OpenAI fait un (petit) pas vers l’Europe
Et aussi: Huawei prépare sa revanche - Lourde amende contre TikTok
En ouvrant un bureau en Irlande, OpenAI fait un (petit) pas vers l’Europe
Fin mai, Sam Altman, le patron d’OpenAI, avait suscité un tollé à Bruxelles, en menaçant de quitter le continent en cas d’une réglementation trop stricte sur l’intelligence artificielle générative – avant de rétropédaler dès le lendemain et d’assurer que ses propos avaient été mal compris. Quatre mois plus tard, la start-up américaine, qui a conçu le robot conversationnel ChatGPT et le générateur d’images DALL-E, va ouvrir un bureau à Dublin, où sont déjà installés quasiment tous les géants américains du numérique. Un petit bureau certes, qui comptera moins de dix employés au départ. Mais cette annonce symbolise un premier pas vers l’Union européenne. Et la prise de conscience qu’il faut mieux travailler avec les régulateurs, plutôt que de s’engager dans une bataille frontale avec eux.
“Influencer Bruxelles” – Installée à San Francisco, OpenAI s’était déjà implantée à Londres au début de l’été. Son bureau irlandais sera le premier au sein de l’Union européenne. La société propose neuf postes à Dublin. Elle recherche un directeur des affaires juridiques, qui devra “s’assurer de la mise en conformité avec les régulations européennes”, comme l’AI Act et le Digital Services Act. Le premier texte vient d’être adopté par le Parlement, ouvrant une période de négociations avec le Conseil et la Commission. Il devrait notamment imposer la mise en place d’un système d’identification des contenus créés par l’IA. Le second texte est déjà partiellement entré en vigueur, et il s’appliquera à OpenAI en février 2024. Le nouveau responsable de la start-up devra, par ailleurs, “influencer les politiques européennes”.
Pas le siège européen – OpenAI précise que ce bureau ne sera pas son siège social européen. Cette distinction, apparemment banale, entraîne deux répercussions majeures dans le cadre du Règlement général sur la protection des données (RGPD). D’abord, la start-up ne sera toujours pas soumise au régime du guichet unique, qui prévoit que les entreprises non européennes soient régulées par l’autorité du pays où est installé leur siège, généralement la DPC irlandaise. Cela signifie qu’elle peut être poursuivie par n’importe quel régulateur du continent. En contrepartie, OpenAI échappe à certaines obligations, en particulier à celle de mener des études d’impact avant de lancer de nouveaux produits. Ce lourd processus a été à l’origine de la sortie décalée en Europe de Bard, le concurrent de ChatGPT développé par Google.
Double discours – Ces derniers mois, Sam Altman tient un double discours sur le rôle des autorités face au progrès rapide de l’IA générative, demandant l’aide des gouvernements puis s’inquiétant du risque de “surréglementation”. Le patron d’OpenAI milite aussi pour la création d’une autorité internationale, mais qui ne se pencherait que sur les prochains services d’IA. Et pas sur les modèles actuels. De fait, ses multiples propositions semblent avoir pour objectif de limiter au maximum la régulation du secteur. Voire d’en profiter. Il s’est, par exemple, prononcé pour un système de licence délivrée aux entreprises développant des modèles sophistiqués. Une idée qui pourrait handicaper les petites start-up et les projets open source, concurrents potentiels du créateur de ChatGPT.
Pour aller plus loin:
– Le double discours d’OpenAI sur la régulation de l’IA
– ChatGPT fait perdre plus de 500 millions de dollars à OpenAI
Comment Huawei a pris sa revanche sur les États-Unis
La date n’a pas été choisie au hasard. Et illustre l’enjeu géopolitique de l’événement. Le 25 septembre, Huawei va officiellement présenter le Mate 60 Pro, son premier smartphone 5G depuis l’entrée en vigueur des sanctions américaines en 2020. C’est deux ans jour pour jour après la libération de Meng Wanzhou, la fille du fondateur Ren Zhengfei, arrêtée puis placée en résidence surveillée au Canada pendant trois ans, à la demande des autorités américaines qui l’accusaient d’avoir contourné l’embargo contre l’Iran. L’ancienne directrice financière, qui assure pour quelques jours encore la présidence tournante de la société, avait eu le droit à un retour triomphal. Pour Huawei, comme pour Pékin, le Mate 60 Pro n’est ainsi pas qu’un simple smartphone. C’est une revanche sur Washington. Et un avertissement aussi.
Bond technologique – Dans son invitation, Huawei promet de dévoiler de nombreux produits. Mais tous les regards seront tournés vers son dernier smartphone, au cœur de nombreuses spéculations depuis son lancement en toute discrétion fin août. En plus d’être compatible avec la 5G, l’appareil est surtout équipé du premier système sur puce (SoC) gravé, à grande échelle, en 7 nm par un producteur chinois – SMIC, le premier fondeur du pays –, affirme le cabinet TechInsights. Un bond technologique majeur pour le pays, limité depuis près d’un an par les États-Unis dans sa capacité à acheter des puces avancées et les équipements nécessaires à leur production. Un bond qu’aucun observateur du secteur n’avait anticipé, estimant que les spécialistes chinois comptaient des années de retard sur les groupes étrangers.
Seulement deux ans de retard – Depuis fin août, les progrès rapides de la Chine suscitent le scepticisme. Mais le cabinet SemiAnalysis se montre, lui, très impressionné. La puce, conçue par la filiale HiSilicon de Huawei, est “techniquement incroyable”, explique-t-il dans une analyse publiée la semaine dernière, soulignant qu’elle ne compte pas quatre ou cinq générations de retard, comme certains le pensent. Elle affiche des performances de puissance et de consommation d’énergie similaires aux SoC lancés il y a deux ans par Qualcomm, dont les gravures sont plus fines. Le processus de fabrication qu’aurait utilisé SMIC est “meilleur que la plupart des gens en Occident ne le réalisent”, assure SemiAnalysis. Le cabinet remet aussi en cause les doutes sur le taux de rendement et sur les capacités de production.
Échec des sanctions – Encore plus impressionnant, SemiAnalysis estime que SMIC pourra bientôt réaliser des gravures en 5 nm pour un surcoût de seulement 20%, même sans système de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême, dont l’exportation vers la Chine est interdite. Une évolution “inquiétante”, estime le cabinet, qui illustre les failles, voire l’échec, des sanctions. Celles-ci n’ont pas dissuadé SMIC de fournir des puces à Huawei, sans autorisation de Washington. Ni empêché l’industrie chinoise d’être capable de fabriquer 90% des composants d’un smartphone haut de gamme, comme le Mate 60 Pro. En outre, l’embargo sur les machines serait inefficace, selon SemiAnalysis: les outils utilisés pour graver en 28 nm, la limite fixée par les États-Unis, permettent aussi de graver en 7 nm.
Pour aller plus loin:
– Meng Wanzhou prend la tête d’un Huawei redevenu ambitieux, mais toujours menacé
– En Chine, Apple n’est plus épargné par les autorités
TikTok condamné en Europe pour ne pas avoir bien protégé les mineurs
Jusqu’à présent, la Data Protection Commission n’avait imposé de lourdes amendes qu’à Meta dans le cadre du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Vendredi, la Cnil irlandaise, l’autorité de référence de l’essentiel des géants du numérique, a épinglé un autre gros à son tableau de chasse: TikTok, sanctionné d’une amende de 345 millions d’euros. L’application de courtes vidéos a été punie pour ne pas avoir suffisamment protégé les mineurs, dont les comptes étaient, jusqu’en 2020, paramétrés par défaut comme publics, permettant à tous les utilisateurs de consulter les vidéos postées. Il est également reproché à TikTok d’inciter les mineurs à rendre leur profil public par l’intermédiaire de dark patterns (interfaces trompeuses), une pratique que l’application va devoir modifier. Ces sanctions ont, en partie, été poussées par le Comité européen de la protection des données (CEPD), qui regroupe tous les régulateurs du continent. Et qui avait estimé que les conclusions initiales de la DPC étaient trop clémentes. Une deuxième affaire sur le transfert de données vers la Chine reste en cours.
Pour aller plus loin:
– Facebook condamné à une amende record de 1,2 milliard d’euros
– Un État américain interdit TikTok, une première
Crédit photos: Flickr / Alpha Photo - Huawei