Pourquoi les élections législatives inquiètent la French Tech
Dans les allées de Vivatech, une douce euphorie commençait à regagner les acteurs de la French Tech. Après deux années difficiles, marquées par une chute des levées de fonds, des plans sociaux et des faillites, l’émergence de l’intelligence artificielle générative semblait avoir créé un nouvel élan, salué par Emmanuel Macron, qui pour la première fois depuis son élection n’avait pas fait le déplacement sur le salon. C’était il y a seulement un mois. Une éternité déjà ! Depuis, la dissolution de l’Assemblée nationale, les élections législatives anticipées, dont le premier tour se tient ce dimanche, et la perspective d’un probable changement de majorité suscitent de vives inquiétudes au sein de l’écosystème tricolore. Une peur du vide, qui succéderait à des années de soutien et d’investissements publics.
Investissements étrangers – La “start-up nation” redoute ainsi une baisse des financements publics. Par l’intermédiaire de plans d’investissement, comme le récent France 2030, ou de la mobilisation de capitaux privés sous l’égide de l’État, comme les initiatives Tibi. Mais aussi par l’intermédiaire de Bpifrance, acteur essentiel dans de nombreux tours de table. L’impact pourrait être encore plus marqué pour les fonds étrangers, incontournables pour les levées se chiffrant en dizaines ou en centaines de millions. Certains craignent les propositions économiques du Nouveau Front Populaire. Et tous s’opposent à la volonté du Rassemblement National de contrôler les investissements étrangers. “Je ne vois pas un seul fonds de capital-risque international continuer à investir en France”, anticipe un responsable d’une grande start-up.
Recrutement – L’autre grande crainte des entrepreneurs porte sur de potentielles restrictions de l’immigration. “Il n’est pas souhaitable d’interdire l’immigration légale de talents venant travailler dans des entreprises qui subissent des pénuries de main-d’œuvre”, souligne Maya Noel, qui dirige le lobby France Digitale. Et de rappeler que 20% des start-up ont recours au French Tech Visa, destiné aux ingénieurs et aux entrepreneurs. Et même sans mesure d’interdiction drastique, la French Tech redoute d’être moins attractive dans une compétition internationale accrue pour retenir ou attirer les meilleurs talents. Moins médiatique, l’obligation d’héberger les données sur des clouds français, proposée par le RN, inquiète également. “Impossible pour des entreprises très présentes à l’étranger”, estime le responsable de start-up.
Discuter avec le RN ? – Cette proposition est cependant bien accueillie par une petite partie de la French Tech, qui estime que la souveraineté numérique n’est pas assez mise en avant. Et qui pourrait tirer profit d’une victoire de l’extrême droite. Malgré les craintes d’un gouvernement dirigé par les “extrêmes”, peu de personnalités de l’écosystème se sont exprimées publiquement. Il y a bien eu une tribune publiée par Maya Noel dans Les Échos, appelant la France à ne “pas se replier sur elle-même”. Ou encore un message de Philippe Corot, le patron de Mirakl, pour dénoncer “le repli et la fermeture”. Mais "les autres souhaitent se laisser la possibilité de travailler avec une potentielle majorité”, poursuit notre interlocuteur. Pour beaucoup, la question de discuter avec un potentiel gouvernement RN pourrait rapidement se poser.
Pour aller plus loin:
– La French Tech veut croire à un rebond en 2024
– La French Tech n’échappe plus à la vague de licenciements
Menacée de faillite, la start-up Stability AI trouve enfin des investisseurs
Stability AI ne sera pas la première victime du secteur de l’intelligence artificielle générative. En grandes difficultés financières, la start-up britannique a fini par trouver des investisseurs, notamment Sean Parker, l’ancien président de Facebook, et Eric Schmidt, l’ancien patron de Google. Le montant de cette levée de fonds n’a pas été dévoilé, mais la presse américaine affirme qu’elle se chiffre à 80 millions de dollars. Dans le cadre de cette opération, Stability a aussi nommé un nouveau directeur général, qui prend la suite du fondateur Emad Mostaque, poussé vers la sortie. Selon le Wall Street Journal, elle a également conclu un accord avec des fournisseurs, dont très probablement Amazon Web Services, pour effacer 100 millions de dollars de factures impayées, et pour réduire de 300 millions ses engagements de dépenses.
Besoin de trésorerie – Cette issue favorable intervient trois mois après le départ d’Emad Mostaque, précipité par un de conflit larvé avec le fonds américain Coatue. Et par une situation financière très préoccupante, après l’échec l’an passé d’une levée de fonds qui aurait dû lui permettre de disposer de ressources suffisantes pour financer sa stratégie de croissance. Fondée en 2019 à Londres, Stability a longtemps été l’une des start-up vedette de l’IA générative, avec son générateur d’images Stable Diffusion. Fin 2022, elle avait ainsi recueilli 100 millions de dollars, sur la base d’une valorisation d’un milliard. Depuis, pourtant, les investisseurs ne se bousculaient plus. Sa trésorerie avait donc fondu. Pour payer ses factures, la start-up avait dû se rabattre, il y a un an, sur des prêts convertibles en actions.
Vague de départs – Ces difficultés à lever des fonds pouvaient s’expliquer par une concurrence féroce de la part du laboratoire de recherche américain Midjourney, qui permet de réaliser des images photoréalistes impressionnantes, et de DALL-E, développé par la richissime start-up américaine OpenAI, également à l’origine de ChatGPT. Elles pouvaient aussi provenir des deux procédures judiciaires lancées par un groupe d’artistes et par la grande banque d’images Getty, qui l’accusent d’avoir violé leur propriété intellectuelle pour entraîner le modèle d’IA alimentant Stable Diffusion. La crise couvait aussi en interne. Depuis un an, de nombreux employés ont quitté l’entreprise, notamment le directeur opérationnel et le directeur de la recherche. Au printemps, trois de ses principaux chercheurs se sont ajoutés à cette longue liste.
Nouveau chapitre – Mais l’élément central semblait être la personnalité de son patron. Et ses multiples exagérations et mensonges, notamment autour de la propriété intellectuelle de son modèle, en réalité conçu par une université allemande. Sans Emad Mostaque à sa tête, Stability va pouvoir ouvrir un nouveau chapitre. Mais sa situation financière reste fragile, compte tenu de ses coûts. La nouvelle direction promet désormais “d’accélérer la croissance”. La start-up a déjà entamé une diversification de son activité, lançant des modèles capables de générer du texte, du code et des vidéos. Elle va aussi certainement mettre l’accent sur la monétisation, en particulier auprès des entreprises, un sujet qui ne semblait pas trop intéresser son fondateur. Sean Parker assure cependant ne pas vouloir revenir sur le choix de l’open source.
Pour aller plus loin:
– Après l’euphorie, les craintes d’une bulle autour de l’IA
– En retard sur l’IA générative, Apple négocie avec… Google
Crédit photos: Vivatech - Stability AI