Coup de massue pour l'IA en Chine
Les États-Unis renforcent leurs restrictions d'exportation
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Les États-Unis interdisent à Nvidia d'exporter ses puces d'IA vers la Chine
Nvidia pensait avoir trouvé la parade pour continuer à vendre en Chine ses cartes graphiques (GPU) dédiées à l’intelligence artificielle, malgré les restrictions sur les exportations. Mais Washington vient de refermer la faille dans laquelle le leader incontesté du marché s’était engouffré. Mardi, le département du Commerce a annoncé un élargissement de ses sanctions. Dans quelques semaines, les groupes chinois ne pourront donc plus, légalement et en l’absence d’autorisation gouvernementale délivrée aux compte-gouttes, se fournir en puces indispensables pour les derniers modèles d’IA générative. L’administration américaine justifie ces mesures par la volonté de protéger sa “sécurité nationale”, en s’assurant que des technologies américaines ne puissent pas servir les intérêts militaires de Pékin.
Puces moins puissantes – Il y a un an, Washington avait pris des dispositions drastiques pour limiter les exportations vers la Chine de puces avancées et d’équipements nécessaires à leur production. Ces restrictions affectent notamment les derniers GPU de Nvidia, considérés comme les plus performants dans le domaine de l’intelligence artificielle. La société avait riposté en lançant deux nouvelles puces, déclinaisons de ses produits phare, l’A100 et la plus récente H100. Baptisées A800 et H800, celles-ci restent capables d’entraîner des modèles, accusant simplement un petit déficit de performances. Mais elles ne correspondaient pas aux critères fixés, jusqu’à présent, par les États-Unis. Tencent, Alibaba, Baidu ou encore ByteDance ont ainsi passé d’importantes commandes auprès de Nvidia.
Filiales étrangères – Les nouvelles mesures visent aussi à refermer d’autres brèches. Malgré les précédentes sanctions, il est encore possible d’acheter des A100 et H100 en Chine, révélait récemment une enquête menée par Reuters. Ces composants, vendus deux fois plus cher que le prix catalogue, sont obtenus par des sociétés basées dans d’autres pays. Pour y remédier, les sanctions s’appliqueront désormais aux filiales étrangères des entreprises chinoises. Et aussi à une quarantaine de pays alliés de Pékin, susceptibles de servir d’intermédiaires. Washington va également contraindre les fabricants de semi-conducteurs à les informer de la vente de puces qui ne sont pas visées actuellement, mais dont l’usage pourrait être détourné vers l’IA. Des demandes d’autorisations pourraient ainsi leur être imposées.
Le cloud pas concerné – En attendant une hypothétique puce locale, les groupes chinois risquent d’éprouver des difficultés pour poursuivre leur développement dans l’IA. Certes, ils ont constitué des stocks – selon le Financial Times, Nvidia devrait livrer 100.000 A800 cette année à Alibaba, Tencent, ByteDance et Baidu. Mais leur niveau ne pourrait pas suffire pour faire tourner les modèles existants et continuer d’en concevoir de nouveaux. Surtout, ces sociétés seront exclues des prochaines évolutions des GPU, dont les gains de puissance doivent permettre de réduire les coûts d’entraînement et d’inférence. Il leur reste une alternative: passer par des plateformes de cloud étrangères, qui peuvent se fournir auprès de Nvidia. Et qui ne sont pas, pour le moment, concernées par les restrictions américaines.
Pour aller plus loin:
– Avec son dernier smartphone, Huawei déjoue les sanctions américaines
– Les Pays-Bas et le Japon s’alignent sur les sanctions contre la Chine
Avec son nouveau modèle d’IA, Baidu assure “ne pas être inférieur” à ChatGPT
Hasard malheureux du calendrier pour Baidu. Mardi, le moteur de recherche chinois a célébré ses dernières avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle générative, à peine quelques heures avant l’officialisation de nouvelles sanctions américaines qui devraient grandement contrarier ses ambitions dans le domaine. Lors de sa conférence annuelle organisée à Pékin, il a dévoilé la quatrième version de son grand modèle de langage Ernie. Une IA qui “n’est inférieure en aucun point à GPT-4”, la dernière évolution du modèle sous-jacent de ChatGPT, promet son patron Robin Li, mettant en avant “une série de mises à jour importantes dans les capacités de compréhension, de génération, de raisonnement et de mémorisation”, selon des propos rapportés par le South China Morning Post.
45 millions d’utilisateurs – Ernie a été dévoilé en mars, moins de six mois après les débuts de ChatGPT. Il s’agissait alors du premier grand modèle de langage chinois. Sa première démonstration, entièrement préenregistrée, avait peu impressionné. Baidu assure depuis avoir rattrapé son retard sur le pionnier américain. En juin, il expliquait avoir dépassé les capacités de GPT-3.5. En août, la société a reçu le feu vert de Pékin pour lancer son premier robot conversationnel, baptisé Ernie Bot. Deux mois plus tard, il compte 45 millions d’utilisateurs, soit un quart de l’audience conquise par ChatGPT en presque un an. Baidu, qui cherche à se réinventer après des années marquées par un manque d’innovations, a aussi intégré son modèle à plusieurs services maison, comme son moteur de recherche et ses cartes.
130 modèles chinois – Si Baidu semble le groupe chinois le plus avancé, il n’est pas le seul à miser gros sur l’IA générative. Comme leurs homologues américains, les géants technologiques du pays multiplient en effet les annonces. Les mastodontes Alibaba et Tencent possèdent leur grand modèle de langage, qu’ils promettent, eux aussi, d’ajouter à leurs différents services. SenseTime, le très controversé spécialiste de la reconnaissance faciale, est également très actif. Et de nombreuses start-up se sont lancées sur le secteur. Malgré les restrictions d’exportation de cartes graphiques, essentielles pour entraîner et faire tourner les IA, au moins 130 grands modèles de langage ont été conçus en Chine, selon les décomptes des analystes du courtier CLSA. Seuls les États-Unis font légèrement mieux.
Respecter la censure – Toutes ces entreprises font face à une contrainte supplémentaire: “préserver les valeurs socialistes fondamentales” et ne pas alimenter la “subversion” du régime, selon les règles établies en début d’année par la très puissante administration du cyberespace chinois (CAC). Autrement dit: se soumettre à la censure. Ernie Bot prend ainsi les devants. Il ne répond pas aux questions portant sur le massacre de la place Tiananmen ou sur la répression de la minorité Ouïghours. Et il coupe rapidement court aux discussions sur le président Xi Jinping. Éviter les réponses inappropriées reste cependant un défi, car les IA génératives ne cherchent pas la meilleure réponse dans la gigantesque base de données qui les alimente. Elles la “prédisent” et peuvent donc facilement déraper.
Pour aller plus loin:
– En Chine, l’intelligence artificielle au défi de la censure
– Les coûts de l’IA menacent de freiner son adoption
Crédit photos: Nvidia - Baidu