Nvidia, le jour d'après
Et aussi: Donald Trump veut imposer des droits de douane sur les puces
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Nvidia dédramatise après les avancées de DeepSeek
Près de 600 milliards de dollars de capitalisation boursière envolés en une seule séance. Record pulvérisé. Lundi, Nvidia a subi une sévère correction à Wall Street – avant de regagner une partie de ses pertes mardi. Le géant américain des cartes graphiques (GPU) a pris de plein fouet les avancées du laboratoire chinois DeepSeek, qui ont démontré qu’il était possible de concevoir une intelligence artificielle générative très performante avec une puissance informatique limitée. Cela représente un potentiel changement de paradigme sur un secteur habitué à dépenser des sommes folles pour accroître ses capacités de calcul, en achetant des dizaines ou centaines de milliers de GPU vendus à prix d’or. Et donc une menace sur la croissance à venir des ventes de Nvidia, dont le ralentissement commençait déjà à inquiéter certains investisseurs.
Inférence – Dans un communiqué publié lundi soir, la société de Santa Clara a tenté de dédramatiser. Se félicitant d’une “excellente avancée”, elle met surtout l’accent sur l’inférence, c’est-à-dire le processus de génération d’un texte, d’une image ou d’une vidéo. Celui-ci “nécessite un nombre significatif de GPU”, rappelle-t-elle. Les plus optimistes estiment ainsi que les progrès de DeepSeek seront à terme positifs pour Nvidia. En abaissant les coûts d’entraînement et d’inférence des modèles, ils devraient en effet permettre de faire baisser le prix des fonctionnalités d’IA. Et donc de doper leur déploiement dans les entreprises, jusque-là limité par des tarifs trop élevés. Autrement dit: ce que le groupe perdrait d’un côté, avec l’avènement d’IA plus frugales, serait plus que compensé de l’autre, avec un bond des usages.
Moins de puissance – À l’opposé, les moins optimistes redoutent des pressions sur la demande pour les GPU de Nvidia. Ces craintes reposent sur la technique d’entraînement élaborée par DeepSeek, qui requiert beaucoup moins de puissance de calcul. Le laboratoire n’a ainsi pas eu besoin d’utiliser les GPU les plus puissants, dont l’exportation vers la Chine est interdite. Et le processus aurait coûté 6 millions de dollars, une fraction des sommes dépensées par OpenAI. Le risque pour Nvidia, c’est que la voie ouverte par DeepSeek se propage, notamment via l’open source. Si certains acteurs continueront à investir massivement dans des GPU, une part grandissante du marché pourrait leur échapper, au profit de services plus abordables. Cela compliquerait leur retour sur investissement, et pourrait se répercuter sur leur niveau de dépenses d’infrastructures.
Attentes de Wall Street – Perdant sur l’entraînement, Nvidia pourrait aussi l’être sur l’inférence. Car la démocratisation attendue de l’IA ne devrait pas seulement lui profiter. Les modèles les plus sophistiqués pourraient en effet tourner sur des puces moins puissantes, les siennes mais aussi celles de ses concurrents, commercialisés à des prix inférieurs. Et d’autres modèles pourraient tourner en local, directement sur le processeur d’un ordinateur ou d’un smartphone. L’inférence ne s’effectuera alors plus dans des data centers, très majoritairement équipés de GPU de Nvidia. Tout cela ne signifie pas pour autant que son chiffre d’affaires va forcément reculer. Mais que la société aura, peut-être, plus de mal à atteindre les attentes très élevées de Wall Street, qui l’ont un temps propulsée au rang de première capitalisation boursière mondiale.
Pour aller plus loin:
– DeepSeek, symbole d’un échec du modèle américain dans l’IA
– Nvidia rassurant sur le lancement de sa prochaine puce d’IA
Les États-Unis promettent d'imposer des droits de douane sur les puces
C’est une promesse de campagne que Donald Trump promet de tenir “dans un futur proche”. Lundi, le président américain a réaffirmé sa volonté d’imposer des droits de douane sur “les puces d’ordinateurs et les semi-conducteurs”, évoquant “des taxes de 25%, 50% ou même 100%”. Objectif affiché: rapatrier une partie de la production aux États-Unis, aujourd’hui très majoritairement délocalisée dans les usines de TSMC à Taiwan et dans celles de Samsung en Corée du Sud. Au-delà des discours politiques, la mise en place de cette mesure reste cependant assez floue. La Maison Blanche ne communique pas sur le calendrier. Ni sur les modalités d’application. Une grande partie de ces puces ne sont en effet pas exportées directement sur le marché américain, elles sont expédiées en Asie vers des sites d’assemblage d’ordinateurs ou de smartphones.
Obstacles – Donald Trump n’est pas le premier à vouloir relancer la production de semi-conducteurs. Depuis une trentaine d’années, le déclin est spectaculaire. En 2022, seulement 12% des semi-conducteurs ont été fabriqués outre-Atlantique, contre 37% en 1990. Et la proportion est encore plus faible pour les composants les plus avancés. Comme les Européens, le pays a été supplanté par la montée en puissance des groupes asiatiques, en particulier de TSMC qui a popularisé le modèle fabless (sous-traitance). Et qui produit aujourd’hui les puces de Nvidia, Qualcomm ou encore Apple. Mais rapatrier la production vers les États-Unis se heurte à deux obstacles: la pénurie de travailleurs qualifiés sur ces chantiers très complexes, qui a contraint TSMC à repousser l’ouverture d’une usine dans l’Arizona, et des coûts de production plus élevés.
Subventions – La volonté de Donald Trump d’imposer des droits de douane marque une rupture majeure par rapport à la stratégie mise en place par l’administration Biden. Celle-ci misait sur le Chips Act: une enveloppe de 39 milliards de dollars pour subventionner la construction d’usines. Son objectif était de produire 20% des puces de pointe dans des usines américaines d’ici à 2030. Plusieurs projets ont bénéficié de ce programme. TSMC va ainsi recevoir 6,6 milliards. Intel va récupérer 8,5 milliards. Samsung va bénéficier d’une subvention de 6,4 milliards. Et Micron de 6,1 milliards. Des montants mirobolants présentés comme indispensables pour attirer ces grandes multinationales. “Elles ont déjà des milliards de dollars”, rétorque désormais Donald Trump, qui souhaite qu’elles construisent des usines “avec leur propre argent”.
Simplement une menace ? – A priori, ces subventions ne sont pas menacées. Mais il est peu probable que de nouvelles aides ne soient accordées au cours des quatre prochaines années. Pour rapatrier une partie de la production, le président américain parie donc sur l’une de ses armes préférées: les droits de douane – ou, au moins, la menace de droits de douane. Leur efficacité reste incertaine. Si seules les puces importées sont concernées, leur portée sera très limitée. Dans le cas contraire, Donald Trump devra justifier auprès de l’opinion publique la forte hausse des prix d’ordinateurs, de smartphones ou de consoles de jeux pendant toute la durée de son mandat – le temps nécessaire pour que des projets de nouvelles usines se concrétisent. De fait, ses déclarations pourraient simplement viser à obtenir des engagements de la part de TSMC
Pour aller plus loin:
– Les États-Unis multiplient les subventions pour relancer la production de puces
– L’Europe va investir 43 milliards d’euros dans les puces
Crédit photos: Nvidia - Unsplash / Laura Ockel