L'investissement record de Nvidia dans OpenAI
Et aussi: Amazon Prime sur le banc des accusés
Nvidia va investir jusqu'à 100 milliards de dollars dans OpenAI
En 2016, Jensen Huang avait livré en personne le premier serveur dédié à l’intelligence artificielle générative chez OpenAI, lancé à peine un an plus tôt. Le patron de Nvidia promet désormais d’investir jusqu’à 100 milliards de dollars dans le concepteur de ChatGPT. Une somme pharaonique, à la hauteur des ambitions démesurées de la société dirigée par Sam Altman. Début septembre, celle-ci a également signé un contrat colossal pour entraîner et faire tourner ses modèles d’IA sur le cloud d’Oracle. Son montant: 300 milliards de dollars sur cinq ans. En contrepartie de l’apport financier de Nvidia, OpenAI s’est engagé à lui acheter jusqu’à cinq millions de cartes graphiques (GPU). Objectif: construire de nouveaux data centers capables de fournir dix gigawatts de puissance – l’équivalent de la consommation d’une ville de près de dix millions d’habitants.
Investissement progressif - Ce "partenariat stratégique" débutera dans un an, avec la livraison de GPU de dernière génération. Ces puces, dont la commercialisation est attendue à la même époque, reposeront sur la nouvelle architecture Rubin, présentée en début d’année par Jensen Huang comme "un énorme pas en avant". Les deux entreprises indiquent par ailleurs qu'elles travailleront ensemble pour "co-optimiser leurs feuilles de route respectives". Et ainsi assurer l’adaptation des puces et logiciels de Nvidia aux besoins d’OpenAI. L'investissement du groupe de Santa Clara sera progressif: dix tranches seront débloquées pour chaque mégawatt de puissance informatique déployée. Le communiqué ne précise cependant pas si ces centres de données seront ceux qui doivent être construits par Oracle pour le compte de la start-up - d'une capacité annoncée de 4,5 gigawatts.
350 milliards pour Nvidia – Cet investissement représente une double opportunité pour Nvidia. D’abord financière: la valeur de sa participation devrait grimper ces prochaines années, à mesure que les progrès de l’IA générative feront gonfler le chiffre d’affaires d’OpenAI. Ensuite commerciale: les 100 milliards de dollars destinés à la start-up lui reviendront indirectement sous la forme d’achats de GPU. En se basant sur les chiffres fournis cet été par Jensen Huang, le déploiement de dix gigawatts de puissance implique des dépenses comprises entre 500 et 600 milliards de dollars. Sur cette somme, environ 350 milliards serviront à acheter des puces et des équipements réseau de Nvidia. Le groupe coupe aussi l’herbe sous le pied de ses rivaux, notamment Broadcom qui vient de signer un contrat avec OpenAI pour concevoir un accélérateur d’IA.
Besoins de trésorerie – L’investissement de Nvidia s’ajoute aux 40 milliards déjà levés par la société de Sam Altman. ll dissipe les doutes sur sa capacité à financer ses dépenses colossales, dont les 300 milliards de dollars prévus à partir de 2027 auprès d’Oracle. Aux 100 milliards s’ajoute une tranche de 20 milliards que le conglomérat japonais SoftBank devrait débloquer en fin d’année. Le cumul des nouveaux financements correspond ainsi aux besoins de trésorerie détaillés dans un document présenté aux investisseurs et obtenu par The Information: 115 milliards de dollars d’ici à 2029 – du jamais vu. À cette date, OpenAI s’attend à devenir rentable, avec un chiffre d’affaires annuel de 200 milliards. Environ 25% doivent venir de “nouveaux produits”, probablement le terminal d’IA que la société va développer avec Jony Ive, l’ex-designer vedette d’Apple.
Pour aller plus loin:
– OpenAI va lever jusqu’à 40 milliards de dollars, un record
– Pourquoi OpenAI recrute la Française Fidji Simo pour épauler Sam Altman
Amazon devant la justice pour avoir trompé les abonnés à Prime
Au cœur d’un imbroglio en mars, le procès aura bien lieu. Lundi, Amazon a retrouvé la Federal Trade Commission devant un tribunal de Seattle. Le géant du commerce en ligne est accusé par le gendarme américain de la concurrence d’avoir “trompé” des millions de consommateurs en les incitant à s’inscrire à son service Prime “à leur insu”. Et d’avoir mis en place un parcours complexe pour annuler cet abonnement payant. Au terme de quatre semaines d’audience, il risque non seulement une sanction financière supérieure à un milliard de dollars, mais aussi une obligation de modifier ses pratiques. Pour sa défense, Amazon souligne que le taux de renouvellement de Prime est particulièrement élevé – autour de 95%, selon les estimations –, symbole de la “valeur” de son offre. Une potentielle condamnation ne devrait ainsi avoir qu’un impact limité sur son activité.
75% des achats – Lancé en 2005, Prime permet d’abord de bénéficier de la livraison gratuite en deux jours ouvrés (un jour en France). Depuis, d’autres services ont été ajoutés pour attirer de nouveaux clients: diffusion d’événements sportifs, catalogue de films et séries en streaming… Le service compterait plus de 220 millions d’abonnés, dont une majorité aux États-Unis. Au fil des ans, il est devenu un pilier de la stratégie de développement d’Amazon. La livraison gratuite incite en effet les clients à acheter davantage en ligne pour rentabiliser leur abonnement. Et elle les fidélise: en commandant sur un autre site marchand, ils pourraient avoir à payer des frais de port. Les abonnés Prime dépensent ainsi en moyenne deux fois plus que les non-abonnés, et représentent 75% des achats, souligne le cabinet Consumer Intelligence Research Partners.
Interfaces trompeuses – La FTC, aussi chargée de protéger les consommateurs, accuse qu’Amazon d’avoir enfreint une réglementation américaine votée en 2010. Elle lui reproche d’avoir mis en place des interfaces trompeuses (dark patterns) pendant le processus d’achat. Par exemple, un gros bouton jaune permettant de finaliser une transaction tout en souscrivant à l’offre d’essai de Prime, tandis que l’alternative est présentée avec un simple lien, bien moins visible. Le régulateur dénonce également les obstacles mis en place pour se désabonner. Un véritable “labyrinthe”, selon lui, de quatre pages, six clics et quinze options différentes. La semaine dernière, le juge a déjà donné raison à la FTC sur un point: il a estimé qu’Amazon n’a pas respecté la loi en collectant les coordonnées bancaires des futurs abonnés avant d’afficher les conditions d’abonnement.
Procès antitrust – La procédure contre Prime a été initiée en 2023, sous la direction de Lina Khan, connue pour ses positions fermes contre le groupe de Seattle. La FTC ne l’a pas abandonnée malgré l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump, que les géants de la tech pensaient plus conciliante. Mais cet espoir ne s’est pas concrétisé. Le gendarme de la concurrence poursuit ainsi la procédure antitrust ouverte contre Amazon, accusé d’avoir instauré un “monopole illégal” dans le commerce en ligne. Il lui reproche en particulier d’interdire implicitement aux vendeurs de sa marketplace d’offrir des tarifs plus bas sur leur propre site ou sur d’autres plateformes, empêchant ainsi l’émergence de véritables rivaux, capables de le court-circuiter sur les prix. Le procès doit s’ouvrir en février 2027, avant de déterminer de potentielles mesures correctives.
Pour aller plus loin:
– Accusé de monopole “illégal”, Amazon n’échappera pas à un procès aux États-Unis
– Comment un algorithme secret a rapporté un milliard de dollars à Amazon
Crédit photos: Nvidia – Unsplash / Wicked Monday




Ce qui se joue derrière ces milliards, ce n’est pas seulement une bataille industrielle : c’est une mutation civilisationnelle. Après Amazon et ses “dark patterns” qui façonnaient nos désirs d’achat, OpenAI et Nvidia s’apprêtent à façonner nos désirs de pensée. Dix gigawatts pour entraîner l’IA, soit la consommation d’une mégapole : on mesure le paradoxe écologique et politique. Comme le rappelait Stiegler, la technique est un pharmakon : promesse de puissance et risque de dépossession. La FTC tente encore d’encadrer le capitalisme des interfaces, mais l’IA avance déjà dans un vide juridique. Ce sont nos constitutions mentales et démocratiques qui sont en jeu, plus que des marchés.