Des milliards pour l'IA... et rien d'autre
Et aussi: Elon Musk veut racheter (en partie) OpenAI
Comment le sommet sur l’IA s’est transformé en opération de promotion de la France
Officiellement, le sommet sur l’IA, qui se termine ce mardi au Grand Palais à Paris, visait “à renforcer l’action internationale en faveur d’une intelligence artificielle au service de l’intérêt général”, selon la description faite par l’Élysée. Dans les faits cependant, ces derniers jours ont surtout ressemblé à une vaste opération de promotion de la France, qui se rêve en championne du secteur aux côtés des États-Unis et de la Chine, savamment mis en musique par la présidence de la République. En témoigne, l’interview d’Emmanuel Macron diffusée dimanche soir sur France 2, dans laquelle il a annoncé un plan d’investissement de 109 milliards d’euros, comme une réponse au projet Stargate, présenté le mois dernier à la Maison Blanche. En témoigne aussi une déclaration finale qui ne devrait pas s’attarder sur les risques.
Retour en arrière – Ce texte, dont une version préliminaire a été publiée par la newsletter Transformer, pourrait ainsi marquer un important retour en arrière (ou une avancée pour certains) par rapport au sommet organisé en juin 2023 au Royaume-Uni. “Parallèlement aux opportunités, l’IA présente également des risques importants”, expliquait alors la déclaration commune, qui mentionnait les risques à dix-huit reprises. Et qui appelait à des “efforts internationaux” pour limiter l’impact négatif de la technologie. Cette évolution épouse les revirements de la France. D’abord favorable à une réglementation du secteur, Paris s’est ensuite opposé avec vigueur à certaines dispositions de l’AI Act, reprenant les réserves émises par la start-up française Mistral AI – et par son lobbyiste, Cédric O, l’ancien secrétaire d’État au numérique.
Course effrénée – Depuis 2023, le contexte a aussi beaucoup changé. Les grands acteurs du secteur, à l’image d’OpenAI, se sont lancés dans une course effrénée vers l’IA générale, c’est-à-dire capable d’apprendre seule, sans vraiment se soucier des risques systémiques. Ils ont entraîné derrière eux tous les autres, obligés de suivre le rythme. Et les gouvernements, bien trop inquiets de rater la révolution annoncée. Les débats sur la sécurité et les risques ne font ainsi plus recette. Et le retour à la Maison Blanche de Donald Trump ne devrait qu’accentuer la tendance. En janvier, le président américain a abrogé un décret de son prédécesseur, qui imposait notamment des tests de sécurité pour les modèles les plus puissants. Selon Politico, les États-Unis ne devraient d’ailleurs pas signer la déclaration finale du sommet sur l’IA.
“Comparable” à Stargate ? – Au final, l’événement se sera vite transformé en une sorte de “Choose France”, le sommet créé par Emmanuel Macron pour vanter les mérites de l’Hexagone auprès des entreprises étrangères. Un exercice de communication réussi: on ne retiendra probablement que le chiffre de 109 milliards d’euros d’investissements, notamment pour construire des data centers. Sur cette somme, 50 milliards doivent être apportés par les Émirats arabes unis, en particulier par le fonds MGX, déjà présent dans Stargate. Le fonds canadien Brookfield promet lui d’injecter 20 milliards. L’Élysée se félicite déjà de ces investissements, “comparables” à Stargate si on les rapporte au PIB. Une comparaison erronée: d’un côté, une seule initiative menée par OpenAI et Softbank; de l’autre, un agrégat d’annonces rassemblées pour faire le nombre.
Pour aller plus loin:
– Comment la course aux profits s’est imposée dans l’IA
– DeepSeek, la start-up chinoise qui rebat les cartes de l’IA
Pour contrarier Sam Altman, Elon Musk propose de racheter (en partie) OpenAI
Dans le conflit l'opposant à Sam Altman, Elon Musk dégaine un chèque de 97,4 milliards de dollars. Lundi soir, un consortium d'investisseurs mené par le patron de Tesla a en effet déposé une offre de rachat de l'organisation à but non lucratif qui contrôle OpenAI. Plus précisément, des actifs qu'elle détient – essentiellement une part importante des profits du concepteur de ChatGPT. Cette offre a été immédiatement rejetée par Sam Altman. De fait, cette initiative était vouée à l'échec. Mais l'important semble être ailleurs pour Elon Musk. Avec cette proposition, il pourrait grandement compliquer les affaires de son grand rival, engagé dans un processus déjà très complexe de changement de structure juridique. Un processus qui est également au cœur d'une bataille juridique entre les deux milliardaires.
Musk reste actionnaire – Les choses avaient pourtant bien commencé entre Elon Musk et Sam Altman. En 2015, ils participent au lancement d’OpenAI, qui se présente alors comme un laboratoire de recherche ambitionnant de développer une IA devant bénéficier à l’humanité, sans être dictée par une logique de profit. Mais leur relation va rapidement se compliquer. En cause: des désaccords sur la gouvernance de la structure et sur la stratégie à mener pour rivaliser avec Google. En 2018, Elon Musk claque la porte, tout en restant actionnaire. Depuis, il n’a cessé de critiquer l’évolution d’OpenAI, en particulier la création d’une filiale commerciale dans laquelle Microsoft a investi près de quatorze milliards de dollars. Il accuse aussi ChatGPT d’être trop “woke”. Au printemps 2023, il a ainsi lancé une start-up rivale, baptisée xAI.
Entreprise à but lucratif – Le conflit est encore monté d’un cran ces derniers mois. Pour lever toujours plus de fonds, OpenAI souhaite en effet se transformer en entreprise à but lucratif. Ses dirigeants se sont même engagés à le faire avant fin 2026, sous peine de devoir rembourser les 6,6 milliards de dollars apportés à l’automne par des investisseurs. Ce changement est également indispensable pour conclure une autre levée de fonds, potentiellement record, qui pourrait atteindre 40 milliards de dollars. Elon Musk est opposé à cette transition, notamment parce qu’elle pourrait grandement compliquer la situation concurrentielle de xAI. Fin 2024, il a donc demandé à la justice de bloquer temporairement les plans d’OpenAI. Un procès pourrait se tenir dans les prochains mois, a indiqué début février la juge chargée de l’affaire.
Part dans le capital – Ce projet se heurte à deux autres obstacles. Il nécessite d’abord de s’entendre avec Microsoft sur son poids dans le capital et dans la future gouvernance. Il implique ensuite de déterminer les compensations que recevra la branche à but non lucratif. OpenAI propose de lui octroyer une part du capital de la nouvelle entité juridique. Selon le Financial Times, l’entreprise propose une valorisation de 30 milliards de dollars. Un montant jugé bien trop faible par Elon Musk, qui réclamait récemment des enchères. C’est dans ce contexte qu’intervient son offre de 97,4 milliards de dollars. Son objectif pourrait être de contraindre OpenAI à donner une plus grande participation à son organisation non lucrative. Ce qui pourrait compliquer le processus ou la rendre moins attractive pour les investisseurs.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi OpenAI souhaite changer de statut juridique
– Meta soutient Elon Musk dans sa bataille juridique contre OpenAI
Crédit photos: Élysée – UK Government