En empêchant Epic de lancer un app store, Apple défie Bruxelles
Apple a attendu le dernier moment. Mercredi, à la veille de l’entrée en vigueur du Digital Markets Act européen, le groupe a la pomme a suspendu le compte développeur d’Epic Games, avec lequel il est en conflit depuis des années. Conséquence: l’éditeur du jeu vidéo Fortnite ne pourra pas lancer une boutique d’applications mobiles sur le système iOS, concurrente de l’App Store, comme il prévoyait de le faire en vertu de cette nouvelle réglementation qui vise à renforcer la concurrence dans le numérique. Une décision radicale qui ne manquera pas de faire parler, alors que les mesures annoncées en janvier par Apple pour se mettre en conformité avec le DMA suscitent de nombreuses critiques. Mercredi, la société a certes consenti à quelques assouplissements. Mais elle s’expose toujours à de potentielles sanctions de Bruxelles.
Deux procès – Le conflit a commencé en 2020, quand Epic a ajouté son propre système de paiement pour les achats effectués sur Fortnite. Une violation délibérée des règles de l’App Store qui s’est traduite par le retrait du jeu. L’éditeur avait alors immédiatement lancé une action en justice, dénonçant les “pratiques anticoncurrentielles et monopolistiques” d’Apple, qui obligent les développeurs à lui verser des commissions de 30%. Deux procès ont suivi devant la justice américaine, qui ont conclu que le concepteur de l’iPhone ne pouvait pas être considéré comme un monopole. Mais qui lui ont aussi imposé de mettre un terme à sa pratique d’anti-steering, qui interdit aux applications de rediriger les utilisateurs vers un site Internet pour effectuer un achat. Les modifications, très strictes, proposées par Apple sont contestées par Epic.
“Pas l’intention de suivre les règles” – Depuis, la rancœur est tenace entre les deux groupes. Epic pensait bien tenir une revanche grâce au DMA, qui met fin au monopole de l’App Store sur le système iOS. La société travaillait en effet sur un magasin concurrent, permettant ainsi aux possesseurs d’iPhone d’avoir de nouveau accès à Fornite. Conformément aux nouvelles règles d’Apple, elle devait cependant disposer d’un compte développeur, puis obtenir une autorisation. Le groupe à la pomme justifie sa décision par les récentes attaques lancées par Tim Sweeney, le patron d’Epic, et par les précédentes violations des conditions d’utilisation, qui “suggèrent fortement que Epic n’a pas l’intention de suivre les règles”. L’éditeur dénonce, lui, la volonté d’empêcher l’arrivée d’un rival, en violation avec le DMA.
Passer en force – L’attitude d’Apple est risquée. Soutenu par Spotify, Epic avait déjà demandé à Bruxelles d’examiner les nouvelles restrictions imposées dans le cadre du DMA. Le groupe de Cupertino tente en effet de s’engouffrer dans les failles de la réglementation pour préserver au maximum le statu quo, qui lui permet d’engranger des milliards de dollars de profits chaque année. Il va notamment facturer de nouvelles commissions, particulièrement pénalisantes, pour les développeurs qui voudraient utiliser d’autres boutiques. En s’attaquant à Epic, il semble, une nouvelle fois, défier la Commission européenne. Qu’importe si elle vient de lui infliger une amende de 1,8 milliard d’euros. Et qu’importe si Margrethe Vestager, la commissaire à la Concurrence, a assuré mardi qu’elle sera attentive aux magasins d’applications.
Pour aller plus loin:
– Commissions et restrictions: comment Apple veut contrecarrer le DMA
– Face à Epic, Google concède une défaite judiciaire retentissante
TikTok à nouveau menacé d'interdiction aux États-Unis
La troisième tentative sera-t-elle la bonne ? À Washington, des parlementaires américains ont présenté mardi une nouvelle proposition de loi pour forcer le groupe chinois ByteDance à vendre TikTok. Faute de quoi, la très populaire plateforme de courtes vidéos ne pourra plus être présente sur les boutiques d’applications mobiles, l’App Store d’Apple et le Play Store de Google. Autrement dit, elle ne sera pas officiellement interdite aux États-Unis, mais elle ne pourra plus être installée sur de nouveaux appareils, ni même être mise à jour. Cette subtilité doit permettre d’éviter des recours devant la justice américaine, qui avait déjà bloqué un bannissement de TikTok en 2020. Si le texte a reçu le soutien de la Maison Blanche, son adoption définitive reste très incertaine à moins de neuf mois de l’élection présidentielle.
Double inquiétude – La pression autour de TikTok n’est pas nouvelle. Il y a quatre ans, l’administration Trump avait déjà tenté de forcer une vente. L’élection de Joe Biden avait été suivie d’une accalmie, mais seulement temporairement. L’application, qui compte 170 millions d’adeptes aux États-Unis, suscite deux inquiétudes. D’abord, une collecte des données des utilisateurs par le gouvernement chinois. En 2022, une enquête de BuzzFeed News avait montré que des employés de ByteDance avaient eu accès à des données américaines. Ensuite, de potentielles campagnes d’influence menées par Pékin grâce à l’algorithme de recommandations, par exemple pour influencer le résultat d’une élection. L’an passé, TikTok avait d’ailleurs reconnu disposer d’outils permettant de doper la visibilité de certaines vidéos.
Dossier explosif – Le dossier est explosif. D’un côté, l’administration Biden veut se montrer très ferme face à la Chine, comme en témoigne l’élargissement des restrictions d’exportation de puces dédiées à l’intelligence artificielle. Mais de l’autre, peut-elle vraiment bannir une application si populaire, notamment auprès des jeunes, une base importante de son électorat ? Le mois dernier, les équipes de campagne du président américain ont d’ailleurs lancé un compte sur TikTok. Le risque existe aussi pour les élus républicains, alors que la filiale de ByteDance n’a pas hésité à mobiliser ses adeptes pour protester contre une interdiction votée l’an passé dans l’État du Montana. Derrière les grands discours, aucune initiative visant la plateforme n’a ainsi dépassé le stade de simple projet de loi.
Relance des négociations – Face à cette impasse, l’administration américaine a relancé en septembre les négociations avec TikTok sur le projet Texas. Cette proposition, similaire au projet Clover en Europe, prévoit que les données des utilisateurs américains soient exclusivement hébergées aux États-Unis dans le cloud d’Oracle. Et que seuls des employés américains puissent avoir accès aux données sensibles. Washington aura aussi un droit de regard et de veto sur les embauches et sur les changements apportés à l’algorithme et à la politique de modération. Un accord préliminaire avait été trouvé en 2022 avec le puissant Comité sur les investissements étrangers. Mais le dossier, très politique, avait alors buté sur les doutes émis par le département de la Justice et par le FBI.
Pour aller plus loin:
– TikTok, une arme d’influence pour Pékin ?
– Comment un milliardaire américain a sauvé TikTok
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