Comment l'administration Trump menace le cadre européen sur le transfert de données
Déjà vivement contesté, le Data Privacy Framework est plus que jamais menacé. Mais contrairement à ses prédécesseurs, ce n’est pas la justice européenne qui pourrait retoquer ce cadre juridique autorisant le transfert de données vers les États-Unis. Son effondrement pourrait être précipité par l’administration Trump. D’ici à jeudi, Washington doit en effet se prononcer sur le sort du décret signé par Joe Biden qui sert de base légale à cet accord transatlantique. “Il est difficile d’imaginer qu’un décret de Biden, imposé aux États-Unis par l’Europe et régulant l’espionnage américain à l’étranger, puisse survivre à la logique ‘America First’ de Trump”, prédit l’activiste autrichien Max Schrems, à l’origine de la chute des deux prédécesseurs du DPF. Même dans le cas contraire, l’avenir de ce texte resterait, de toute façon, très incertain.
RGPD – Au cœur de longues négociations entre Bruxelles et Washington, le DPF est entré en vigueur en juillet 2023. Il a pris la suite du Privacy Shield, invalidé trois ans plus tôt par la Cour de Justice de l’Union européenne. Celle-ci avait alors estimé que ce texte ne garantissait pas un niveau de protection suffisant, conforme aux exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD), une fois les données envoyées aux États-Unis. Adopté en 2016, le Privacy Shield avait, lui-même, pris la suite de l’accord Safe Harbour, entré en vigueur en 2000 mais retoqué par la justice européenne en 2015. Les deux cadres réglementaires se sont heurtés à plusieurs législations américaines, qui permettent aux autorités et aux services de surveillance de mettre la main sur des données personnelles sans supervision, ni autorisation judiciaire.
Deux menaces – Pour contourner ce problème, Bruxelles assurait avoir obtenu plusieurs garde-fous dans le cadre du Data Privacy Framework. Des mécanismes de contrôle ont ainsi été mis en place. Washington s’est aussi engagé à limiter l’accès aux données européennes par leurs autorités à ce qui est “nécessaire” et de manière “proportionnée”, reprenant la sémantique de la législation européenne. Mais l’annulation du décret signé par Joe Biden remettrait en cause ces garanties, ce qui pourrait alors entraîner la chute du DPF. Dans le cas où Donald Trump choisirait de faire l’inverse, un autre élément menacerait toujours le texte. Fin février, le président américain a remercié trois des cinq administrateurs du comité supervisant l’application du DPF. Une décision qui remet en cause sa capacité à opérer, ainsi que son indépendance vis-à-vis de la Maison Blanche.
Flou juridique – La Commission ne s’est pas encore exprimée sur le sujet. Saisie par des eurodéputés, elle doit cependant prendre position avant le 19 mars. De toute façon, le texte semble déjà destiné à une annulation par la Cour de Justice de l’UE. Face à un potentiel flou juridique, “il est plus crucial que jamais pour les entreprises et organisations d’avoir un plan de contingence de type ‘hébergement en Europe'”, prévient d’ores et déjà Max Schrems. Et de rappeler qu’une invalidation du DPF ne concernerait pas simplement les grandes entreprises américaines, qui transfèrent de nombreuses données vers les États-Unis – à commencer par Meta, sanctionné d’une amende record après l’annulation du Privacy Shield. Elle toucherait aussi les entreprises européennes, en particulier celles qui hébergent des données sur des plateformes de cloud américaines.
Pour aller plus loin:
– Le petit jeu du chat et de la souris de Facebook sur la publicité ciblée
– Mark Zuckerberg demande l’aide de Donald Trump contre Bruxelles
Face à OpenAI, Anthropic continue de lever des milliards de dollars
L’opération était sur les rails depuis plusieurs mois. Lundi, Anthropic a officialisé une nouvelle levée de fonds, d’un montant de 3,5 milliards de dollars. Malgré les doutes provoqués par les avancées de DeepSeek, la start-up américaine spécialisée dans l’intelligence artificielle générative a attiré de nouveaux investisseurs. Elle a même récolté davantage qu’initialement espéré. Et elle a porté sa valorisation à 61,5 milliards de dollars, soit moitié plus que ses ambitions initiales. Entre-temps, Anthropic a aussi récolté quatre milliards auprès d’Amazon, et un milliard auprès de Google. Ces sommes gigantesques doivent lui donner les moyens de poursuivre le développement de ses grands modèles de langage, en augmentant encore sa puissance de calcul informatique. La société évoque aussi la volonté de se développer à l’international.
Principal rival de ChatGPT – Basée à San Francisco, Anthropic a été lancée par plusieurs anciens d’OpenAI, notamment les frère et sœur Dario et Daniela Amodei, qui s’opposaient au rapprochement commercial avec Microsoft. Ils préconisaient également une approche plus prudente du développement de l’IA compte tenu des risques de sécurité. Depuis sa création en 2021, la start-up a levé plus de 18 milliards de dollars. Une grande partie de cette somme a été versée en crédits cloud, lui permettant d’utiliser les serveurs d’Amazon et de Google pour entraîner et faire tourner ses modèles. Elle est ainsi devenue l’un des acteurs les mieux financés sur un secteur qui nécessite (pour le moment ?) beaucoup de liquidités. Avec son chatbot Claude, Anthropic s’est aussi imposée comme l’un des principaux concurrents de ChatGPT d’OpenAI et de Gemini de Google.
Forte croissance – Selon la presse américaine, Anthropic a enregistré une forte croissance de son chiffre d’affaires l’an passé. Celui-ci a dépassé la barre symbolique du milliard de dollars en rythme annualisé fin 2024, soit dix fois plus qu’un an auparavant. Si l’écart s’est réduit, il reste cependant bien inférieur aux recettes générées par OpenAI – 3,7 milliards sur l’ensemble de l’année dernière, et encore davantage en rythme annualisé. Assez similaires en termes de produits, les rivaux divergent sur le modèle économique. Le concepteur de ChatGPT dégage l’essentiel de son chiffre d’affaires des abonnements, aussi bien auprès des particuliers que des entreprises. Les revenus d’Anthropic proviennent, eux, principalement des API, les interfaces de programmation qui permettent à des développeurs d’intégrer ses modèles d’IA dans leurs applications.
Rentable en 2027 ? – Dans ce domaine, Anthropic gagne des parts de marché, profitant notamment de sa position dominante sur AWS, la plateforme de cloud d’Amazon. Celle-ci ne propose en effet pas les modèles d’OpenAI, pour lesquels Microsoft jouissait jusqu’à très récemment de l’exclusivité. Ni ceux de Google qui les réservent à ses clients. Comme les autres, la start-up pourrait cependant faire face à des nouveaux rivaux se basant sur les travaux du chinois DeepSeek, et donc potentiellement plus abordables. Ses dirigeants se montrent cependant très confiants. Selon The Information, ils anticipent un chiffre d’affaires de 12 milliards de dollars en 2027 – et même 34 milliards dans le scénario le plus optimiste. Ils espèrent aussi atteindre l’équilibre à cette date, après des pertes de 5,6 milliards en 2023 et de 3 milliards l’an passé.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi Amazon mise autant sur Anthropic
– Dans l’IA, des start-up prometteuses devenues des start-up zombies
Crédit photos: Flick / Marco Verch - Anthropic