200 millions levés et... 95% de faux utilisateurs
Et aussi: Zalando attaque le DSA en justice
Après avoir menti sur son nombre d'utilisateurs, la start-up IRL ferme
C’est une histoire qui en rappelle beaucoup d’autres. Et qui illustre une nouvelle fois le manque de surveillance au sein des start-up et la confiance aveugle accordée à leurs dirigeants. Mardi soir, le réseau social IRL a définitivement fermé ses portes, deux ans seulement après s’être félicité d’avoir atteint le statut de licorne. Et quelques mois après le lancement d’une enquête interne, qui a conclu que 95% des utilisateurs revendiqués étaient en réalité “automatisés ou issus de bots”, rapporte le site spécialisé The Information. “Sur la base de ces constatations, une majorité des actionnaires ont conclu que les perspectives futures de l’entreprise ne sont pas viables”, justifie une porte-parole de la start-up américaine, qui promet désormais de redistribuer aux actionnaires l’argent restant dans les caisses.
“WeChat de l’Occident” – De manière assez ironique, IRL signifie “in real life”, “dans la vraie vie” en français. Lancée en 2016, elle se présentait d’abord comme une plateforme de découverte et de partage d’événements physiques. Mais l’épidémie de coronavirus l’a contrainte à changer de modèle, pivotant davantage vers des fonctionnalités communautaires. Dans sa dernière version, l’application ressemblait ainsi à des groupes Facebook repensés pour les jeunes générations, leur permettant de discuter de leurs centres d’intérêt. En 2021, la start-up parvient à séduire le conglomérat japonais Softbank, qui mène une levée de fonds de 170 millions de dollars. IRL dépasse alors la barre symbolique du milliard de valorisation. Et son patron Abraham Shafi assure vouloir bâtir le “WeChat de l’Occident”.
Doutes en interne – À l’époque, le dirigeant revendique 12 millions d’utilisateurs actifs mensuels, essentiellement des adolescents américains. Puis, 20 millions un an plus tard. Dans des documents présentés à ses investisseurs, la société californienne assure également que près de deux tiers des inscrits utilisent encore le service au bout de deux ans – un chiffre extrêmement élevé pour le secteur. Très vite pourtant, les premiers doutes commencent à circuler en interne sur la véracité de ces données. Le cabinet Sensor Tower estime alors que le nombre d’utilisateurs se situe seulement entre un et deux millions de personnes. Fin 2022, la Securities & Exchange Commission, le gendarme financier américain, déclenche une enquête. Mais ni Softbank, ni le conseil d’administration ne prennent des mesures.
Pas de poursuites judiciaires ? – Leur réaction n’intervient qu’en avril 2023, soit environ un an après les premiers articles de presse sur le sujet. Elle est déclenchée par une plainte déposée par un employé, accusant IRL de l’avoir licencié de manière abusive pour avoir exprimé ses doutes sur le nombre d’utilisateurs. Dès le lendemain, Abraham Shafi est débarqué de son poste. Et un audit interne est enfin lancé. Les résultats confirment le recours massif aux bots. Mais incluent aussi “d’autres découvertes”, explique la porte-parole d’IRL, sans donner davantage de détails. Malgré les investigations de la SEC, Abraham Shafi pourrait bien échapper à des poursuites judiciaires pour fraude, car il n’existe pas de méthodologie légale pour déterminer le nombre d’utilisateurs actifs.
Pour aller plus loin:
– La fondatrice de la start-up Frank poursuivie pour fraude
– Onze ans de prison pour Elizabeth Holmes, la fondatrice de Theranos
Pourquoi Zalando attaque le DSA devant la justice européenne
Deux mois avant son entrée en vigueur, le Digital Services Act (DSA) européen enregistre sa première contestation juridique. Celle-ci ne vient pas de l’un des géants américains, mais de Zalando, l’une des deux seules sociétés européennes concernées dès cet été par la nouvelle réglementation communautaire sur les services numériques. Mardi, le géant allemand de la mode en ligne a en effet saisi le Tribunal de l’Union européenne pour contester sa désignation comme “très grande plateforme”, qui se traduit par des obligations supplémentaires. “La Commission européenne a mal interprété le nombre de nos utilisateurs”, justifie Robert Gentz, son fondateur et codirecteur général, une semaine après avoir rencontré Thierry Breton, le commissaire au marché intérieur.
Contrôle des vendeurs – Adopté l’an passé, le DSA est l’un des deux projets majeurs de régulation du numérique en Europe, avec le Digital Markets Act qui vise à favoriser la concurrence. Le texte, qui remplace une directive européenne datant de 2000, introduit toute une série de règles pour les réseaux sociaux, les boutiques d’applications, les sites de réservation de voyage et les marketplaces, les places de marché popularisées par Amazon sur lesquelles des vendeurs tiers peuvent proposer leurs produits aux internautes. C’est à ce titre que Zalando est concerné. Le DSA va les contraindre à contrôler l’identité des vendeurs, à mettre en place un système de signalement des produits illégaux et à les retirer de la vente. En cas d’infraction, il prévoit des amendes pouvant atteindre 6% du chiffre d’affaires mondial.
Audit annuel – Si le DSA a vocation à s’appliquer à tous les services accessibles en Europe, il introduit aussi le statut de “très grandes plateformes” et de “très grands moteurs de recherche” aux services qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs actifs mensuels au sein de l’Union européenne, soit 10% de la population. Ce statut implique trois changements majeurs. D’abord, l’entrée en vigueur des nouvelles règles dès le 25 août, quand les autres acteurs ne seront touchés qu’en 2024. Ensuite, les grandes plateformes devront se soumettre à des obligations supplémentaires, de prévention des risques et d’audit annuel réalisé par un cabinet extérieur. Enfin, elles seront supervisées directement par Bruxelles, et non pas par l’autorité du pays où est installé leur siège social ou leur siège européen.
83 ou 31 millions d’utilisateurs ? – Fin avril, la Commission a révélé la liste des 19 services concernés, représentant douze sociétés. On y retrouve les géants américains du secteur, comme Apple, Google, Meta, Microsoft ou encore Amazon. S’y ajoutent deux services chinois: TikTok et AliExpress d’Alibaba. Et seulement deux groupes européens: le néerlandais Booking et donc Zalando. La société allemande a déclaré 83 millions d’utilisateurs sur le continent. Mais elle assure que Bruxelles n’aurait pas dû utiliser ce chiffre, car il comptabilise ceux qui achètent des produits qu’il vend directement – un service pas visé par le DSA. Zalando estime que seulement 31 millions de personnes utilisent sa marketplace. La procédure n’étant pas suspensive, elle devra cependant se soumettre aux nouvelles règles en attendant le verdict.
Pour aller plus loin:
– L’Europe s’accorde sur la régulation des géants du numérique
– Aux Etats-Unis, YouTube et Facebook conservent leur protection juridique
Crédit photos: IRL - Zalando