 500 millions.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi l’introduction en Bourse de Deezer a fait pschitt
– Les incertitudes politiques fragilisent encore un peu plus la French Tech
Crédit photos: 23andMe - Unsplash / Christian Wiediger