Le monumental flop de l'AI Pin
Et aussi: Le Royaume-Uni veut renforcer la concurrence dans l'IA
Démarrage raté pour l'AI Pin, la broche dopée à l'IA qui doit remplacer les smartphones
“Le pire produit que je n’ai jamais testé”. Le constat du Youtubeur vedette Marques Brownlee est brutal. Et n’augure rien de positif pour l’AI Pin, un gadget dopé à l’intelligence artificielle générative, présenté par son concepteur, la start-up américaine Humane, comme le successeur du smartphone. Les reproches, partagés par les autres avis, sont nombreux: temps de réponse à rallonge, réponses fausses, fonctionnalités manquantes, faible durée de vie de la batterie, surchauffe… “Le logiciel n’est pas au niveau où il devrait être”, reconnaît un responsable de la communication de la société, promettant des améliorations à venir. Mais au-delà, la révolution annoncée est loin d’avoir démontré son véritable intérêt. Et elle affiche un prix très élevé, qui ne fait que renforcer les immenses doutes sur son potentiel commercial.
Connecté à ChatGPT – L’AI Pin reprend le principe des assistants vocaux comme Alexa d’Amazon ou le Google Assistant, déjà populaires sur les enceintes et les smartphones. Mais il pousse le principe plus loin: les réponses sont fournies par des robots conversationnels, en particulier ChatGPT, conçu par la start-up OpenAI, dont le patron, Sam Altman, fait partie des actionnaires de Humane. L’AI Pin peut ainsi répondre à des questions – avec les mêmes défauts que ChatGPT: dans une vidéo de présentation déjà peu enthousiasmante, il donnait des informations incorrectes sur la prochaine éclipse solaire. Il peut aussi faire un résumé des mails et messages ratés pendant une journée. Il peut servir de traducteur en temps réel en recréant la voix de l’utilisateur. Et il permet, grâce à sa caméra, d’identifier des objets placés devant lui.
Abonnement mensuel – Disponible aux États-Unis ces prochains jours, avec quelques semaines de retard, l’AI Pin est commercialisé à 699 dollars (657 euros) – aucune information n’a été fournie sur un potentiel lancement à l’international. Ce prix apparaît encore plus important que l’appareil nécessite aussi un abonnement mensuel de 24 dollars, permettant de bénéficier d’appels illimités, d’héberger des photos et vidéos dans le cloud, et surtout de poser autant de questions que souhaité à l’assistant. Cette double tarification peut s’expliquer par la volonté d’Humane de se substituer aux smartphones, et pas uniquement d’être un simple complément. Mais elle reflète également une réalité économique: la start-up doit payer des frais aux services d’IA sur chaque requête effectuée par ses utilisateurs.
Pas d’applications – Lancée en 2018 par deux anciens d’Apple, Humane espère surfer sur deux tendances: la recherche de la prochaine plateforme dominante et l’engouement autour de l’intelligence artificielle générative. Ses dirigeants prévoient de produire 100.000 unités de cette première version – un chiffre qui apparaît extrêmement ambitieux. Avant de voir beaucoup plus grand. Mais au-delà de son prix, l’AI Pin semble encore manquer du plus important: une véritable proposition de valeur. Non seulement la start-up n’a pas dévoilé de killer app, capable de justifier l’achat de son appareil. Mais elle a aussi choisi d’en limiter le potentiel, en ne le dotant pas d’une boutique d’applications. La seule bonne nouvelle pour Humane: les 230 millions de dollars levés, qui devraient lui permettre de survivre à ce démarrage raté.
Pour aller plus loin:
– L’incroyable comeback de Magic Leap
– ChatGPT illustre les promesses de l’IA… et ses limites
Concurrence dans l'IA: “il est important d’agir dès maintenant”
“Il est important d’agir dès maintenant”, assure Sarah Cardell. Dans un discours prononcé la semaine dernière à Washington, la directrice de la Competition and Markets Authority britannique a appelé ses collègues à ne pas reproduire les erreurs du passé. Et donc à se pencher, avant qu’il ne soit trop tard, sur la situation concurrentielle dans le secteur de l’intelligence artificielle générative. “Un petit nombre de grandes entreprises technologiques déjà en position de force sur de nombreux marchés numériques pourraient façonner profondément ces nouveaux marchés au détriment d’une concurrence juste, ouverte et efficace”, redoute-elle. Dans son viseur notamment: un “réseau interconnecté” de plus de 90 partenariats et investissements stratégiques conclus entre des start-up et Microsoft, Google, Amazon ou encore Nvidia.
Microsoft en pionnier – Ces accords font partie des trois risques concurrentiels identifiés par la CMA. Ils prennent souvent la forme d’octroi de crédits cloud, permettant à une start-up d’entraîner ses modèles d’IA, une tâche qui requiert une immense puissance informatique. Ou encore d’accords de distribution, parfois exclusifs. La voie a été ouverte par Microsoft, qui a “investi” indirectement plus de dix milliards de dollars dans OpenAI, le concepteur du robot conversationnel ChatGPT. Depuis, le géant de Redmond est aussi entré dans le capital de la start-up française Mistral. Et il a mis la main sur les équipes d’Inflection AI, par l’intermédiaire d’une opération atypique. Google et Amazon ont injecté plusieurs milliards de dollars dans Anthropic. Et Nvidia, qui fournit les indispensables cartes graphiques, a multiplié les prises de participation.
“Contrôle et influence” – Ces opérations, également étudiées par la Federal Trade Commission américaine et la Commission européenne, ne sont pas forcément négatives. Elles peuvent être un “élément essentiel au succès de développeurs indépendants”, reconnaît Sarah Cardell, en leur offrant les capacités financières ou technologiques dont ils ont besoin – et que peu d’acteurs peuvent leur fournir compte tenu des montants en jeu. Mais la patronne de la CMA craint aussi qu’elles ne se traduisent par “un contrôle et une influence” de ces grandes entreprises sur les principaux acteurs de l’IA, leur permettant non seulement d’influencer les choix stratégiques afin de protéger leurs positions existantes mais aussi d’empêcher l’émergence de nouveaux géants du numérique, pouvant potentiellement rivaliser avec eux sur d’autres marchés.
Échapper aux règles – Ces partenariats représentent cependant un défi nouveau pour les autorités de la concurrence, habilitées à statuer sur des acquisitions et à juger l’impact d’une intégration verticale. D’abord, parce qu’ils sont volontairement “complexes et opaques”, souligne Sarah Cardell, obligeant les régulateurs à réclamer, obtenir puis étudier les bonnes informations. Ensuite, parce qu’ils ont été “structurés pour éviter de tomber dans le champ d’application des règles sur les acquisitions”. Autrement dit, les autorités ne disposeront pas nécessairement de l’arsenal juridique pour bloquer ou réguler ces arrangements, même si elles estiment qu’ils représentent une entrave à la concurrence. Premier élément de réponse attendu: l’issue de l’enquête lancée par la CMA sur le partenariat entre Microsoft et OpenAI.
Pour aller plus loin:
– Microsoft avale la start-up Inflection AI… sans la racheter
– Pourquoi Microsoft et OpenAI sont dans le collimateur des gendarmes antitrust
Crédit photos: Humane - Flickr / Alpha Photo