Ciblée par les États-Unis, la Chine lance la riposte
Pekin riposte (enfin) à Washington. Et dégaine un nouveau plan d’investissements, le troisième en dix ans, pour son industrie des semi-conducteurs. Celui-ci est doté d’une enveloppe de 344 milliards de yuans (44 milliards d’euros), apportée par l’État et par des entreprises, essentiellement publiques. C’est autant que le montant combiné des deux premières phases, initiées en 2014 et en 2019. Et équivalent aux Chips Act européen et américain. L’objectif de cette tranche diffère cependant des précédentes, symbole des progrès du pays mais aussi de la nouvelle réalité qu’il affronte depuis l’entrée en vigueur d’importantes sanctions américaines il y a un an et demi. La Chine souhaite désormais remonter dans la chaîne, en produisant des galettes de silicium, des gaz industriels et produits chimiques, et des machines de lithographie.
Construction d’usines – Le premier plan, lancé peu après l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, s’inscrivait dans l’initiative “Made in China 2025”, visant à transformer le pays en acteur majeur dans le domaine des technologies de pointe. Le gouvernement ambitionne alors d’accroître drastiquement les capacités de production de semi-conducteurs, face à la domination de Taïwan et de la Corée du Sud, pour couvrir 70% des besoins nationaux. Une mission renforcée cinq ans plus tard, alors que les premières tensions émergent avec les États-Unis. Pékin a donc financé de nombreux projets de construction d’usines. Le fondeur SMIC, devenu le numéro trois mondial du secteur, et le spécialiste des puces mémoires Yangtze Memory en ont été les principaux bénéficiaires. Mais les objectifs initiaux n’ont pas été atteints.
Sanctions – À partir de 2020, les ambitions de Pékin se sont heurtées aux mesures prises par Washington. Les États-Unis ont d’abord sévèrement sanctionné SMIC et Huawei. Ils ont ensuite mis en place d’importantes restrictions d’exportation vers la Chine des puces les plus avancées, comme les cartes graphiques de Nvidia dédiées à l’intelligence artificielle, et des équipements permettant de les produire. L’an passé, la diplomatie américaine a même convaincu les Pays-Bas et le Japon de s’aligner sur ces sanctions. Cela signifie que les producteurs chinois ne peuvent plus se fournir auprès des principaux équipementiers, comme les américains Applied Material et Lam Research, le néerlandais ASML ou le japonais Tokyo Electron. L’impact de ces mesures sera progressif, car les usines conservent les équipements déjà achetés.
Risque majeur – Depuis 2015, l’industrie chinoise s’est développée, comme l’illustrent les derniers smartphones de Huawei qui intègrent pratiquement que des composants fabriqués par des acteurs locaux. Le groupe de Shenzhen a aussi réalisé des progrès majeurs, notamment en concevant et en produisant, avec l’aide de SMIC, un nouvel accélérateur d’IA. Mais la situation n’est pas tenable à long terme pour la Chine: sans accès aux équipements étrangers, elle risque de se retrouver exclue des avancées technologiques. Son nouveau plan d’investissements doit lui permettre de se mettre à l’abri de Washington. La tâche s’annonce cependant complexe, car les groupes nationaux partent de très loin. Par exemple, la machine de lithographie chinoise la plus avancée peut graver des puces en 28 nm, quand le taïwanais TSMC grave en 3 nm.
Pour aller plus loin:
– Les États-Unis multiplient les subventions pour relancer la production de puces
– L’Europe va investir 43 milliards d’euros dans les puces
Elon Musk lève six milliards de dollars pour concurrencer ChatGPT
Dans sa bataille contre OpenAI, Elon Musk peut compter sur ses soutiens les plus fidèles. Lundi, sa start-up xAI a officialisé une levée de fonds de six milliards de dollars, apportés notamment par les fonds de capital-risque Sequoia et Andreessen Horowitz, qui avaient déjà aidé le milliardaire à financer le rachat de Twitter. Le fonds saoudien Kingdom Holding, deuxième actionnaire du réseau social, fait aussi partie des investisseurs. Fondé l’an passé et désormais valorisé à 18 milliards, xAI avait déjà mené un premier tour de table, dont le montant annoncé d’un milliard n’a jamais été confirmé. La société se retrouve désormais avec un trésor de guerre similaire à celui engrangé par Anthropic, mais encore deux fois moins élevé que la trésorerie théorique – en partie constituée de crédits cloud – d’OpenAI, le concepteur de ChatGPT.
En retard – Sur le plan technologique en revanche, xAI reste encore loin derrière. Certes, elle a lancé l’an passé son premier grand modèle de langage, baptisé Grok et disposant d’un “accès en temps réel” aux messages publiés sur X, l’ancien Twitter, ce qui doit lui permettre de générer ses réponses à partir d’informations récentes. Mais sa dernière version, publiée fin mars, affiche des performances inférieures à ses principaux rivaux, selon les comparaisons postées sur le site Internet de la start-up. En outre, le modèle n’est pas encore multimodal, c’est-à-dire qu’il ne peut comprendre et générer que du texte – une version multimodale a été dévoilée en avril mais elle n’est pas encore disponible. xAI est aussi à la traîne en termes d’usage, alors que Grok est toujours réservé aux utilisateurs payants de Twitter.
100.000 GPU – Face à des concurrents qui avancent à un rythme effréné, xAi promet d’utiliser les fonds récoltés pour concevoir des “produits excitants”, pour “accélérer” la recherche et pour embaucher des ingénieurs et des chercheurs. L’entreprise souhaite aussi investir massivement dans sa propre architecture informatique, quand la plupart des acteurs du secteur préfèrent, au contraire, passer par des plateformes de cloud. Le mois dernier, Elon Musk soulignait que l’entraînement de Grok 2 allait nécessiter l’équivalent de 20.000 H100, la carte graphique de référence de Nvidia. Et pour Grok 3, la puissance informatique devra atteindre 100.000 GPU, soit un investissement d’environ 2,5 milliards de dollars. Selon The Information, le milliardaire souhaite en particulier bâtir le superordinateur d’IA le plus puissant du monde.
Contre l’IA “woke” – Elon Musk s’intéresse à l’intelligence artificielle depuis des années. En 2015, il faisait partie des fondateurs d’OpenAI, avant de claquer la porte quatre ans plus tard, en raison de batailles internes sur la gouvernance. Avec xAI, ses ambitions seront d’abord commerciales, alors que l’IA générative devrait devenir un marché important: comme ses rivales, la start-up pourrait proposer ses modèles aux entreprises qui souhaitent développer de nouvelles applications. Mais l’objectif du milliardaire est aussi politique, alors qu’il s’est déjà plaint que ChatGPT et ses rivaux étaient trop “woke” – un terme péjoratif pour désigner ceux qui luttent contre les discriminations. En clair, son IA générative doit être, comme il veut le faire depuis le rachat de Twitter, le garant d’une liberté d’expression qu’il juge menacée.
Pour aller plus loin:
– La face cachée d’OpenAI, rattrapé par de multiples polémiques
– Elon Musk dévoile son robot humanoïde
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