Reconnu coupable d'abus de position dominante, Google risque un démantèlement
Le procès était historique. Le verdict l’est encore plus. Début août, Google a été reconnu coupable de pratiques anticoncurrentielles par la justice américaine. Le juge chargé de l’affaire a estimé que la société de Mountain View avait ainsi pu maintenir illégalement son quasi-monopole dans la recherche en ligne – elle s’accapare près de 90% du marché aux États-Unis, selon une estimation citée dans le jugement. Et qu’elle avait aussi “pu augmenter les prix des publicités textuelles (les résultats de recherche sponsorisés, ndlr) sans aucune contrainte concurrentielle significative”. Google, qui a décidé de faire appel, risque de se voir imposer d’importants changements pouvant se répercuter sur son chiffre d’affaires. Et aussi un démantèlement, même si ce scénario semble le moins probable.
Accord avec Apple – Ce verdict est l’aboutissement d’une longue procédure, lancée il y a quatre ans sous la présidence Trump. Puis, poursuivie par l’administration Biden. Le département de la Justice reprochait en particulier à Google d’obliger les fabricants de smartphones Android à installer sa barre de recherche, sous peine de ne plus avoir accès à l’indispensable boutique d’applications Play Store. Même chose pour son navigateur Chrome, sur lequel Google est le moteur par défaut. Autre grief: le géant américain a signé une multitude d’accords commerciaux, notamment avec Apple, Samsung et Mozilla, le concepteur de Firefox, pour s’assurer d’être le moteur par défaut de leur navigateur. “Les gens n’utilisent pas Google parce qu’ils n’ont pas le choix, ils l’utilisent parce qu’ils le veulent”, assuraient ses avocats.
“Pouvoir monopolistique” – Cette défense n’a pas convaincu le juge. Il a d’abord estimé que Google avait bien un “pouvoir monopolistique” dans la recherche en ligne et dans les publicités textuelles de recherche. Il a ensuite considéré que les accords commerciaux avaient un “effet significatif” pour protéger son monopole. Autrement dit: la société profite de la position dominante d’Android et de sa puissance financière pour empêcher l’émergence de véritables rivaux, en limitant leur distribution, ce qui ne leur permet pas d’atteindre une taille critique. Selon le juge, cela se traduit par l’absence d’incitation à investir et à innover, à la fois pour les moteurs existants que pour les nouveaux entrants. Ce qui ne fait que renforcer la position de Google, qui peut réinvestir une partie de ses profits liés à la recherche.
Vers un démantèlement ? - Le département de la Justice doit désormais proposer des mesures correctives au juge. Selon Bloomberg, il pourrait militer pour un démantèlement de la société, l'obligeant à séparer son moteur de recherche de Chrome, d'Android ou encore de sa plateforme de publicités AdWords. Un scénario radical que le gouvernement américain avait tenté d'imposer, en vain, à Microsoft en 2000. Plus probablement, les accords commerciaux avec Apple et autres pourraient être interdits. Ou financièrement limités. Un écran de sélection du moteur de recherche par défaut pourrait être imposé sur Chrome et Android, comme c'est le cas en Europe. Et Google pourrait être contraint de partager certaines de ses données avec ses rivaux. Ces remèdes pourraient cependant ne pas être mis en place avant la fin de la procédure d'appel.
Apple, Samsung et Mozilla ont beaucoup à perdre après la condamnation de Google
La condamnation de Google à l’issue de son procès antitrust ne menace pas seulement le moteur de recherche. Il pourrait également faire de nombreuses victimes collatérales, si le juge chargé du dossier décide de lui interdire de nouer des pactes commerciaux avec des fabricants de smartphones, des navigateurs Internet et des opérateurs mobiles. Cette hypothèse est jugée très probable. Dans son verdict, le magistrat a en effet souligné le rôle de ces accords pour maintenir sa position monopolistique dans la recherche en ligne. Les enjeux financiers sont colossaux: selon la justice américaine, la société de Mountain View aurait reversé 26,3 milliards de dollars à ses partenaires en 2021. Un montant qui a probablement grimpé depuis. Apple, Samsung et Mozilla pourraient ainsi perdre une importante source de revenus.
Moteur sur Safari – L’accord le plus important est celui conclu entre Google et Apple. Celui-ci permet au premier d’être le moteur par défaut sur Safari, le navigateur Internet du second, utilisé par la majorité des possesseurs d’iPhone, d’iPad et de Mac. En échange, le groupe à la pomme perçoit un pourcentage des recettes générées par les recherches sur Safari – mais aussi sur le navigateur Chrome de Google. Noué pour la première fois en 2005, ce partenariat est devenu de plus en plus stratégique pour la société, alors que les terminaux à la pomme ont gagné en popularité. Il lui a permis d’éviter qu’un autre acteur ne capte ces recherches – à six reprises, Microsoft a d’ailleurs tenté de prendre sa place pour tenter de doper les parts de marché de Bing. Et aussi d’éviter qu’Apple ne lance un moteur de recherche concurrent.
20% des profits d’Apple – L’accord actuel court jusqu’en 2028, avec une option pour le prolonger de trois ans. La somme versée par Google a longtemps été gardée secrète, mais Apple a reconnu au cours du procès avoir touché 20 milliards de dollars en 2022. Cela représentait 20% de ses profits annuels. Si le juge interdit les pactes commerciaux, la firme de Cupertino aura bien du mal à générer une somme équivalente. Aucun moteur ne pourrait en effet garantir un tel montant. Pas même Microsoft, dont la plateforme publicitaire est moins performante. En outre, lancer un moteur maison s’annonce complexe et risqué – un projet avait été initié en 2018 avant d’être abandonné. Et serait moins lucratif, au moins à court terme. Dans les deux cas, une grande partie des utilisateurs rebasculera immédiatement sur Google, sans aucune commission pour Apple.
Mozilla, grand perdant ? - Google a aussi conclu un partenariat avec Samsung, notamment pour que Chrome soit le navigateur par défaut sur ses smartphones. Ce pacte est estimé à trois milliards de dollars par an. Les trois grands opérateurs mobiles américains sont aussi concernés, pour des montants inconnus. Mais le principal perdant de ce procès antitrust pourrait être Mozilla. Depuis 2017, Google est le moteur de recherche par défaut de son navigateur Firefox. Cet accord est capital pour sa pérennité financière. En 2022, il a rapporté 510 millions de dollars à cette fondation à but non lucratif. Soit plus de 85% de ses recettes. Mozilla pourrait bien nouer un pacte avec un autre moteur de recherche, comme Bing. Mais une expérience interne a montré que plus d'un quart des utilisateurs retourneraient alors rapidement sur Google.
Pour aller plus loin:
– L’IA générative pourrait pousser Google à changer de modèle économique
– Perplexity AI, la start-up qui veut “ringardiser Google”
Aux États-Unis, Google fait face à un deuxième procès antitrust
Déjà condamné pour abus de position dominante dans la recherche en ligne, Google retrouve lundi le département de la Justice devant un tribunal. La société californienne est accusée de pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la publicité en ligne. La plainte porte sur son rôle dans la publicité programmatique, qui s’est imposée ces dernières années comme le modèle dominant sur Internet. Il s’agit d’un système d’enchères aussi complexe qu’opaque qui permet de placer automatiquement des annonces et bannières sur les sites partenaires. Non seulement, le géant américain est le premier acteur de ce gigantesque marché, avec la plateforme Google Ads. Mais il possède aussi les outils les plus utilisés à toutes les étapes du processus. “Google opère simultanément comme vendeur et acheteur, et gère une plateforme d’enchères”, souligne le gouvernement américain, qui souhaite ainsi obtenir le démantèlement de la machine publicitaire de Google. Un tel scénario bouleverserait le marché de la publicité en ligne.
Pour aller plus loin:
– L’Europe enquête sur le pacte secret entre Google et Facebook
– Amazon accélère son offensive dans la publicité
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