Les coûts exorbitants de l'IA
Et aussi: Microsoft fait plier la CMA - Bruxelles enquête sur Twitter
Les coûts de l'intelligence artificielle menacent de freiner son adoption
Depuis l’an passé, GitHub permet à ses utilisateurs d’utiliser une intelligence artificielle générative pour les aider à écrire du code informatique. Un service payant, facturé 10 dollars par mois, qui rencontre déjà un franc succès – avec plus de 1,5 million de clients. Mais un service qui génère, en réalité, de très lourdes pertes pour cette plateforme en ligne très populaire chez les développeurs, rachetée en 2018 par Microsoft pour 7,5 milliards de dollars. Selon des chiffres obtenus par le Wall Street Journal, ce nouveau service, baptisé Copilot, se traduisait en début d’année par un déficit moyen de 20 dollars par mois et par abonné. Car derrière l’euphorie suscitée par cette nouvelle technologie, dans la foulée du lancement de ChatGPT par la start-up OpenAI, se cachent des coûts très élevés, qui pourraient en limiter le potentiel.
Coûts d’inférence – Les derniers modèles d’IA générative nécessitent en effet une importante puissance informatique, que les acteurs du secteur vont majoritairement chercher auprès des plateformes de cloud de Microsoft, Google ou Amazon. D’abord, pour leur phase d’entraînement qui s’effectue, pendant plusieurs mois, à l’aide de supercalculateurs équipés de centaines ou de milliers de cartes graphiques (GPU). Et ensuite, pour l’inférence: leur exécution pour créer des textes, des images ou des voix. Ces coûts peuvent grimper rapidement à mesure que les services d’IA gagnent en popularité. Et que les modèles sous-jacents gagnent en taille. En février, le cabinet Semi Analysis les chiffrait ainsi à 700.000 dollars par jour pour ChatGPT. Une somme qui a depuis certainement augmenté de manière importante.
Prix élevés - En raison des coûts d'inférence, l'IA générative n'offre pas de véritables économies d'échelle, qui permettraient d'amortir rapidement les frais de développement initiaux. Ces dépenses se répercutent, logiquement, dans les prix. Comptez 20 dollars par mois pour ChatGPT Plus, qui donne accès à la dernière version de son modèle. Et 30 dollars pour les prochains assistants des suites bureautiques de Microsoft et Google. Des tarifs élevés, que les entreprises du secteur tenteront de justifier par les gains de productivité que leurs outils doivent permettre de réaliser. Mais qui ne leur garantissent pas pour autant de dégager des profits. Cette situation pourrait profiter aux gros acteurs, qui peuvent supporter des pertes bien plus élevées. Et qui pourraient ainsi capter l'essentiel du marché.
Modèles plus petits – Ces coûts risquent surtout de limiter l’adoption de l’IA par les développeurs, qui rémunèrent les créateurs de modèles pour chaque requête effectuée par leurs utilisateurs. OpenAI facture, par exemple, jusqu’à 12 cents pour environ 4.000 caractères de texte généré. Cette problématique se posera en particulier pour les applications grand public gratuites, entre coûts additionnels et nécessité de suivre la demande des consommateurs. Pour la résoudre, il faudra remplacer les modèles généralistes, qui affichent plus de paramètres et donc des coûts plus élevés, par des modèles plus petits, dédiés à des besoins spécifiques. Et potentiellement capables de tourner sur un appareil, sans passer par le cloud. Sam Altman, le patron d’OpenAI, prophétise ainsi “la fin de l’ère des modèles géants”.
Pour aller plus loin:
– ChatGPT fait perdre plus de 500 millions de dollars à OpenAI
– La start-up française Mistral AI lance sa première IA générative
Comment Microsoft a fait plier l’antitrust pour mettre la main sur Activision
Ce n’est pas encore tout à fait la fin du feuilleton. Mais le rachat d’Activision Blizzard par Microsoft, pour 69 milliards de dollars, a été finalisé vendredi, près de deux ans après son annonce. Quelques heures plus tôt, la Competition and Markets Authority britannique (CMA) avait donné son feu vert à cette acquisition, la plus importante de l’histoire du concepteur de Windows. Pour mettre la main sur l’un des plus grands éditeurs de jeux vidéo, celui-ci a dû persévérer. Et mettre en place une stratégie très agressive, multipliant les accords commerciaux avec d’autres entreprises et n’hésitant pas à attaquer frontalement les autorités antitrust. L’opération reste contestée aux États-Unis, où la Federal Trade Commission (FTC) ne désespère toujours pas de la remettre en cause, malgré une première défaite judiciaire en août.
La FTC poussée à la faute – Il y a six mois, pourtant, le rachat d’Activision semblait se diriger vers un échec retentissant. À l’époque, le gendarme britannique de la concurrence venait de s’y opposer. Il avait estimé que Microsoft pourrait se retrouver en position dominante sur le marché du cloud gaming, notamment en s’emparant de la franchise à succès Call of Duty. Très compliqué, le processus d’appel au Royaume-Uni sourit rarement aux entreprises ciblées par la CMA. Au lieu d’abandonner, le géant de Redmond a alors joué son va-tout: il a habilement manœuvré pour pousser la FTC à demander une injonction devant un tribunal fédéral américain, jugé plus favorable, plutôt que d’attendre le verdict de son tribunal interne. Un pari gagnant: début juillet, la justice américaine donne raison à Microsoft. Un tournant décisif.
Concessions – Entre-temps, Microsoft a également réussi à convaincre la Commission européenne. Dans les deux cas, la société a mis en avant les contrats signés avec plusieurs de ses concurrents. Elle s’est notamment engagée à publier les prochains Call of Duty sur les consoles de Nintendo pendant dix ans. Et à rendre accessible le catalogue d’Activision sur l’offre de cloud gaming de Nvidia, qui était avant cet accord l’un des principaux opposants à l’opération, avec Sony. En quelques mois, ces concessions ont ainsi permis à Microsoft de fédérer quasiment l’ensemble de l’industrie derrière son projet de rachat, désormais présenté comme bénéfique pour tous. Ses dirigeants ont même réussi à obtenir le soutien du principal syndicat américain du secteur, leur promettant de pouvoir créer des syndicats chez Activision.
Brad Smith à la baguette – Ne restait alors plus que la CMA à convaincre. Une CMA encore plus isolée en juillet, quand Sony signe finalement un accord avec Microsoft. Face au gendarme britannique, Microsoft va multiplier les messages virulents, sous la houlette notamment de son président Brad Smith. “Les tactiques employées par Microsoft ne sont en aucun cas un moyen de s’engager avec la CMA”, dénonce Sarah Cardell, sa patronne. Mais la stratégie fonctionne. Début août, le régulateur accepte de rouvrir le dossier – une décision extrêmement rare. Microsoft fait alors une dernière concession, cédant les droits des jeux Activision dans le cloud à l’éditeur français Ubisoft. Désormais officiel le rachat peut encore, théoriquement, être défait par la FTC. Mais ses chances de réussite apparaissent désormais très faibles.
Pour aller plus loin:
– Comment la CMA est devenue la nouvelle bête noire des géants de la tech
– Accusé de position dominante dans le cloud, Microsoft promet des concessions
Twitter, première entreprise ciblée dans le cadre du DSA européen
La Commission européenne accentue la pression sur X, le nouveau nom de Twitter. Après un premier rappel à l’ordre, elle a adressé, jeudi, une demande d’informations au réseau social sur les efforts qu’il met en place pour limiter les contenus illégaux et la désinformation autour de l’attaque du Hamas et de la riposte d’Israël. Cette démarche s’inscrit dans le cadre du Digital Services Act (DSA), qui impose depuis fin août de nouvelles obligations en matière de modération. Bruxelles pourra ensuite décider de déclencher une enquête formelle, qui pourra déboucher en cas d’infraction sur une amende pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires mondial. En dernier recours, la législation permet de saisir la justice pour lancer une procédure d’exclusion du marché européen pour des violations répétées. La semaine dernière, la Commission a également rappelé à l’ordre Meta, la maison mère de Facebook, et TikTok.
Pour aller plus loin:
– Le DSA européen affronte son premier test d’envergure
– Pourquoi Zalando attaque le DSA devant la justice européenne
Crédit photos: Flickr / Alpha Photo - Activision