Pourquoi les géants américains investissent massivement en Inde
Pour l’occasion, Tim Cook, Sundar Pichai, Satya Nadella et Andy Jassy avaient fait le déplacement à Washington. En visite officielle aux États-Unis, le premier ministre indien Narendra Modi n’a pas seulement rencontré les patrons des quatre géants technologiques américains – respectivement d’Apple, de Google, de Microsoft et d’Amazon. Il a également recueilli d’importantes intentions d’investissements, preuve que l’Inde est devenue ces dernières années un marché stratégique pour ces entreprises. Dans le détail, Amazon s’est engagé à déployer quinze milliards de dollars supplémentaires dans le pays, s’ajoutant aux onze milliards déjà annoncés. Google, qui avait promis d’investir dix milliards, va en dépenser dix de plus, notamment pour ouvrir un centre dédié à la fintech.
760 millions d’internautes – Pour les grands groupes américains, à l’exception notable d’Apple, l’Inde s’apparente à ce que la Chine n’a jamais été: un marché immense sur lequel ils peuvent tirer profit de leur force de frappe financière pour écraser la concurrence locale. Selon les estimations du cabinet Kantar, le pays compte 760 millions d’internautes. Ce chiffre devrait monter à 900 millions en 2025. 340 millions d’Indiens paient déjà avec leur smartphone. Et 77 millions effectuent des achats sur des réseaux sociaux. À titre de comparaison, les Etats-Unis comptent environ 310 millions d’internautes. L’Union européenne environ 415 millions. L’Inde est aussi devenu le deuxième marché mondial pour les smartphones, avec une montée en gamme récente qui ouvre la porte à de nouveaux usages
Pas d’applications chinoises – En plus de la généralisation d’Internet, les sociétés américaines profitent des tensions géopolitiques entre l’Inde et la Chine, qui se sont traduites par l’interdiction de nombreuses applications chinoises – très populaires dans les autres pays du continent. Les opportunités de croissance sont immenses. Et justifient des investissements massifs. Amazon s’y dispute le marché du commerce en ligne avec Walmart, associé au groupe indien Flipkart. Netflix et Disney s’affrontent sur le marché du streaming vidéo. Google occupe une position hégémonique avec Android, qui procure un avantage à sa solution de paiement au détriment de l’indienne Paytm. WhatsApp joue un rôle de super-app. Et à plus long terme, les entreprises et les administrations devraient se convertir au cloud.
Projet de régulation – Un risque menace cependant toutes ces sociétés. Depuis trois ans, l’écosystème local milite auprès du gouvernement pour créer des conditions moins favorables aux géants américains. En début d’année, ils avaient obtenu gain de cause contre Android, avant que la justice n’invalide une décision de l’autorité de la concurrence. Ils ont également obtenu le départ des responsables du plus puissant lobby du secteur, accusés de défendre les positions américaines. Surtout, ils espèrent peser de tout leur poids sur un projet de réglementation, baptisé Digital India Act, qui doit moderniser la législation datant de 2000. Une première version doit être publiée cet été mais la presse indienne indique que des mesures viseront à lutter contre la domination américaine, s’inspirant du Digital Markets Act européen.
Pour aller plus loin:
– Pourquoi l’Inde est devenue stratégique pour Apple
– Après les smartphones, l’Inde veut attirer les fabricants d’ordinateurs
Après des pertes abyssales, Softbank promet de repasser à l'offensive
“Le temps est venu de repasser en mode offensif”. De retour sur le devant de la scène, sept mois après sa dernière apparition publique, Masayoshi Son a promis que Softbank allait reprendre ses investissements dans des sociétés technologiques. “Nous voulons prendre la tête de la révolution de l’intelligence artificielle”, a-t-il expliqué la semaine dernière, au cours de l’assemblée générale du conglomérat japonais, qui accuse des pertes abyssales depuis plus d’un an en raison du plongeon des capitalisations boursières et des valorisations des groupes dans lesquels il a injecté des fonds. L’homme d’affaires assure disposer d’une trésorerie de 5.000 milliards de yens (32 milliards d’euros), avant même la prochaine introduction en Bourse de sa filiale britannique Arm Holdings, probablement à New York.
150 milliards investis – A la tête de Softbank, petit magasin d’informatique devenu en 40 ans un gigantesque conglomérat, Masayoshi Son a toujours investi dans des start-up, pariant avant tout le monde sur Alibaba en 2000. En 2017, il avait franchi une étape supplémentaire en lançant le premier Vision Fund, avec le soutien de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Puis, un second deux ans plus tard. Depuis, les deux fonds ont participé à plus de 450 levées de fonds, investissant près de 150 milliards de dollars. Ils ont ainsi grandement contribué à l’émergence de méga-levées, se chiffrant en centaines de millions. Et à l’impressionnante envolée des valorisations. Mais ils ont aussi connu de véritables montagnes russes: des débuts difficiles, suivis de profits record puis d’une rechute vertigineuse.
Chute des investissements – Au 31 mars, la valeur comptable des deux fonds affichait une balance négative de 8,5 milliards de dollars. En juin 2021, ils affichaient un bilan positif de 66,4 milliards. Autrement dit: en moins de deux ans, leur valeur a plongé de 75 milliards de dollars. Ces pertes avaient poussé Softbank à adopter “une approche conservatrice”, pour reprendre les termes régulièrement employés par Yoshimitsu Goto, son directeur financier, désormais chargé de la gestion quotidienne. Une posture défensive qui s’est traduite par une réduction drastiquement des investissements, en particulier dans les start-up les plus matures, celles qui nécessitent des sommes importantes et des valorisations élevées. L’an passé, les Vision Fund n’ont déployé que 2,2 milliards de dollars, contre 44,3 milliards en 2021.
IA générative – La mise en retrait de Softbank coïncide avec l’euphorie autour des start-up d’IA génératives, dans le sillage du succès du robot conversationnel ChatGPT. Un comble, alors que Masayoshi Son évoque le tournant de l’intelligence artificielle depuis des années. En retard, Softbank devra probablement accepter des valorisations très élevées pour pouvoir entrer dans le capital de ces nouveaux acteurs, l’excluant ainsi des gains les plus importants. Son fondateur n’a pas précisé l’enveloppe dont il dispose pour investir dans des start-up. Il reste 6,5 milliards de dollars dans son deuxième fonds. Et le conglomérat n’exclut pas d’en lancer un troisième. En attendant, le Vision Fund va supprimer 50 emplois de plus, selon Bloomberg, ramenant ses effectifs à environ 300 employés, contre 500 il y a un an.
Pour aller plus loin:
– Retour sur terre pour la tech européenne
– Les introductions en Bourse des sociétés tech au ralenti
Crédit photos: Compte Twitter Narendra Modi - Capture d'écran Softbank